Intervention de Jacques Toubon

Réunion du 31 mai 2016 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Pour ce qui est des emplois relevant de la souveraineté nationale et de l'exercice de prérogatives de puissance publique, je ne dispose pas de liste à vous soumettre, mais je peux faire effectuer une recherche et vous en communiquer les résultats.

Il existe d'ores et déjà de très nombreux moyens de procéder à des études et des recherches sur les origines et les appartenances ethniques, au sein des entreprises et ailleurs, pourvu que ces travaux ne donnent pas lieu à l'établissement d'une base de données publique. On peut se baser sur de multiples informations telles que le lieu de naissance, la nationalité des parents ou encore le patronyme, qui sont déjà utilisées par les instituts de recherche pour des études sur les discriminations. J'en veux pour preuve l'étude « Trajectoires et origines », publiée en février dernier par l'Institut national d'études démographiques (INED) à l'issue de dix ans de travaux.

Je suis un peu gêné pour vous répondre au sujet du blasphème en Alsace-Moselle. Comme on l'a dit au moment du massacre des journalistes de Charlie Hebdo, je ne pense pas que notre pays doive se lancer dans la poursuite du blasphème – et c'est en me souvenant de la fatwa lancée contre Salman Rushdie en 1989 que je vous dis cela.

Pour ce qui est des discriminations en matière d'accès aux biens et aux services, la prise en compte du critère d'origine par le présent projet de loi va constituer un outil efficace, non seulement en matière d'emploi, mais aussi dans tous les autres domaines de la vie.

Vous m'avez demandé si les dispositions antiracistes avaient vocation à être portées par les lois sur la presse ou par le code pénal. Il y a vingt ans, lorsque j'étais garde des Sceaux, j'étais favorable à ce qu'on les transfère dans le code pénal, notamment en raison des difficultés à poursuivre des injures racistes sur le fondement des lois sur la presse. Depuis, la loi a beaucoup évolué, notamment en matière de prescription. Lorsque Mme Christiane Taubira a évoqué cette question, je me suis de nouveau interrogé, et je pense que ce qui vous est proposé, consistant à maintenir le dispositif dans la loi sur la presse tout en y intégrant un certain nombre de principes issus du code pénal – ce qui constitue une véritable révolution juridique, je pense notamment à la requalification ,– est une bonne solution.

Au début des années 1990, j'ai fait partie de ceux qui ont combattu avec détermination la loi Gayssot, partant du principe que lorsqu'une vérité historique doit être garantie par la loi, c'est qu'elle est faible, et qu'à l'inverse, une vérité historique digne de ce nom n'a pas besoin du soutien de la loi. Nous étions alors nombreux, avec notamment Mme Simone Veil et l'historienne Madeleine Rebérioux, à craindre que cette loi n'ait un effet inverse à celui recherché, en offrant une tribune aux révisionnistes et aux fascistes. Si, près de trente ans plus tard, le bilan de la mise en oeuvre de la loi Gayssot montre que cette inquiétude était infondée, il convient de faire preuve de la plus grande prudence en la matière. Il y a quelques années, les remarquables travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les lois mémorielles ont souligné les dangers de telles lois, rejoignant en cela la position exprimée par de nombreux historiens.

Il y a un an, il a été demandé à M. Loïc Depecker, délégué général à la langue française et aux langues de France, de préfigurer la future Agence de la langue française. Une agence de lutte contre l'illettrisme, qui existait depuis plusieurs années, a récemment fusionné avec d'autres organismes. J'estime qu'à l'heure actuelle, indépendamment de ce que fait la délégation de la langue française du ministère de la Culture, la création d'une Agence de la langue française, qui s'appuierait sur le droit fondamental à la langue que je considère un droit de l'homme à part entière, nous permettrait de disposer d'une force de frappe supplémentaire, en accord avec la déclaration universelle de l'Unesco de 2001 sur la diversité culturelle et les diverses actions entreprises afin que les langues soient reconnues richesse culturelle et marqueurs de sociétés. Si votre assemblée décidait de prendre des dispositions en ce sens, elle aurait donc tout mon soutien.

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