Intervention de Andy Kerbrat

Séance en hémicycle du lundi 9 janvier 2023 à 16h00
Réforme de la voie professionnelle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndy Kerbrat, professeure des universités et directrice du Certop :

Je vous remercie pour votre invitation. Chercheuse et professeure des universités à l'université Toulouse Jean-Jaurès, je dirige en effet également le centre d'étude et de recherche travail, organisation, pouvoir. Je viens de publier un ouvrage consacré aux élèves de lycées professionnels et aux apprentis.

Mon intervention sera structurée autour de trois dimensions : le public, la recherche d'une place et les conditions de formation. Les élèves des lycées professionnels et les apprentis partagent une caractéristique : l'indissociabilité de leur origine populaire et de leurs difficultés scolaires. À niveau scolaire strictement comparable, la probabilité pour que les élèves d'origine populaire soient orientés vers un bac professionnel est 93 fois plus élevée et vers un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) 166 fois plus élevée. Ces similitudes s'arrêtent toutefois là. À la suite des réformes menées à partir des années quatre-vingt, orientées vers la valorisation de l'entreprise formatrice et le rapprochement entre l'école et l'entreprise, l'apprentissage est devenu très sélectif.

L'enquête que nous avons menée pour l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) et le ministère de la jeunesse a établi que, chaque année, la proportion d'élèves de lycées professionnels souhaitant entrer en apprentissage mais ne trouvant pas de place était de 30 %. L'analyse des sas de sélection met au jour l'importance du capital d'autochtonie, autrement dit les réseaux permettant d'accéder rapidement à une bonne place en apprentissage. Elle souligne également la sursélection dont font l'objet les filles, l'éviction des jeunesses les plus paupérisées et des jeunes marqués par une histoire migratoire, ainsi que l'élimination des plus jeunes. Rappelons qu'avec l'arrêt des politiques de redoublement, près de sept jeunes sur dix entrent en lycée professionnel à l'âge de 14 ou 15 ans. Phénomène relativement nouveau, le lycée professionnel doit désormais accueillir les élèves dont l'apprentissage ne veut pas, des adolescents parmi les plus fragilisés sur le plan tant social qu'économique ou scolaire, confrontés à des choix professionnels précoces, à une recherche de stage souvent très longue et difficile et à des conditions de travail dégradées. Dans ce contexte, il est urgent de mettre en œuvre des concertations entre les établissements scolaires et les entreprises, un accompagnement des jeunes lors des périodes de stage et un contrôle des conditions de formation.

Le travail éprouve le corps, il impose de tenir les postures, de supporter les charges et le rythme de la production, sans compter le poids des trajets, souvent très longs, auquel s'ajoute parfois celui du travail domestique. Ce sont donc les plus jeunes et les moins qualifiés qui ont à subir les conditions de travail les plus dégradées : taux très préoccupant d'accidents du travail, horaires excessifs, exposition aux produits toxiques – un quart des jeunes alternants sont exposés à au moins un agent cancérigène. À côté des travaux encadrés par la loi, il existe des tâches confiées aux filles qui ne font pas ou peu l'objet d'une législation. Citons le cas des jeunes filles travaillant dans l'esthétique, qui sont conduites à faire des massages de fesses à des hommes, ou encore de celles du secteur de l'aide à la personne, qui doivent effectuer les toilettes des personnes âgées, parfois même des toilettes mortuaires.

Alors que la France a su développer dans les décennies d'après-guerre des écoles professionnelles capables de former des travailleurs compétents et des citoyens éclairés, cinquante ans plus tard, le projet de réforme voulu par le Gouvernement réduit les élèves, des adolescents, à leur statut de travailleur.

Mesdames et messieurs les députés, il est impensable qu'une réforme éducative se réduise à la prolongation des périodes en entreprise avec pour seule ambition de faciliter l'accès à l'emploi. Outre le fait qu'il n'y aura pas de places pour toutes et tous, le risque est que le lycée professionnel ne soit plus qu'une ressource pour assurer la scolarité obligatoire et que les stages ne se limitent, ce qui est déjà bien souvent le cas, à une socialisation à l'esprit d'entreprise. Le lycée professionnel doit avoir les moyens de délivrer un enseignement complet, une culture technique et une culture générale permettant aux élèves non seulement d'acquérir un métier mais aussi de s'approprier les débats de leur temps.

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