Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 9h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) :

. – L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Les 1 700 salariés de l'Institut, que je salue, couvrent un large champ de compétences croisées, que l'IRSN mobilise pour assurer ses missions et activités de recherche, de surveillance et d'expertise, y compris en situation d'urgence.

L'IRSN traite de l'ensemble des usages des rayonnements ionisants, des procédés industriels à leurs applications médicales, jusqu'aux effets de la radioactivité naturelle dans l'environnement ou sur la santé.

Depuis vingt ans, il remplit ses missions avec rigueur, exhaustivité et intégrité. Son organisation actuelle permet de mobiliser ses compétences à tout moment, pour toutes ses missions. L'IRSN fait appel aux compétences de ses experts et de ses chercheurs en continu, car l'expertise et la recherche sont imbriquées et portées dans certains domaines par les mêmes personnes. Sa force réside dans la complémentarité de tous les champs couverts. La qualité de son travail est reconnue et je comprends que la décision prise aujourd'hui n'est en rien une critique du travail effectué.

L'appui technique à l'Autorité de sûreté nucléaire représente aujourd'hui 25 % de notre activité. L'IRSN met son expertise au service de nombreux opérateurs et autorités, dont la direction générale de la santé, la direction générale du travail, le ministère des affaires étrangères, notamment dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, le ministère de la transition énergétique et d'autres encore.

Aujourd'hui, le Gouvernement a décidé de faire évoluer le contrôle de la sûreté nucléaire. Mon intervention s'inscrit dans cette logique et s'articulera autour de trois points clés : la séparation entre l'expert et le décideur, l'indispensable combinaison entre expertise et recherche et les enjeux de maintien des compétences, pour répondre aux rendez-vous industriels à venir.

Je pense utile de rappeler les fondements de l'organisation actuelle de la sûreté nucléaire en France. L'accident de Tchernobyl en 1986 a conduit à des réflexions sur les facteurs organisationnels, les processus décisionnels et l'importance des arbitrages entre les préoccupations de sûreté et les autres préoccupations. Les réflexions issues des grandes crises sanitaires, politiques et médiatiques des années 1990 : sang contaminé, crise de la vache folle, etc., ont progressivement conduit à modifier le système français de sûreté nucléaire et de radioprotection. Ces évolutions ont abouti à la création de l'IRSN en 2002 et de l'ASN en 2006. Au fil des années, cette organisation a été très légitimement questionnée à plusieurs reprises. Son efficacité a alors été confirmée.

Le principe de séparation des fonctions d'évaluation et de gestion du risque est également au cœur du dispositif sanitaire. Ainsi, il me paraît incontournable, dans le système à venir, de maintenir une distinction très claire entre expertise et décision, y compris dans une même organisation, à l'instar de ce qui existe par exemple aux États-Unis, où la NRC (Nuclear Regulatory Commission) a des règles très strictes régissant les échanges entre les personnels chargés des expertises et les commissaires chargés de la prise de décision.

De même, le principe, inscrit aujourd'hui dans la loi, de publication des avis techniques, supports à la décision, devrait être maintenu, pour assurer la transparence du système, garantir une bonne information du public et in fine contribuer à la confiance dans le système de contrôle.

Le deuxième point de mon exposé concerne l'indispensable combinaison entre expertise et recherche. À la création de l'IRSN, le choix a été fait de rassembler expertise et recherche. Les compétences techniques de l'IRSN reposent sur d'importants programmes de recherche avec les industriels français, ainsi que des partenaires européens et internationaux. Les recherches expérimentales permettent de développer des méthodes de calcul indispensables à l'expertise, y compris en situation de crise. Dans son rapport provisoire d'évaluation de l'IRSN, que je viens de recevoir, le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) qualifie le modèle expertise – recherche de l'Institut de « performant et structurant pour les grands programmes et réseaux européens ». Les avis de l'IRSN expriment un état des connaissances à l'état de l'art. L'engagement de nouveaux programmes de recherche anticipe des problématiques nouvelles. La séparation des activités d'expertise et de recherche sera complexe, car elles sont parfois exercées par les mêmes personnes. Dans un schéma où expertise et recherche ne seraient plus dans une même entité, il conviendra de permettre à la partie chargée de l'expertise de disposer du budget affecté à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection ainsi que d'être ordonnateur des programmes de recherche.

Je terminerai en évoquant les enjeux de maintien des compétences. Il convient, sur ce sujet, d'être extrêmement vigilant. En réponse aux enjeux climatiques, énergétiques et de souveraineté, la relance du nucléaire a été engagée. De nombreux dossiers d'expertise sont en cours, parmi lesquels ceux relatifs à la prolongation des réacteurs du parc en exploitation au-delà de 40 ans, à l'examen de la demande d'autorisation de création du stockage souterrain Cigéo, à l'autorisation de création de l'EPR2, si le programme est effectivement engagé. Ceci entraîne une charge d'expertise très importante, à laquelle l'IRSN se prépare depuis plusieurs années. L'Institut a organisé son travail avec l'ASN, pour rendre des avis dans des délais compatibles avec les échéances de prises de décisions. L'IRSN a déjà montré sa capacité à anticiper et à être réactif. Ce fut le cas pour les évaluations de sûreté mises en œuvre après l'accident de Fukushima, mais aussi pour la prolongation de l'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de 40 ans, pour laquelle nous avons rendu un avis de synthèse en mars 2020, en plein confinement.

Au-delà de la sûreté nucléaire, l'évaluation des technologies utilisant des rayonnements ionisants dans le domaine de la santé, pour le diagnostic et la thérapeutique, nécessite une vigilance particulière pour évaluer la balance bénéfice – risque pour les patients et leur assurer des traitements sûrs. C'est aussi notre rôle.

Cette nouvelle période suscite de fortes inquiétudes chez les salariés de l'Institut. Dans un marché de l'emploi tendu, je vais être très vigilant afin de préserver l'attractivité de nos missions. Il s'agit d'éviter une perte de compétences en sûreté et en radioprotection à court et moyen termes.

Je souhaite rappeler, pour conclure, que la cadence et la charge d'expertise et de recherche pour les années à venir s'annoncent très importantes. Les équipes de l'IRSN, que je remercie pour leur engagement, se sont organisées pour répondre à ces enjeux et être à la hauteur de leurs missions de service public.

En qualité de dirigeant de ce bel établissement public qu'est l'IRSN, je travaille, conformément à la lettre de mission, à formuler des propositions de mise en œuvre de cette décision. Ainsi, il est nécessaire, dans les schémas qui pourraient être mis en place dans le cadre de cette évolution, de préserver les compétences techniques et scientifiques, afin d'être en capacité de continuer à fournir une expertise au plus haut niveau, d'assurer la séparation entre experts et décideurs, y compris dans une structure unique, et de soutenir d'une manière ou d'une autre la pérennité de la combinaison entre expertise et recherche.

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