Intervention de Amiral Charles-Henri du Ché

Réunion du 29 juin 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Charles-Henri du Ché, directeur général adjoint des relations internationales et de la stratégie du ministère de la Défense :

Nous pouvons nous présenter comme la deuxième puissance maritime du monde en raison de la superficie de notre zone économique exclusive (ZEE). Pour ce qui est de la marine nationale, sa taille a été fortement réduite, mais d'une manière en quelque sorte « homothétique » qui a permis de maintenir la cohérence d'ensemble de l'outil ; cela nous permet de disposer de la seule marine ayant l'ensemble des capacités, hors marine américaine bien entendu. En outre, il s'agit de la seule marine européenne assurant des missions de présence à très longue distance. Ces dernières ont d'ailleurs été mises en avant par le ministre de la Défense lors du dernier dialogue de Shangri-La. On compte en effet six déplacements de bâtiments français en mer de Chine lors des 18 mois passés. Nous essayons d'inciter nos partenaires européens à engager davantage leur marine loin de leurs eaux territoriales.

Pour assumer de telles missions, les moyens ne sont jamais suffisants et il est toujours difficile de dépasser la prise en compte des menaces immédiates en périphérie proche ; mais une extension des missions à longue distance est indispensable lorsque l'on mesure à quel point nos intérêts économiques se situent très en amont, dans le détroit de Malacca ou le canal de Suez. En effet, 75 % de nos approvisionnements empruntent ces routes, dont la fermeture aurait des conséquences que vous mesurez aisément. Dans une telle hypothèse, plus personne ne douterait de l'utilité d'une marine puissante…

S'agissant du Pacifique sud, nous y sommes bien présents. Certes avec des moyens limités, mais en étant les seuls Européens présents. Notre effort en la matière est d'ailleurs apprécié par l'Australie, et s'inscrit dans une véritable coopération globale avec cette dernière qui n'est pas complètement étrangère aux récents succès commerciaux en matière de sous-marins. Nous sommes en effet à ses côtés en matière de secours en cas de catastrophes naturelles, comme nous l'avons fait aux Fidji ou au Vanuatu, et sur les questions de surveillance de cet immense espace maritime, ce dont témoigne le récent séminaire trilatéral organisé en octobre dernier à Nouméa.

Compte tenu de la réalité de nos moyens, la productivité de notre dispositif militaire est donc à mon sens remarquable. Toutefois, nous avons à l'évidence atteint un seuil au-delà duquel, faute d'efforts complémentaires, cette productivité déclinera inéluctablement. L'objectif de 2 % du PIB affectés à la défense se justifie pleinement si l'on ne veut pas voir notre influence et nos capacités d'action reculer.

Pour revenir à la question portant sur les risques d'une nouvelle guerre froide, en tant qu'ancien sous-marinier, je tire de ma participation à cette dernière quelques enseignements. Tout d'abord, nous avons gagné cette guerre, mais à un prix considérable du fait de la course aux armements. Il convient donc effectivement de ne pas reproduire ce schéma. De ce point de vue, la présence renforcée de l'OTAN à l'est dans le cadre du dispositif eFP ne représente pas des montants financiers importants, tout en fournissant une réassurance à nos Alliés et sans donner dans l'escalade. Je me permets d'insister sur un point : il s'agit d'être ferme face aux démonstrations de force inacceptables de la Russie. Cette dernière n'avait jamais été aussi loin depuis la chute de l'URSS et il est de notre devoir de lui faire comprendre qu'il n'est dans l'intérêt de personne de dépasser certaines limites. Fermeté et dialogue vont de pair, et c'est d'ailleurs la même démarche que nous avons adoptée vis-à-vis de nos amis chinois en mer de Chine.

Je partage votre constat sur le fait que le prix du sang est inégalement acquitté par les nations européennes, tout en soulignant que nous partageons une forte communauté d'engagement effectif avec les Britanniques. Cela étant, pour faire avancer les choses de manière pragmatique, je pense qu'il ne faut pas demander aux nations ce qu'elles ne sont pas prêtes à faire et qu'il est nécessaire d'éviter un discours trop condescendant limitant les questions de défense à trois acteurs en Europe. D'autres nations en prennent d'autant plus légitimement ombrage qu'elles nous apportent une aide substantielle et appréciée sur les théâtres d'opérations africains, qu'il s'agisse par exemple de l'Espagne, des Pays-Bas ou du Portugal.

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