Intervention de Emmanuel Chiva

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 11h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement :

En ce qui concerne le nouveau porte-avions, le programme est sous maîtrise d'ouvrage, assurée par la DGA. Le CEA sera responsable des chaufferies, puisque les études préliminaires ont retenu la solution d'une propulsion nucléaire.

En ce qui concerne l'allure du PANG, on pouvait en admirer une très belle maquette au dernier salon Euronaval.

Les travaux d'avant-projet sommaires ont démarré depuis mars 2021 et il s'agit notamment d'arrêter les grands choix d'architecture du navire et des chaufferies, pour que nous puissions développer une vision d'ensemble, mais aussi savoir quelles compétences seront nécessaires afin de garantir leur disponibilité dans la durée. Notre attention reste très soutenue en matière de cadencement du programme. Les travaux d'avant-projet détaillés seront lancés par la DGA et le CEA d'ici fin mars 2023. Les conclusions des études d'avant-projet n'ont pas été rendues publiques.

Le projet d'acquisition auprès des États-Unis a reçu un avis favorable des autorités américaines début 2022. Nous acquérons un système de catapultage, l'EMALS (Electromagnetic Aircraft Launch System) et un système d'arrêt des aéronefs. Nous aurons recours à la procédure FMS (Foreign Military Sales).

Toujours à ce sujet, j'en viens à la question de la souveraineté. Il nous faut choisir nos dépendances en fonction de ce que nous sommes prêts à accepter et de ce que nous ne pouvons pas accepter. En ce qui concerne le cœur de la dissuasion, il n'y aura aucune dépendance. Mais s'agissant de ce qui est plus périphérique, nous pouvons nous poser la question. Souvent, on nous demande pourquoi nous nous obstinons à réinventer des choses qui existent déjà, au meilleur état de l'art. Je rappelle aussi que nous sommes alliés des États-Unis et que nous faisons le choix des catapultes américaines depuis soixante ans, depuis le Foch et le Clemenceau.

Par ailleurs, l'acquisition de ces équipements va permettre de consolider les synergies opérationnelles entre les composantes aéronavales de la marine nationale et de l'US Navy, avec laquelle nous coopérons déjà.

Cette coopération ne nous empêche pas de négocier. De plus, des discussions sont en cours avec le gouvernement américain pour obtenir des contreparties industrielles en France, notamment pour la production et les opérations de maintenance. Il s'agit d'une question d'équilibre politique et de choix capacitaires.

Je ne peux vous dire de quelle manière le PANG différera du porte-avions actuel en matière de réponse à la menace et de cycles, ces informations relevant du très secret. Sachez néanmoins qu'un important travail d'anticipation capacitaire est accompli. Des architectes capacitaires du système de défense rejoindront bientôt la nouvelle direction de la préparation de l'avenir et de la programmation, qui utilise la plateforme outillée du Centre d'Analyse Technico-Opérationnelle de Défense (CATOD) pour conduire ses études. Dans le cadre de la transformation de la DGA, nous souhaitons que cette fonction d'architecte capacitaire puisse être renforcée et devenir moteur.

Lorsque j'étais directeur de l'AID, j'avais évoqué ici le programme « Red Team », dans le cadre duquel l'armée fait appel à des auteurs de science-fiction. Ces auteurs avaient ébauché un scénario qui nous a conduits à faire des propositions concernant l'autoprotection du PANG, qui ont été prises en compte lors des études sommaires. Lorsqu'on fait de la prospective, même la plus avancée, les retombées peuvent donc être concrètes.

Voilà ce que je peux dire à ce stade du nouveau porte-avions.

Nous parlons beaucoup du sujet des compétences avec les grands maîtres d'œuvre industriels. Pierre Éric Pommellet, PDG de Naval Group, a dû vous dire que pour certains programmes ne relevant pas de la dissuasion, il avait dû avoir recours à des ouvriers qualifiés venant d'autres pays européens. Cette question nous occupe depuis de nombreuses années.

Dès 2020, le Président de la République nous a demandé de mettre en œuvre un plan de renforcement des compétences de la dissuasion. Il s'agissait d'abord d'identifier les compétences et les moyens critiques nécessaires à la bonne conduite des activités, qui peuvent se loger dans des domaines un peu ignorés. À titre d'exemple, ceux qui travaillent l'acier pour fabriquer les baguettes de soudure des sous-marins ne sont pas nombreux. Il nous fallait aussi renforcer la maîtrise d'ouvrage étatique, de manière quantitative et qualitative. Le plan nous mène jusqu'en 2025 et il concerne tous les industriels de la dissuasion ainsi que les maîtres d'œuvre étatiques.

En termes de compétences critiques de la BITD, nous sommes très sensibles à la transmission des compétences difficiles à acquérir. L'idée d'une réserve industrielle et d'une réserve de la DGA répond à cette préoccupation.

En matière de réserve industrielle, il faut permettre aux professionnels compétents s'apprêtant à quitter leur industrie de soutenir les maîtres d'œuvre, étatiques ou industriels, et de transmettre leurs compétences aux plus jeunes ou aux derniers arrivants. Le ministre des armées nous a demandé de créer cette réserve industrielle pour nous permettre de répondre au défi de ce tuilage. Je crois beaucoup à ce modèle qui peut nous permettre de limiter les impacts du problème.

Garantissons-nous la performance ? La réponse est oui. Nous ferons en sorte de maintenir cette BITD. À cet égard, j'ai déjà évoqué le renforcement du contrôle de la performance et de la qualité, ainsi que la création d'une direction de l'industrie de défense. Nous allons aussi créer une structure spécifiquement dédiée à la résilience cyber des entreprises, qui constitue un sujet de préoccupation majeur.

Enfin, nous développerons un bureau responsable des questions de cession et de résilience des cessions d'entreprises. En effet, un certain nombre de sous-traitants industriels spécialisés dans la mécanique, la micromécanique ou la chaudronnerie par exemple, qui possèdent des savoir-faire très particuliers, sont souvent des entreprises familiales. Nous réfléchissons à la manière d'accompagner celles dont le propriétaire cherche à céder ses actifs, pour qu'il le fasse au profit de la filière.

Ce sujet pose aussi la question de la souveraineté et, malgré ce qu'on peut lire parfois dans les médias spécialisés, nous sommes très attentifs à assurer la protection des entreprises sensibles, ce qui n'est pas toujours évident. Quand un propriétaire cherche à transmettre la société que ses enfants ne souhaitent pas reprendre, notre rôle est de l'accompagner dans cette démarche. Nous créerons donc ce service supplémentaire afin de garantir la résilience de la BITD et des PME, qui en sont les composantes les plus fragiles.

Le sujet des personnels qualifiés et de leur disponibilité pour assurer notre mission en matière de nucléaire militaire nous préoccupe également. À cet égard, le plan de relance pour le nucléaire civil et le nouveau nucléaire bénéficiera à toute la filière. Je discuterai notamment avec le délégué interministériel au nouveau nucléaire, qui est aussi mon prédécesseur. Les industriels ont déjà commencé à anticiper et nous sommes associés à leur démarche. Le cas de la soudure fournit un bon exemple et Naval Group développe avec EDF des écoles conjointes. Il s'agit de prendre en compte le plus tôt possible cette problématique de la disponibilité.

Enfin, j'en viens à la transformation de la DGA. La direction avait déjà créé l'AID en 2018, dans le cadre de laquelle nous avons commencé à nous demander comment accompagner les start-up, comment attirer les talents venant de ce monde-là, mais aussi comment laisser partir les professionnels pour les accueillir de nouveau. Cette question dépasse celle de la dissuasion : la synergie avec le monde de l'industrie et de l'entreprenariat serait plus fertile si nous étions capables d'accueillir de nouveau nos talents. Il faut encourager ces allers-retours et faire en sorte qu'il ne s'agisse plus d'allers simples. Les ingénieurs civils et militaires peuvent acquérir des compétences dans les start-up et les PME, à nous d'apprendre à valoriser leurs expériences pour les faire revenir.

De la même manière, industriels et entrepreneurs devraient pouvoir mettre à disposition des ressources au sein de la DGA pour une durée limitée, avec toutes les considérations éthiques et déontologiques qui s'imposent, pour nous faire bénéficier de leur expérience. Ils pourraient devenir réservistes de la DGA et cette réserve va être refondue. En effet, il fallait jusqu'à maintenant être ingénieur pour en faire partie, alors que la présence d'un directeur commercial ou d'un directeur des affaires juridiques serait intéressante. Ces professionnels regagneraient ensuite leur industrie, où ils deviendraient ambassadeurs de la DGA et de ses valeurs, parmi lesquelles la souveraineté et l'importance de la dissuasion. Tout se tient et nous retrouvons ici le rôle du discours à développer autour de la grammaire de la dissuasion, qui pourrait être renforcé par un tel mécanisme.

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