Intervention de Christophe Léonard

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Léonard, rapporteur :

Nous nous sommes en effet attachés à étudier les dysfonctionnements que l'opération Sentinelle ‒ ou plutôt : son inscription dans la durée ‒ a créés. Ces dysfonctionnements sont de plusieurs ordres.

D'abord, les militaires ont dû consentir un certain nombre de renoncements touchant à la condition du personnel : le nombre de leurs permissions a été réduit, et le nombre de jours d'engagement loin de leurs quartiers, et donc loin de leurs familles, couramment appelé « absentéisme », a considérablement augmenté. Bien sûr, la disponibilité en tout temps et en tout lieu est au coeur du statut des militaires ; mais là encore, la difficulté réside dans la « capacité à durer » : la « suractivité » crée des tensions conjugales, familiales ou morales qui s'aggravent avec le temps, et peuvent finir par peser sur le moral des hommes.

Mais les dysfonctionnements résultant de Sentinelle tiennent aussi à des renoncements à diverses activités de préparation opérationnelle. S'ils sont massifs et répétés, de tels dysfonctionnements peuvent peser sur la capacité opérationnelle de nos armées : c'est donc un véritable danger. Nous avons étudié en détail la portée de ces renoncements, c'est-à-dire, pour l'essentiel, ce sur quoi l'armée de terre a été contrainte de « faire l'impasse ». Il en ressort qu'après quelques perturbations en 2015, elle a veillé à préserver la formation initiale des hommes ‒ ce qui est d'autant plus important qu'elle recrute massivement ‒ et la préparation opérationnelle de ceux qui sont appelés à être engagés en opération extérieure. En revanche, la préparation opérationnelle interarmes a servi de variable d'ajustement : afin de libérer des effectifs pour Sentinelle, on a massivement annulé des grandes manoeuvres d'entraînement dans nos camps de Canjuers, de Mailly, de Mourmelon, etc.

Il faut dire ici que ces dysfonctionnements affectent particulièrement l'armée de terre, et ce pour une raison simple : c'est elle qui fournit la quasi-totalité des troupes de l'opération Sentinelle. Mais il faut préciser aussi que les autres armées ne sont pas tout à fait épargnées, et loin s'en faut. En effet, parallèlement à Sentinelle, le ministère a dû mettre en oeuvre le « plan Cuirasse », qui organise le renforcement de la protection des bases et autres emprises de la défense. Ce sont en effet des cibles de choix : l'intrusion dans le dépôt de munitions de Miramas l'a bien montré ; une attaque a été déjouée à Toulon en octobre dernier ; et je vous laisse imaginer l'impact qu'aurait une intrusion sur certaines bases aériennes particulièrement sensibles… Notre collègue Gwendal Rouillard, dans son dernier rapport, a bien montré la suractivité qui en résulte pour les fusiliers marins, et notre collègue Christophe Guilloteau nous a exposé quant à lui les tensions qui pèsent sur les forces de l'armée de l'air.

Les recrutements que nous avons votés en actualisant la loi de programmation militaire, en juillet dernier, doivent permettre aux armées, et particulièrement à l'armée de terre, de retrouver un rythme d'activité soutenable. Nous tenons toutefois à faire trois observations à ce sujet, qui concourent toutes les trois à montrer que tous les problèmes ne sont pas pour autant réglés.

Premièrement, avec le temps nécessaire à la formation des recrues, il faudra attendre l'été 2017 pour que les effectifs soient complets. L'armée de terre, en particulier, sera restée deux ans et demi en sous-effectif majeur, et les « renoncements » auront entre-temps entamé son « capital » de savoir-faire. Il faudra donc encore plus de temps pour retrouver le très haut niveau d'excellence professionnelle de l'armée de Serval.

Deuxièmement, même à effectifs complets, les militaires auront moins de temps pour l'entraînement, car selon toute vraisemblance, la menace pour laquelle on les a déployés sur le territoire national n'est pas appelée à s'estomper du jour au lendemain. Ainsi, avant le 7 janvier 2015, un soldat de l'armée de terre passait en moyenne 15 % de son temps de service en OPEX et 5 % en missions intérieures ; aujourd'hui, c'est toujours 15 % de son temps de service en OPEX, mais 40 à 50 % en mission intérieure (Sentinelle, Harpie ou Cuirasse) ; et même après les recrutements supplémentaires, le soldat passera encore 15 % de son temps de service en OPEX, et 20 % à 25 % de son temps en mission de protection sur le sol national.

Troisièmement, les effectifs supplémentaires que nous avons votés correspondent à un contrat opérationnel précis ‒ 7 000 hommes sur le territoire national, avec des pics à 10 000 pendant un mois au maximum ‒ mais ce contrat est dépassé. Or les mêmes causes produisent les mêmes effets : avec 3 000 hommes de plus que prévu engagés dans l'opération Sentinelle, inévitablement, le rythme d'activité de l'armée de terre est de nouveau déséquilibré.

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