Intervention de Daniel Verwaerde

Réunion du mardi 6 décembre 2022 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Daniel Verwaerde, ancien administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives :

Plusieurs pays s'intéressent à cette technologie. En premier lieu, les États-Unis, qui ont commencé avant nous et s'étaient arrêtés, sont peut-être en train de reprendre leurs travaux.

La Russie a toujours mené de pair plusieurs programmes de réacteurs, dont des réacteurs de troisième génération à eau pressurisée, remarquables, et des réacteurs à neutrons rapides qui, pour l'essentiel, fonctionnaient à l'uranium enrichi et non au plutonium – cela a peut-être évolué depuis. La France avait une véritable avance parce qu'elle faisait fonctionner son réacteur rapide avec un oxyde d'uranium et de plutonium, alors que les Russes, à ma connaissance, n'utilisaient que de l'uranium enrichi. Ils avaient un réacteur de 300 ou 400 mégawatts, en ont mis en service un autre de 600 à 800 mégawatts, que j'ai pu visiter, et avaient le projet d'en construire un encore plus gros. L'important est de savoir s'ils peuvent utiliser le cycle de l'uranium 238 plutôt que d'être obligés d'aller à la mine ; je ne suis pas sûr que ce soit le cas. Il faudrait poser la question à mon successeur car, n'étant plus aux affaires, je n'ai plus accès à ce genre d'information.

Le Japon a développé deux prototypes. L'un était arrêté pour longtemps, le second était à l'arrêt mais ils entendaient le redémarrer.

Deux autres pays sont en train de s'y mettre : l'Inde et la Chine. La Chine a un programme très volontariste. Elle s'est beaucoup inspirée de la politique française. Sa démarche stratégique dans le domaine nucléaire est la copie conforme de ce que nous avons fait en France. Leur objectif est de fermer le cycle en économisant l'uranium à la mine et d'utiliser le mieux possible l'uranium. Ils avancent à marche forcée. Je ne serais pas étonné que le premier État capable de faire le réacteur que nous avons différé soit la Chine.

L'Inde travaille depuis très longtemps sur ces réacteurs, mais je ne suis pas certain qu'ils relèvent tous du domaine civil. Il se peut qu'ils soient dans le domaine militaire, car ils ont bloqué l'inspection de leurs installations par WANO (World Association of Nuclear Operators), l'association mondiale des exploitants nucléaires qui envoie des experts dans l'ensemble des sites pour faire des audits et améliorer la sûreté.

Nous avons probablement pris du retard sur ceux qui parviendront à mettre en service un réacteur de 600 ou de 1 000 mégawatts. Si les Russes amélioraient un peu leur combustible, ils pourraient même le faire dès maintenant. Mais il ne faut pas raisonner comme cela : la seule chose qui compte, c'est que la France possède les outils qui lui permettent d'avoir son électricité, si possible de manière autonome.

Tout l'intérêt du milliard que nous avons dépensé dans le programme Astrid, c'est que nous avons évité de perdre des connaissances, que nous avons remis à niveau la plupart des choses que nous savions et que nous l'avons fait de manière active : mieux que de l'archivage, nous avons fait de la conception.

De la même manière, chez les industriels, on a commencé à retrouver la supply chain. Un réacteur nécessite de l'argent non seulement pour sa construction mais aussi pour sa supply chain, qui couvre tant le réacteur que le cycle du combustible. Les dépenses nécessaires au fonctionnement d'un réacteur s'élevaient probablement à 30 ou 40 milliards en tout, la chaîne industrielle de combustible à elle seule coûtant plusieurs milliards – dans le nucléaire, l'unité de compte, c'est le milliard. J'ai donc pensé que le moment n'était pas venu de remobiliser tout ce secteur. Continuer à monter en compétence était probablement ce qui coûtait le moins cher et qui était le plus efficace, avec le peu d'argent dont disposait la France. Nous sommes en effet un pays de taille moyenne, nous ne sommes pas les États-Unis ni la Chine : il fallait donc faire astucieux à défaut de faire gros.

S'il n'est pas trop tard, je pense qu'il serait opportun de se demander quel est le bon moyen de monter en compétence et d'être capable de construire, après avoir « déverminé » ou débogué tout ce qu'on n'a pas encore vu avec de la simulation, de manière à être bien meilleurs que ce que nous étions en 2020 si le Président de la République nous demande de relancer le recyclage dans les années qui viennent. Je ne suis pas là pour pendre qui que ce soit, mais pour que la France ait le réacteur dont elle a besoin pour assurer son autonomie grâce à l'uranium 238.

C'est pour cela que j'insiste autant sur les chiffres. Retenez qu'il y a 300 000 tonnes d'uranium 238 et qu'en une année, nous en consommons 36 ; même si la consommation devait atteindre 50 tonnes, nous en aurions pour 6 000 ans. Certes, produire un kilowattheure avec un réacteur à neutrons rapides coûte plus cher qu'avec un EPR, mais la crise de l'énergie remet le neutron rapide en selle car elle gomme son désavantage financier. C'est une affaire de long terme : dans cent ans, il n'y aura plus d'uranium sur Terre et les éoliennes, intermittentes, ne pourront supplanter les autres énergies. Quant à l'hydraulique, presque tous les sites propices à cette énergie sont déjà équipés : la seule chose qu'on puisse faire, c'est augmenter de 20 % la production, mais ça n'ira pas beaucoup plus loin – la PPE ne contient d'ailleurs que des objectifs microscopiques sur ce point. Il est donc nécessaire d'avoir un plan B, d'être résilient vis-à-vis de l'intermittence.

Enfin, en tant que physicien et mathématicien, je pense qu'il faut prendre le réchauffement climatique au sérieux. Continuer à rejeter du CO2 ne me semble pas être la meilleure idée pour laisser une Terre propre à nos enfants. En ce sens, je suis un écolo plus que convaincu.

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