Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du 5 avril 2016 à 21h30
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Si vous étiez vous-même, monsieur le ministre, totalement convaincu de cette nécessité, vous le feriez entièrement et donc symétriquement, en vous retirant à vous-même, garde des sceaux, le pouvoir de proposition sur les nominations des avocats généraux à la Cour de cassation, des procureurs généraux près les cours d’appels et des procureurs près les tribunaux de grande instance. Vous choisissez de ne pas le faire et il est nécessaire que vous vous en expliquiez clairement.

Deuxième remarque, incidente : il est curieux que personne ne s’interroge précisément sur une éventuelle extension du champ de proposition du CSM à l’ensemble des magistrats du siège, car si la main du garde des sceaux ne doit s’approcher des nominations de magistrats que pour contresigner en aval un décret pris sur l’avis conforme du CSM, n’est-on pas surpris de constater que subsistent en amont, compte tenu des modalités de proposition, deux modes de désignation et, partant, deux catégories de magistrats du siège ?

Les uns, investis des plus hautes fonctions, ne peuvent théoriquement l’être que si le ministre de la justice n’y est pour rien. Tous les autres, qui exercent eux aussi les fonctions de jugement qui incombent à tous les magistrats du siège, ne peuvent être nommés que si le ministre de la justice le propose. Il y a là, pour le moins, une difficulté logique qui ne peut être passée sous silence.

La troisième et dernière remarque porte sur le coeur du texte qui nous est présenté ce soir : faut-il ou non modifier la Constitution pour prévoir que les magistrats du parquet ne pourront être nommés, demain, que sur l’avis conforme du CSM ?

Vous avez eu raison de rappeler, monsieur le garde des sceaux, que telle est la pratique suivie depuis 2009 par vos divers prédécesseurs. Chacun s’accorde à souhaiter la continuer. L’argument est cependant très réversible. On pourrait vous objecter que, puisque c’est une pratique déjà ancienne et appelée à perdurer, il n’est nullement indispensable d’adopter un texte qui viendrait, comme l’on dit, la graver dans le marbre. Mais cet argument n’étant pas dirimant, je ne le retiendrai pas.

Le vrai sujet, me semble-t-il, est de préciser quelle est notre conception de l’indépendance de la justice. L’indépendance de l’autorité judiciaire, ce doit être l’impartialité des jugements, et non pas l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire. En souhaitant inscrire dans la Constitution un droit de veto du CSM sur les nominations des membres du parquet, sans prendre aucune autre mesure d’aucune sorte, vous n’améliorez en rien l’impartialité des jugements, mais vous donnez le sentiment de vous aventurer vers l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire. C’est le coeur de notre désaccord avec ce texte.

L’impartialité des jugements disparaît lorsqu’il n’y a pas d’indépendance vis-à-vis d’un parti pris, d’un préjugé ou d’une opinion partisane. Nous constatons, pour la déplorer, la confusion qui existe parfois, hélas, entre la défense légitime de préoccupations professionnelles et l’expression illégitime d’opinions politiques par certains magistrats. Comme Éric Ciotti, comme Georges Fenech, comme l’ensemble des députés Les Républicains, il me semble nécessaire de nous interroger ici, comme constituant ou législateur organique, sur les limites de l’appartenance syndicale des magistrats.

J’ajoute que, pour conforter l’impartialité des jugements, d’autres questions juridiques et pratiques, de nature et d’importance différentes, devront être sereinement et sérieusement abordées. J’ai évoqué tout à l’heure l’éventuelle extension du champ de proposition du CSM à l’ensemble des magistrats du siège. D’autres questions tiennent au contenu et au périmètre de la formation dispensée à l’École nationale de la magistrature, mais aussi aux parcours de carrière des magistrats, à leur régime indemnitaire, à la multiplicité des grades et même, disons-le nettement, à la pratique des décorations de magistrats en fonction, laquelle ne paraît pas spontanément compatible avec l’apparence d’une totale indépendance.

Conforter l’impartialité des jugements reste une ardente nécessité, à laquelle ce projet de révision ne répond pas. Mais, dans le même temps, vous vous aventurez vers l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire, car le veto que vous souhaitez donner au CSM sur les nominations des membres du parquet n’est qu’une avancée virtuelle qui s’accompagne d’un recul réel : la renonciation à exercer une vraie politique pénale.

Les parquets sont aujourd’hui encombrés d’une multitude d’infractions abondamment et trop fréquemment définies par le législateur, sans que le garde des sceaux, au nom du peuple français, ne définisse clairement une politique pénale, c’est-à-dire un ordre de priorité des poursuites, dans l’intérêt de la société. Cette carence est regrettable.

De même, je suis convaincu – et nous sommes sur ce point en désaccord – que la suppression, votée en 2013, de toute possibilité d’instruction individuelle du garde des sceaux au parquet, à la double condition que celle-ci soit à la fois écrite et versée au dossier, a été un recul de la politique pénale.

Il me semble que le garde des sceaux, membre d’un gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale, doit assumer une vraie fonction de direction de l’action publique, en conduisant une politique pénale selon des procédures transparentes, contrôlables et contrôlées, qui ne laissent aucune place à l’arbitraire ni aux choix partisans, mais qui garantissent l’existence d’un vrai choix démocratique. Car si le garde des sceaux renonce à toute politique pénale, il sera semblable aux kantiens qui, selon Charles Péguy, ont les mains pures, mais n’ont pas de mains !

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