Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mercredi 7 novembre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Économie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

... mais aussi par l'évolution possible de la stratégie de l'État actionnaire. Si je comprends bien, on nous dit ainsi que cette stratégie pourrait évoluer au cours de l'année sans que le Parlement n'ait la possibilité de se prononcer à nouveau, ce qui pose problème du point de vue de la transparence et de la démocratie.

On peut ainsi lire dans l'annexe budgétaire relative à cette mission qu'« il n'est pas possible, pour des raisons de confidentialité inhérentes notamment à la réalisation de cessions de titres de sociétés cotées, d'aborder plus en détail au stade de l'élaboration du projet de loi de finances la nature d'éventuelles autres cessions ». Le Gouvernement nous annonce donc, au détour d'une annexe budgétaire, que de potentielles autres cessions pourraient nous attendre en 2019, mais qu'il ne peut pas nous en dire plus pour le moment. On retrouve là le problème qui vient de pousser tous les groupes d'opposition à quitter le débat en commission sur le projet de loi de finances rectificative. C'est une négation des droits du Parlement. En somme, vous avez les mains libres pour dépecer l'État, mais c'est motus et bouche cousue devant la représentation nationale !

En réalité, les 10 milliards de recettes annoncés par le Gouvernement sont une vague estimation, fondée sur peu de chose, de sorte qu'il nous faut aller chercher les informations rendues publiques dans la presse pour savoir quel montant pourraient atteindre les cessions : 10 milliards d'euros pour la vente d'Aéroports de Paris, chiffre calculé sur la base de la capitalisation boursière actuelle de l'opérateur, dont l'État détient 50,6 % du capital ; 1,5 milliard d'euros pour la cession de près de la moitié des parts de La Française des jeux – FDJ – , entreprise dont l'État détient aujourd'hui 72 % et où il souhaite conserver, après l'opération, une minorité de blocage, soit au minimum 20 % ; et 7,8 milliards d'euros pour ENGIE, l'État ayant désormais le droit de se séparer de tout ou partie des parts qu'il détient dans l'entreprise, soit 24,1 %. On voit donc que les recettes se situent bien au-delà de 10 milliards d'euros.

Comme nous l'avons dit lors du débat sur loi PACTE, nous sommes très opposés à ces privatisations.

En ce qui concerne ADP, madame la secrétaire d'Etat, alors que vous évoquiez tout à l'heure la souveraineté, la cession équivaudrait précisément à une perte de souveraineté car – faut-il le rappeler ? – un aéroport est une frontière. Il faut être en proie à une dérive néolibérale très marquée pour considérer qu'on peut aujourd'hui privatiser une frontière dans notre pays.

Cette cession est aussi un non-sens économique, car on ne privatise pas un monopole. Je rappelle à cet égard que, selon le Préambule de la Constitution de 1946, un monopole de fait ne saurait être dévolu au privé.

C'est aussi un risque pour le personnel. En effet, depuis l'ouverture du capital d'ADP en 2005, le niveau des effectifs n'a cessé de diminuer, alors même que le trafic a doublé sur la même période.

Enfin, on nous répond souvent que l'État n'a rien à faire dans les galeries marchandes que sont devenues aujourd'hui une partie des aéroports. Je pourrais fort bien rétorquer que l'on peut tout à fait accorder une délégation de service public pour certains services, comme ceux rendus par une galerie commerciale, sans pour autant privatiser ADP.

En ce qui concerne la privatisation de La Française des jeux, les risques auxquelles elle nous expose s'agissant du contrôle des addictions et du blanchiment d'argent sont pour nous des questions importantes, car ce n'est pas n'importe quel secteur qui est privatisé. L'entreprise est, en outre, rentable pour l'État. Qui plus est, on nous annonce que c'est la banque Goldman Sachs, responsable de bien des dérives lors de la crise des subprimes, qui a été mandatée par la FDJ pour s'occuper de son processus de privatisation : il y a de quoi s'inquiéter.

En ce qui concerne, enfin, ENGIE, je rappelle qu'alors que cette entreprise s'appelait encore GDF, M. Sarkozy avait expliqué, comme l'a fait Mme Borne à propos de la SNCF, qu'elle ne serait jamais entièrement privatisée et que l'on ne toucherait jamais aux actions de l'État. Or on nous annonce aujourd'hui une privatisation encore plus accentuée. Depuis la privatisation, le coût du gaz a explosé. Il nous semble donc que, s'agissant d'un secteur stratégique, c'est là une politique de court terme.

La situation est donc absurde, mais elle l'est encore plus dans la mesure où il s'agit d'une très mauvaise affaire pour l'État. On nous dit que toutes les recettes seront placées dans un fonds d'investissement et que l'on n'en touchera que les intérêts. Vous-même nous expliquez que ces intérêts s'élèveront, au total, à 250 millions d'euros. Or, l'an dernier, la totalité des actions de ces entreprises ont rapporté 750 millions d'euros à l'État. Vous vous référez alors aux chiffres de je ne sais quelle année pour nous prouver qu'il est arrivé que le rendement ne soit pas supérieur à 250 millions d'euros, mais cela vous oblige à manipuler les chiffres. Si l'on considère la moyenne, vos arguments ne tiennent pas, et vous le savez.

Ces cessions cassent donc en deux notre souveraineté dans de nombreux domaines stratégiques. En outre, vous vous réservez le droit de changer de stratégie sans que le Parlement intervienne. Enfin, je viens de le dire, c'est une gabegie pour l'État.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre les crédits de cette mission.

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