Intervention de le général d'armée Thierry Burkhard

Réunion du mercredi 11 janvier 2023 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général d'armée Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées :

Á mon tour, je vous souhaite à tous une très bonne année 2023 et vous remercie pour ce que vous avez fait en 2022. Au cours de l'année à venir, qui s'annonce importante à de nombreux égards, nous travaillerons sans nul doute ensemble, en particulier sur la nouvelle loi de programmation militaire dont vous allez débattre.

Je vous l'ai dit en octobre dernier, l'attaque de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, constitue un point de bascule qui nous fait changer de monde. La recomposition de l'ordre stratégique est toujours en cours et personne ne mesure encore exactement l'étendue des changements. Pourtant il importe d'ores et déjà de réinterroger systématiquement nos choix antérieurs. Cela ne signifie pas que tout ce que nous faisions auparavant n'a plus lieu d'être mais une interrogation générale s'impose sur la pertinence de notre action aujourd'hui, et y compris en matière de dissuasion. Il y a donc beaucoup de sens à votre cycle d'auditions sur ce sujet fondamental pour notre défense. C'est d'autant plus opportun que depuis le début de la guerre en Ukraine, chacun a constaté la banalisation du recours à la rhétorique nucléaire dans les media, comme s'il ne s'agissait seulement que d'une arme de plus. Ce n'est évidemment pas le cas : l'arme nucléaire est un sujet d'un ordre supérieur, parce qu'il s'agit d'abord d'un changement de nature de l'affrontement. La chose nucléaire répond à une logique propre qui doit être mieux connue et mieux cernée, pour éviter à la fois de la banaliser et de la fantasmer.

J'estime que les modalités de mise en œuvre de la dissuasion nucléaire française par les armées demeurent crédibles parce qu'elles se sont en permanence adaptées aux évolutions des menaces et de la technologie. Cette dynamique soutient la pertinence d'une fonction stratégique dont le secret et l'ambiguïté, nécessaires à sa crédibilité, ne doivent pas laisser penser à un immobilisme qui la disqualifierait.

Je rappellerai mes responsabilités dans l'exercice de la dissuasion, avant de décrire en quoi la dissuasion nucléaire constitue la clé de voûte de notre stratégie de défense. Je conclurai en partageant avec vous les enseignements en matière de dissuasion que je tire de la guerre en Ukraine.

Vous savez le lien direct entre le chef d'état-major des armées et le Président de la République dans le domaine des opérations conventionnelles. Cette relation est tout aussi directe pour ce qui concerne la dissuasion, mais elle comporte un degré supplémentaire de densité. Chef des armées, le Président de la République incarne encore plus profondément la dissuasion et décide directement de tout ce qui a trait à la doctrine, aux moyens, au niveau d'alerte et à la mise en œuvre. Pour ce faire, il est assisté par l'état-major particulier, qui le conseille dans l'exercice de ses responsabilités.

À partir des directives du Président de la République, il me revient de décliner mes responsabilités propres, qui se répartissent en deux volets. Le premier a trait aux aspects opérationnels. Il m'incombe d'abord de garantir la tenue de la posture de dissuasion, c'est-à-dire sa crédibilité, son invulnérabilité et son efficacité : en préparant des plans d'emploi ; en fixant les directives opérationnelles des forces nucléaires ; en m'assurant en permanence de leur capacité opérationnelle ; en informant le ministre des armées et en rendant compte au Président de la République de l'état des moyens ; le cas échéant, en m'assurant de l'exécution des ordres d'engagement qui seraient donnés par le Président de la République. Au titre du contrôle gouvernemental dont la responsabilité revient à la Première ministre, je m'assure que toutes les mesures sont prises pour garantir au Président de la République qu'il dispose en toutes circonstances des moyens de la dissuasion et qu'ils seront mis en œuvre conformément à ses directives. Au bénéfice du ministre des armées, je m'assure de la bonne exécution de ses décisions au sein des armées, notamment de l'organisation, de la gestion, de la mise en condition d'emploi des forces nucléaires et de l'infrastructure qui leur est nécessaire.

À cette fin, je dispose d'une division de l'état-major des armées, la division Forces Nucléaires, qui inclut notamment le centre d'opérations des forces nucléaires. J'ai sous mes ordres trois commandants de force nucléaire : le général commandant les forces aériennes stratégiques (FAS), l'amiral commandant la Force océanique stratégique (FOST) et l'amiral commandant la Force aéronavale nucléaire (FANU). Je suis également assisté par le chef d'état-major de la Marine et par le chef d'état-major de l'armée de l'Air et de l'Espace, qui me conseillent en ce domaine comme ils le font dans le domaine des forces conventionnelles, et sur lesquels j'ai autorité, conformément au code de la défense, dans le domaine de l'emploi et dans le domaine capacitaire.

Qui dit domaine capacitaire dit aspects programmatiques ; c'est l'autre volet de mes responsabilités. Au-delà des mesures prises pour assurer la permanence de la dissuasion au quotidien, il importe de préparer l'avenir. Pour ce faire, je participe, avec le délégué général pour l'armement et le directeur des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, à l'élaboration des capacités futures par l'expression du besoin opérationnel pour les composantes océanique et aérienne et aussi pour les systèmes de transmissions nucléaires, dont je souligne l'importance capitale. Parce qu'il n'y a pas de dissuasion possible sans capacité à transmettre les ordres, les transmissions constituent une priorité d'investissement majeur. Les besoins en ce domaine sont définis en fonction de l'analyse stratégique de la menace et des perspectives d'évolution. Nos capacités ne sont plus celles du XXème siècle : elles s'adaptent en permanence aux évolutions prévisibles et prospectives des défenses adverses, en particulier aux progrès des défenses sol-air et antimissiles. Cela dit toute l'importance du renseignement, et donc de capacités de recherche et d'analyse autonomes pour évaluer le durcissement possible des défenses adverses.

Notre arsenal nucléaire est aussi dimensionné conformément au principe de stricte suffisance. Pour obéir à ces deux principes – adaptation permanente à la menace et stricte suffisance –, il peut être nécessaire de proposer des inflexions programmatiques, en concertation avec la direction générale de l'armement. Enfin, je m'assure que les jalons de renouvellement sont respectés et que les matériels répondent aux spécifications. En matière de dissuasion, les capacités d'anticipation et la prise en compte de l'ensemble des facteurs qui pourraient perturber le développement capacitaire sont capitales.

Le deuxième chapitre de mon propos a trait aux conditions de la contribution des armées à la dissuasion nucléaire. La dissuasion est la clé de voûte de la stratégie de défense française d'abord parce qu'elle se construit à partir des décisions du Président de la République, qui tire sa légitimité du suffrage universel. La doctrine est fixée par le chef de l'État au terme d'une réflexion minutieuse. L'expression de la doctrine se fait toujours et uniquement par le biais de la parole présidentielle, seule à même d'énoncer les inflexions éventuelles. Lors de son premier mandat, le Président de la République a ainsi rappelé explicitement les contours de la dissuasion nucléaire. Son discours du 7 février 2020, prononcé à l'École militaire, est notre référence de travail, et l'ambition exprimée par le chef de l'État en matière de dissuasion nucléaire se retrouve explicitement dans la revue nationale stratégique 2022, comme le signalent les trente-et-une occurrences du terme « dissuasion » et l'objectif stratégique n° 1 : « La France est et restera une puissance dotée d'une dissuasion nucléaire robuste et crédible, atout structurant de dialogue stratégique et de protection de nos intérêts vitaux ». La grande verticalité de notre dissuasion lui confère sa légitimité et donc sa crédibilité politique.

Sur quels principes reposent notre dissuasion ? Le premier principe est celui d'une dissuasion par représailles, qui a pour avantage de porter le doute chez l'adversaire. La question qui se pose à lui est : « Une agression vaut-elle la peine d'être tentée au regard des risques encourus ? ». Les présidents de la République Française ont choisi cette forme de dissuasion parce qu'elle répond à une aspiration exclusivement défensive. Plus concrètement, pour donner la preuve de sa crédibilité, notre dissuasion doit s'exercer en permanence. Ensuite, elle maintient une ambiguïté : sur la nature de nos intérêts vitaux et l'acceptation des formes de menaces qui pourraient s'appliquer sur eux et sur la nature de la riposte et des dommages inacceptables pour l'ennemi. Elle ne s'articule pas autour de la notion de seuil, car cela permettrait à nos adversaires de manœuvrer autour en conscience et de contourner notre dissuasion « par le bas ». Notre capacité de dissuasion garantit les possibilités de frappe en second par la redondance des moyens et l'invulnérabilité de la composante océanique. L'éventualité d'utiliser l'arme nucléaire en premier est assumée : notre doctrine n'est ni celle du non-emploi en premier ni celle de la finalité unique, selon laquelle l'arme nucléaire ne s'adresse qu'à la menace nucléaire. Là est toute l'ambiguïté voulue pour permettre la pleine efficacité de notre dissuasion.

À quoi sert la dissuasion ? La dissuasion sert à empêcher la guerre. La stratégie nucléaire française vise fondamentalement à empêcher une guerre qui porterait atteinte à nos intérêts vitaux. Le rôle de la dissuasion est donc circonscrit aux circonstances extrêmes de légitime défense. Les armes nucléaires françaises ne sont pas conçues comme des outils d'intimidation offensive, de coercition ou de déstabilisation. La dissuasion nucléaire ne vise ni à gagner une guerre ni à empêcher de la perdre. Cela nous permet aussi d'assumer les responsabilités d'un État doté vertueux et d'une puissance d'équilibres. La France, puissance nucléaire, est aussi un moteur de l'intégration européenne et un allié de premier rang au sein de l'Otan. La dissuasion est également un outil d'influence et de rayonnement international, notamment par la valorisation de notre crédibilité technologique dans le domaine de la recherche scientifique et des industries de pointe, qui nous tirent vers le haut ; le délégué général pour l'armement abordera certainement ces points plus précisément.

La dissuasion sert enfin à signifier notre détermination. D'une part, les armes nucléaires sont des armes de non-emploi, c'est-à-dire que ce ne sont pas des armes du champ de bataille. En revanche, les forces nucléaires sont des forces employées en permanence pour le signalement stratégique dans les phases de compétition, de contestation et d'affrontement vis-à-vis de nos alliés et de nos adversaires. D'autre part, notre statut d'État doté nous permet d'activer des canaux de communication directs pour dialoguer avec des parties au conflit, en complément des messages de portée plus générale qui passent par d'autres relais.

Comment l'exercice de la dissuasion est-il assuré dans les armées ? Tout d'abord, par l'épaulement mutuel des forces nucléaires et conventionnelles que le Président de la République a souligné dans son discours de février 2020. Les forces conventionnelles renforcent la dissuasion en crédibilisant notre capacité à résister à une agression, évitant ainsi le contournement par le bas, c'est-à-dire une menace de faible ampleur qui nous confronterait rapidement au choix du « tout ou rien ». Il s'agit donc, avec les forces conventionnelles, de tester au plus tôt la détermination de l'adversaire en le forçant à dévoiler ses intentions, de le contenir pour permettre aux forces nucléaires de monter en puissance ou de l'empêcher de créer un fait accompli, telle la prise d'un gage territorial. Inversement, la capacité d'exercer une pression stratégique sous la forme d'un dialogue dissuasif sur un adversaire ou son allié potentiel donne davantage de latitude aux forces conventionnelles pour exprimer toute la palette de leurs savoir-faire dans un conflit : en ce sens, inversement, le nucléaire épaule les forces conventionnelles pour éviter un contournement par le haut. De façon générale, cette logique « d'épaulement » renforce la liberté d'action du Président de la République en termes d'emploi des forces conventionnelles, dont les capacités doivent être en cohérence avec la puissance destructrice du nucléaire.

Les commandements des forces détailleront devant vous leur contribution respective à notre dissuasion nucléaire. Pour ma part, je souligne l'importance de disposer de deux composantes aux capacités et aux modes d'action distincts, employables selon des modalités plus ou moins discrètes pour garantir les principes que j'ai évoqués et pour fournir plus d'agilité dans les manœuvres de signalement en se fondant sur les caractéristiques de chaque force. La force océanique stratégique, c'est la garantie de frappe en second par l'invulnérabilité des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et la permanence ; les forces aériennes stratégiques, qui tiennent aussi une posture permanente, c'est la démonstrativité, la réversibilité, c'est-à-dire la possibilité d'arrêt en cours d'action et l'adaptabilité en fonction du volume choisi des raids aériens. La force aéronavale nucléaire maintient l'ambiguïté et offre d'autres modes d'actions. La dissuasion s'appuie sur une culture stratégique nucléaire qui, avec une cinquantaine d'années de recul, atteint une bonne maturité. Depuis la première permanence sur Mirage IV en 1964 et la première patrouille du Redoutable en 1972, les pratiques ont été l'objet d'adaptations régulières, En résumé, la crédibilité opérationnelle complète la crédibilité politique et technologique.

J'en viens à quelques points particuliers du dialogue stratégique avec nos alliés. Par son statut d'État doté, la France occupe une place singulière au sein de l'Otan. Cette singularité se traduit par sa liberté d'appréciation et de décision. La liberté d'appréciation, c'est sa capacité de renseignement ; la liberté de décision, c'est la position souveraine de la France, qui se traduit par la non-participation au groupe des Plans nucléaires de l'Otan même si, évidemment, un dialogue existe à ce sujet entre les alliés. Ensuite, la position spécifique de la France vise à éviter tout mécanisme d'adossement du niveau d'alerte de nos forces nucléaires à celui de l'Otan. Toutefois, la France soutient sans réserve l'idée d'une conscience collective nucléaire et elle continuera de s'investir pleinement dans toutes les initiatives de l'Alliance atlantique visant à rappeler sa dimension nucléaire et à développer l'appropriation d'une culture de la dissuasion par tous ses membres.

Nos forces nucléaires ont une dimension authentiquement européenne. Tout d'abord, elles renforcent la sécurité de l'Europe en compliquant notablement l'équation d'un adversaire potentiel qui serait confronté à la fois aux dissuasions nucléaires américaine, britannique, otanienne et française. Avec les difficultés d'appréciation qui en résulteraient, les possibilités que s'exerce une menace nucléaire en retour s'en trouveraient ainsi évidemment multipliées. De plus, les intérêts vitaux de la France, puissance continentale, ont une dimension européenne, comme l'a expressément rappelé le Président de la République. C'est l'expression la plus naturelle et la plus forte du constat que notre indépendance de décision est pleinement compatible avec la solidarité à l'égard de nos partenaires européens. D'ailleurs, Français et Britanniques ont affirmé dès 1995 ne pas imaginer de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'un pourraient être menacés sans que ceux de l'autre ne le soient aussi. Ce très haut niveau de confiance mutuelle, réaffirmé dans les accords de Lancaster House signés en 2010, se traduit par une coopération nucléaire étroite qui se poursuit de manière déterminée.

Vous ayant décrit les contours de notre dissuasion nucléaire, qui a su se développer et s'adapter, je voudrais partager quelques enseignements qui peuvent être tirés des récentes évolutions de l'environnement stratégique, singulièrement de la guerre en Ukraine, et comment le fait nucléaire a été impliqué et utilisé. Des manœuvres de forces nucléaires russes apportant un signal stratégique clair ont eu lieu avant même le début des opérations. Ensuite est venue la réponse d'une partie des acteurs occidentaux, notamment la France, dont les signalements dans ce registre ont été bien perçus par la Russie. Puis on a noté l'entretien constant de la menace nucléaire russe, illustrée par un discours récurrent extrêmement agressif, ainsi que la poursuite, à un niveau au moins égal à celui d'avant-guerre, des entraînements russes de préparation opérationnelle dans le domaine nucléaire. On constate aussi que la disponibilité et la crédibilité des forces nucléaires russes restent au meilleur niveau. La Russie continue de faire de ses forces nucléaires une priorité qui bénéficie de la poursuite d'investissements, d'entraînements et d'une mise en valeur extrêmement forte.

Cette rhétorique offensive s'accompagne d'une banalisation du fait nucléaire très sensible dans le traitement de l'information. Vous avez aussi noté l'emploi pendant le conflit de certaines armes de niche dont la mise au point avait été annoncée par le président Poutine, des missiles hypersoniques en particulier. Si leur résonance médiatique était assez forte, leur efficacité opérationnelle sur le terrain l'était moins ; ces armes sont encore en cours de développement. Pour autant, ce sont des axes de recherche dans lesquels la Russie progresse, en y consacrant des efforts considérables. Nous voyons donc se dérouler une guerre conventionnelle avec une dimension nucléaire à la fois stratégique mais aussi tactique et même une dimension nucléaire civile. La dialectique stratégie conventionnelle-stratégie nucléaire est pleinement exploitée, avec ses échanges directs et indirects, formels et informels.

Quelles ont été les actions françaises ? La réactivité des forces conventionnelles est à souligner : manœuvre de réassurance des alliés avec des avions Rafale au-dessus de la Pologne le jour même de l'attaque russe ; réorientation du groupe aéronaval dans une mission identique au-dessus de la Croatie et de la Roumanie ; déploiement de la force de réaction rapide de l'Otan, armée par un bataillon français en Roumanie. La réactivité des forces nucléaires françaises est venue en appui du dialogue politique. Ces forces ont fait preuve de réactivité et de souplesse dès le début de la crise et elles ont été adaptées pour produire les effets demandés. En résumé, c'est un très bon exemple de l'épaulement entre forces conventionnelles et forces nucléaires et des capacités globales de nos armées.

La guerre en Ukraine confirme la valeur stratégique de la dissuasion nucléaire et son effet modérateur dans tout conflit impliquant une ou plusieurs puissances dotées. Chacun a d'ailleurs constaté une grande retenue de la part des forces russes vis-à-vis de l'Otan : ils ont pris garde à ce qu'aucune de leurs actions ne puisse être interprétée comme une forme d'agressivité vis-à-vis des forces de l'Otan. L'autre enseignement à tirer de la guerre en Ukraine est bien sûr le retour de l'équilibre de la terreur par la menace de la force, un agissement coutumier pendant la Guerre froide.

La manœuvre de sanctuarisation agressive menée par la Russie est un dévoiement de la doctrine de la dissuasion, arme visant à empêcher la guerre. Aujourd'hui comme en 2014, la Russie dévoie sa dissuasion pour conduire une agression sous protection nucléaire. Notre liberté d'action est impactée par la menace nucléaire de l'agresseur. C'est une déclinaison de la logique des engagements imposés que j'ai eu l'occasion d'évoquer devant vous lors de mes précédentes auditions. C'est aussi une transformation profonde du cadre de la stabilité stratégique, de la non-prolifération et du désarmement. Le non-respect des engagements du mémorandum de Budapest de 1994 vis-à-vis de l'Ukraine démontre la faiblesse des garanties négatives de sécurité. L'issue du conflit sera évidemment un indicateur très fort pour un grand nombre de pays, qui pourraient considérer finalement que s'ils ne disposent pas de l'arme nucléaire, ils ne sont plus protégés. Cela donne néanmoins plus de valeur aux mécanismes de défense collective, et cela se traduit par la revitalisation des grandes alliances, comme on le voit avec la demande d'adhésion à l'Otan de la Suède et de la Finlande qui veulent rejoindre l'Alliance atlantique et son parapluie nucléaire.

Même si la dissuasion nucléaire a jusqu'à présent joué son rôle, objectivement modérateur, dans la conduite des opérations, en particulier dans la limitation de l'escalade et la préservation de notre capacité à soutenir l'Ukraine, il faut maintenant creuser la réflexion sur les conséquences que pourrait tirer la Russie de son incapacité à contraindre ce soutien dans la durée.

J'insiste, pour conclure, sur le caractère strictement défensif de la dissuasion française. Elle vise fondamentalement à empêcher la guerre. C'est une dissuasion tout azimut qui ne cible aucune nation en particulier. Au fil des ans, la dissuasion s'est toujours adaptée pour répondre aux défis de l'évolution de la menace et de la technologie. C'est en lui donnant les moyens de poursuivre ces ajustements en permanence que l'on permettra à la dissuasion nucléaire de continuer d'assurer son rôle de clé de voûte de la défense de la France.

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