Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Arnaud Montebourg, ancien ministre du redressement productif (2012-2014) :

Ces questions sont d'actualité ; j'y répondrai avec mes convictions et en tenant compte de mon expérience.

Oui, il y a urgence à rétablir la situation d'EDF. À chaque fois qu'on affaiblit cette entreprise, on affaiblit la France. EDF a permis d'assurer partout sur le territoire et pour tout le monde, depuis 1945, un prix de l'électricité identique. Cette mesure de solidarité n'a pas empêché de garantir la compétitivité économique du pays, grâce au fait que le prix de l'énergie était accessible pour les entreprises.

La première mesure à prendre consiste à pallier les conséquences de la loi de 1996, qui visait à transposer une directive. Nous n'avons pas besoin de traders, comme vous l'a dit très justement M. Proglio : ils sont comme le lierre dévorant le tronc de l'arbre sain, pompant la sève d'EDF. Il faut donner à EDF du cash flow pour réaliser les investissements nécessaires, que ce soit dans les énergies renouvelables – y compris les barrages – ou dans le nouveau nucléaire.

Deuxièmement, les prix de marché doivent retrouver un niveau acceptable pour EDF – ce qui conduit à poser la question du fonctionnement du marché européen de l'énergie. Il y a urgence à le faire, pour les Français et pour les entreprises.

J'approuve l'idée de réintégrer RTE à la production. Même s'il est encore à 51 % sous le contrôle d'EDF, je crois savoir qu'il y a des projets d'« émancipation », qu'il faut combattre. Toute entreprise a intérêt à intégrer sa valeur. Les financiers, eux, se sont spécialisés dans ce qu'ils appellent le « cœur de métier » : « Le vôtre n'est pas celui-ci, donc, vendez-le ! ». En France, nous avons ainsi multiplié les découpages. Regardez ce qu'il est advenu de la CGE, d'Alcatel, de Thomson, d'Alsthom ! À force de découpage, il n'est plus resté que des miettes que l'on a laissées vendre. Une véritable stratégie, au contraire, repose sur la réintégration de la valeur et la réunion de métiers. Dans la mondialisation, ce sont les grands pays qui ont su garder des conglomérats en réunissant plusieurs métiers en un qui ont survécu, en étant ainsi capables de faire face à plusieurs cycles : Siemens, les grandes entreprises japonaises et américaines. Regardez General Electric, avec l'imagerie médicale, les moteurs d'avions, l'électricité et, même, la banque ! Tel n'est pas le cas de la France. Eux rachètent, nous, nous vendons.

Le saucissonnage, à mes yeux, c'est terminé ! Un problème se posera avec Enedis, les collectivités locales – qu'il n'est pas question de spolier – étant propriétaires des réseaux. Néanmoins, cela relève de la puissance publique et il est de bonne politique que, sur le terrain, on se préoccupe des aspects les plus concrets. L'alimentation de notre pays en électricité, dans sa plus extrême capillarité, ne dépend pas du siège d'EDF, avenue de Wagram. En revanche, pour RTE, il faut se montrer d'une grande fermeté. Une proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, dont j'ai félicité le rapporteur, M. Philippe Brun, a été adoptée récemment par votre assemblée et j'espère que le Sénat en fera de même.

Le décret du 14 mai 2014 a été renforcé lors du précédent quinquennat à travers une extension des secteurs : robotique, biotechnologies, etc. Toutefois, le problème n'est pas tant de le renforcer que de l'appliquer, ce qui ne relève pas de la loi mais de ce qu'il y a dans la tête du « John Malkovich de Bercy ». Faut-il faire valoir le décret contre Carrefour tout en laissant partir Alsthom, Technip, Essilor ? Alimentation Couche-Tard ne partira pas avec des supermarchés sous le bras, en revanche, certains sont partis en Hongrie, depuis Belfort, avec des brevets. Vous devriez aller interroger sur pièce et sur place les fonctionnaires du ministère de l'économie : ils vous diront comment le décret est appliqué, par exemple, quand Photonis fait l'objet d'une mesure. Vous découvrirez bien des choses en matière de souveraineté énergétique.

L'actionnaire veut des dividendes mais il ne faut pas qu'il se comporte comme un actionnaire prédateur. L'État actionnaire de La Française des jeux fonce parce qu'il a besoin d'argent pour arriver à boucler ses fins de mois mais lorsqu'il en est d'EDF ou d'Air France, un énorme problème se pose. Quand Renault va mal, comment l'État actionnaire doit-il voter au conseil d'administration ? En ce qui me concerne, je réunissais les administrateurs – souvent, des fonctionnaires de la direction générale des entreprises (DGE) – pour leur faire part de notre position, laquelle ne saurait d'ailleurs être définitive car des conflits d'intérêts doivent être arbitrés en permanence. Telle est d'ailleurs, précisément, la grandeur de l'art politique exercé par le ministre.

Il en est de même lorsque le président de l'Autorité de la concurrence vient voir le ministre avec un rapport qui dénonce des abus sur les pièces détachées quand Peugeot est en quasi-faillite et que Renault a tout délocalisé. Lui défend le consommateur, conformément à la loi, mais moi, je suis le ministre : lui applique des règles, moi, je fais des choix. Au final : classement vertical de son rapport. Je me dois d'abord de défendre le producteur en difficulté et pas le consommateur pour l'instant. Le président de l'Autorité de la concurrence a alors fait valoir que les choses ne se passent pas ainsi, qu'il représente une autorité administrative indépendante, à quoi j'ai répondu qu'elle était si indépendante que j'allais supprimer son budget.

Ces autorités ne devraient pas être indépendantes mais se situer dans le champ ministériel de l'arbitrage politique. L'arbitrage entre le consommateur – les prix – et le producteur – les dividendes – dépend des circonstances. C'est une autorité administrative indépendante qui, dans le domaine des télécommunications, a accordé une licence à Free, ce qui a profité aux consommateurs, mais il a fallu que le ministre, lui, gère les plans sociaux, la défaisance, les délocalisations des sous-traitants car les dégâts ont été nombreux, suite à la concurrence par les prix. À mon sens, toutes les autorités administratives indépendantes qui œuvrent dans ces secteurs économiques doivent être supprimées. Leur tâche doit relever de l'arbitrage ministériel, sous le contrôle du Parlement. Dans certaines circonstances, il importe de favoriser ou le producteur, ou le consommateur, tout dépend des moments, des secteurs, des cycles économiques. Appliquer dogmatiquement des règles sans opérer de choix relève d'un mauvais pilotage.

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