Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 24 mars 2016 à 9h30
Action extérieure des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, permettez-moi de commencer mon propos en félicitant Serge Letchimy, à l’initiative de cette proposition de loi. Ce texte répond à une demande formulée depuis longtemps par l’ensemble de la classe politique ultramarine, que ce soit sur les bancs de cette assemblée ou dans nos collectivités respectives. Il ne fait pas de doute que le rapporteur pourra compter sur un très large soutien, afin que ce texte ambitieux entre rapidement en vigueur.

L’idée que l’insertion des outre-mer dans leur écosystème direct est une chance, aussi bien pour ces territoires que pour la France, fait consensus. Le Premier ministre lui-même la partage, puisqu’il a récemment chargé notre collègue Jean-Jacques Vlody d’une mission sur le sujet.

J’irai plus loin, en affirmant que cette intégration est une nécessité absolue pour le développement endogène de nos territoires. Pour tout vous dire, je suis même tenté de penser que si nos territoires n’ont pas encore atteint un niveau mature de développement – au point d’être vus comme un poids financier par nombre de responsables politiques –, c’est justement parce que, de tout temps, on les a coupés de leur environnement naturel.

Alors que le monde traverse une crise économique sans précédent et que notre pays est à la recherche désespérée de relais de croissance, je me réjouis que cette piste, pourtant évidente, du développement tous azimuts des relations des territoires ultramarins avec leurs voisins soit enfin étudiée.

Certes, les initiatives de coopération interrégionales sont aujourd’hui possibles, voire encouragées, et il est vrai que les territoires ultramarins jouissent de prérogatives élargies par rapport à leurs homologues de l’hexagone. Il n’empêche que ces volontés, ces initiatives restent bridées en raison de procédures trop lourdes, de champs de compétences restreints et, surtout, d’une décentralisation de la coopération interrégionale qui ne s’assume pas complètement puisque, sous couvert de respect de nos règles constitutionnelles, la mainmise de l’État reste omniprésente.

Mes collègues ayant parfaitement décrit le contexte, je consacrerai mon propos à la circonscription dont je suis l’élu, l’Est Guyanais, qui est grande comme la Suisse et partage 300 km de frontière avec le géant brésilien. Il s’agit là de la plus grande frontière terrestre française, ce que peu de gens savent. Il ne serait pas inopportun, d’ailleurs, que cette donnée soit enseignée aux élèves de France et de Navarre : cela changerait quelque peu les perspectives, j’en suis persuadé ! Mais ne nous égarons pas.

La Guyane a fait preuve ces vingt dernières années d’une politique particulièrement volontariste en matière d’intégration régionale, notamment grâce aux fonds européens du PO – programme opérationnel – Amazonie. Pourtant, cette volonté se heurte à l’impossibilité d’élaborer une politique globale de coopération régionale, puisqu’il faut en référer à l’État dès qu’il s’agit d’engager la moindre négociation.

Or, si nous disposons de peu d’industries productives, la négociation d’accords économiques spécifiques nous permettrait, par exemple, de réduire massivement les prix de consommation en nous autorisant à recourir à l’importation de biens de consommation et d’équipement en provenance de nos voisins, avec des droits de douane adaptés et des frais de transport considérablement réduits.

Cela permettrait également de revenir sur une aberration : 50 % de nos importations proviennent de la France hexagonale, distante de 7 000 km, soit environ une semaine de bateau. Ce sont les consommateurs qui supportent les surcoûts que cela entraîne, mais aussi l’État, puisque cela légitime la surrémunération des fonctionnaires et un certain nombre d’abattements fiscaux pour les ménages. En outre, cette situation n’améliore pas l’empreinte carbone de la France, à l’heure où l’on parle de développement durable. À cet égard, l’expédition des déchets vers l’hexagone plutôt que vers le Brésil voisin est révélatrice. Daniel Gibbes évoquait en souriant le bois de hêtre qui permet de fumer le poisson en Guyane… il faudra un jour considérer ce genre de choses avec davantage de sérieux.

Vous l’aurez compris, j’accueille cette proposition de loi avec grand enthousiasme puisqu’elle va dans le sens de l’histoire, c’est-à-dire du passage d’une économie de comptoir, artificielle, assistée et administrée, fondée sur une idéologie dépassée de l’assistanat et de l’échec, à une nouvelle dynamique, endogène et assumée, prenant en compte les richesses et les potentialités, tirées notamment de la situation géographique et stratégique de ces territoires – celle-là même qui permet à la France d’être présente dans tous les océans et sur tous les continents.

Il était temps que nos ambitions politiques partagées se traduisent par l’avènement d’un cadre juridique sécurisé, plus souple. Celui-ci permet d’engager une véritable diplomatie économique territoriale, dans un partenariat avec les pays voisins et les organisations régionales, sans préjudice du rattachement au cadre institutionnel qui est le nôtre.

Il ne reste plus qu’à espérer que l’ensemble de nos collègues parlementaires de l’hexagone, dont je regrette l’absence aujourd’hui, sauront saisir la hauteur des enjeux et apporteront leur soutien, qui parfois nous fait défaut. Ainsi, nos territoires se mueront enfin en relais de croissance pour la nation tout entière.

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