Intervention de Franck Ribière

Réunion du 6 juillet 2016 à 16h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Franck Ribière, réalisateur du film Steak, Révolution et fondateur de la société Le boeuf éthique :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis effectivement issu d'une famille d'éleveurs puisque ma famille élevait des vaches de race Charolaise dans le centre de la France. J'ai toujours voulu savoir et comprendre comment améliorer le goût de notre viande, car je me suis rendu compte, grâce à mes nombreux voyages, que la France n'était pas spécialement l'endroit où la viande avait le plus de goût. Si la France est le pays de la gastronomie, et la viande en fait partie, elle n'a pas une culture de la viande pure, contrairement à l'Argentine par exemple.

Je suis donc parti à la recherche du meilleur steak du monde, pour faire un tour du monde et essayer de combler une forme d'absence de curiosité de la part des éleveurs et des professionnels de la filière que je connais bien : ils ne cherchent pas trop à savoir ce que font les autres, de peur de mal faire ou pas assez bien. En voyageant et en visitant un grand nombre d'éleveurs, de bouchers et de restaurateurs, j'ai pu me faire une idée de ce qu'était la bonne viande et de la façon dont on pouvait l'améliorer en France. Or une des conditions, qui m'a paru assez étonnante mais qui a été la force du film et du livre, c'est que pour faire un bon steak, il faut une vache heureuse. Heureuse tout au long de son processus, c'est-à-dire de sa naissance à sa mort.

Je me suis beaucoup intéressé à l'alimentation, à l'élevage, aux différentes races, à leur amélioration, aux croisements, à leur adaptation ou non à leur territoire et je suis parvenu à la conclusion que pour obtenir une bonne viande, il fallait effectivement répondre à toutes ces questions, parmi lesquelles la problématique de l'abattage. J'ai visité et filmé des abattoirs dans le monde entier, y compris en France, et rencontré des abatteurs d'à peu près partout ; j'ai ainsi pu considérer que, d'une manière générale, l'abattage ne posait pas forcément problème. Je n'ai pas vu de choses ignobles, seulement des gens qui travaillaient et qui étaient plutôt professionnels, même si j'ai bien conscience que la mort d'un animal est un moment difficile, délicat. Grâce aux différents lanceurs d'alerte dont nous avons tous entendu parler, nous nous sommes aperçus que certains actes y étaient commis, mais je n'ai pas d'autre avis personnel là-dessus. Je pense qu'il y a des idiots et des méchants partout, y compris dans les abattoirs. Toutes les solutions que votre commission voudra bien imaginer iront dans le sens d'une meilleure surveillance.

J'insisterai toutefois sur un point : dans tous les abattoirs du monde que j'ai visités, j'ai constaté une vraie dévalorisation du travail de ces gens. Ils sont souvent fatigués, stressés, honteux ou mal à l'aise avec le métier qu'ils exercent. Je me suis notamment demandé ce que peut répondre un enfant d'abatteur à un professeur qui lui demande quel est le métier de son papa ou de sa maman. Je me suis rendu compte que l'on était face à des gens qui n'ont pas été traités correctement, alors qu'ils effectuent un travail que vous et moi serions bien incapables de faire. Il y a là quelque chose qui fragilise le système : ils sont sous pression, ils font un sale métier, pour des rémunérations relativement modestes, quelle que soit leur expérience. Ma relation à l'abattage en reste là.

C'est en Espagne que j'ai pu goûter la meilleure viande du monde. Entre trois et six mois avant la mort de l'animal, l'éleveur le trimbalait dans son camion, deux ou trois fois par semaine, afin de l'habituer. Je me suis donc intéressé au transport. J'ai rencontré des Canadiens qui m'ont dit que leurs vaches parcouraient 700 kilomètres pour aller à l'abattoir, j'ai discuté avec des gens qui se plaignaient de la disparition de certains abattoirs de proximité et qui devaient faire des trajets de plus en plus longs. Ils m'ont dit qu'il était de plus en plus compliqué d'amener les bêtes au bon moment, car les abattoirs commencent à être un peu encombrés, si bien que les animaux passent plus de temps qu'auparavant, les uns derrière les autres, à attendre la mort. Un animal dans son environnement, avec ses congénères, en présence de son éleveur, n'a pas du tout la même attitude qu'un animal qui a voyagé sur quatre-vingts kilomètres, glissé trente fois, entendu parler trois ou quatre personnes différentes, et qui, après avoir entendu les cris des porcs et les moutons, comprend très vite que quelque chose de désagréable va lui arriver.

Quand j'ai commencé à réfléchir, avec mes partenaires, à une chaîne complète qui permettait de réduire les intermédiaires pour passer directement de l'étable à la table, il m'a paru incohérent que l'abattage ne fasse pas partie de ce concept. La seule façon de limiter le stress de l'animal avant sa mort, c'est de l'empêcher de voyager. C'est donc à l'abatteur de venir sur place. Cela correspond à l'idée générale des films que j'ai réalisés et à la position que je défends : le retour au bon sens paysan, à ce que faisaient les bouchers avant, c'est-à-dire venir au bon moment à la ferme pour abattre l'animal, le stocker assez longtemps pour que la viande puisse maturer et ainsi être de bonne qualité, et la confier ensuite au boucher qui la préparera correctement et continuera le processus de maturation jusqu'à sa consommation finale.

Le système industriel a changé la donne et mis en avant une nouvelle conception, tout à fait valable : proposer une nourriture accessible et saine. Mais il faut bien faire la différence entre une viande saine et une viande bonne. Je considère que l'on ne peut trouver de la bonne viande que si une charte éthique implique l'éleveur à tous les niveaux, de la naissance à la mort de l'animal. Cela suppose de demander à l'agriculteur de ne plus pratiquer l'insémination artificielle, de nourrir les animaux uniquement à l'herbe, d'éviter tout médicament, d'essayer les médicaments alternatifs. Tous les éleveurs que j'ai interrogés m'ont répondu : tout ça, c'est bien beau, on a essayé des tas de choses, mais il y en a une où il faut que cela change, sinon cela ne marchera jamais, c'est l'abattage. Un contrôle sur l'abattage, c'est-à-dire un abattage à la ferme, permettrait de garantir le côté éthique et le respect de l'animal. Dès lors, les éleveurs seraient capables de s'engager à fournir des animaux éthiques à tous les niveaux, pour peu qu'ils soient abattus dans des conditions acceptables, à défaut d'être agréables.

Comme je ne voyais pas particulièrement de problèmes en France, je me suis intéressé à ce qui se passait à l'étranger. Sur Internet, on trouve beaucoup de bêtises, des méthodes étranges. Aux États-Unis et en Suisse, certains abattent les animaux au fusil, et quelques abatteurs tuent une bête sur place et se dépêchent ensuite de l'emmener à l'abattoir le plus proche dans un camion frigorifique… Bref, tout était envisageable. Mais la société suédoise que nous avons rencontrée a développé un business model très au point et qui répond à toutes les normes européennes : autrement dit, sur le plan technique, leur camion pourrait opérer en France dès demain matin. Reste un problème, celui de la présence des vétérinaires. Les services vétérinaires qui délivrent les homologations des carcasses et l'autorisation de leur commercialisation auraient-ils la possibilité de venir travailler dans un camion ? Ils seraient rémunérés aux lieu et place de l'État puisque le modèle que je propose est une société privée. Cela permettrait de revenir à une chose que les vétérinaires demandent beaucoup : la discussion directe avec l'éleveur. Le modèle suédois que je vous présenterai montre que l'animal reste dans son environnement et que l'éleveur est en permanence avec lui.

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