Intervention de Sandrine Josso

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Josso, rapporteure :

Cette proposition de loi porte sur un sujet dont on parle trop peu : les fausses couches. Nombre d'entre nous y ont pourtant été confrontées, de manière directe ou indirecte ; une grossesse sur quatre se termine de cette façon.

On appelle « fausse couche » un arrêt naturel de la grossesse avant vingt-deux semaines d'aménorrhée, c'est-à-dire avant cinq mois et demi de grossesse. Avant quatorze semaines, c'est une fausse couche précoce, entre quatorze et vingt-deux semaines, une fausse couche tardive.

Cette proposition de loi porte principalement sur les fausses couches précoces, non que les fausses couches tardives, ou les autres formes de deuil périnatal – morts in utero, interruptions médicales de grossesse, enfants mort-nés – ne soient pas un sujet pour le législateur, au contraire, mais elles ne sont pas l'objet de ce texte.

Cette proposition vise des événements qui sont considérés comme totalement en dehors du champ du deuil périnatal. Des fausses couches précoces, il y en a chaque année des centaines de milliers. Les médecins nous expliquent, non sans raison, que c'est un phénomène naturel, qui permet d'éliminer des embryons affectés de malformations chromosomiques telles qu'ils n'étaient pas viables. Cela ne se conteste pas.

Ce qui me semble beaucoup plus contestable, c'est l'idée que, parce que la fausse couche précoce est un phénomène naturel, qui survient souvent alors que la grossesse n'est pas encore visible, voire pas encore annoncée, elle n'est pas un problème pour les femmes qui la vivent. C'est cette idée fausse que ma proposition de loi veut combattre. La fausse couche, c'est au mieux un événement très désagréable de la vie d'une femme, dont elle se remettra avec le temps, et souvent avec la survenue d'une nouvelle grossesse. Mais dans bien des cas, la fausse couche est, pour la femme et pour le couple, une épreuve physique et surtout psychologique.

Ce n'est pas le cas pour toutes les femmes, mais les études montrent qu'entre 20 % et 55 % des femmes qui ont subi une fausse couche présentent des symptômes dépressifs, et que 15 % développent un véritable stress post-traumatique. Quant aux partenaires, 17 % présentent des symptômes dépressifs après une fausse couche.

L'impact psychologique de la fausse couche précoce est donc tout sauf anecdotique. C'est un enjeu réel pour la santé mentale des femmes et, plus généralement, un enjeu de santé publique.

Si ce sujet est à ce point occulté dans la société et dans le monde médical, c'est, je l'ai constaté lors de mes auditions, parce que certaines idées reçues sont encore largement véhiculées. Ainsi, le chagrin lié à une perte de grossesse serait proportionnel à l'âge de la grossesse – ce qui expliquerait que les fausses couches précoces ne sont pas ou seulement peu douloureuses. Or toutes les études montrent que c'est faux ! L'impact émotionnel n'est pas lié à l'âge gestationnel ; il dépend de la manière dont les futurs parents investissent la grossesse et se projettent. Une femme enceinte de quelques semaines peut déjà se sentir mère, a fortiori lorsque la grossesse a été très désirée et longtemps attendue.

Il est donc urgent de briser le tabou sur les fausses couches.

Sur le plan médical, les femmes concernées sont bien prises en charge. Mais l'impact psychologique est trop souvent sous-estimé, voire négligé au point de plonger les femmes et leurs partenaires dans la détresse. Il y a bien sûr des professionnels de santé très empathiques, qui savent trouver les mots justes dans cette situation. Il y a aussi, çà et là, des initiatives locales très utiles, qui permettent aux couples éprouvés d'être informés, accueillis, écoutés, rassurés.

Mais, globalement, l'accompagnement n'est pas institutionnalisé. Les nombreux professionnels médicaux – gynécologues, sages-femmes, échographistes – que j'ai auditionnés se disent souvent démunis lorsqu'il faut annoncer et expliquer la fausse couche ; ils ne savent pas vers qui orienter les couples qui éprouvent le besoin d'être soutenus. Rompre l'isolement de ces couples est indispensable.

Il ne s'agit ni de surmédicaliser la fausse couche, ni de systématiser des prises en charge qui ne répondraient pas à un besoin. Nous devons préserver la liberté des praticiens ; ils sont responsables et il leur revient de décider quel accompagnement est le plus adapté.

J'en viens au contenu de cette proposition de loi et à ses probables évolutions.

Outre le gage, nécessaire pour qu'elle soit recevable, elle ne comporte qu'un seul article. Il permet aux patientes suivies par des sages-femmes de bénéficier d'un suivi psychologique pris en charge par la sécurité sociale lorsqu'elles ont subi une fausse couche.

En avril dernier, pour la première fois, un dispositif pérenne de prise en charge par la sécurité sociale de séances avec un psychologue libéral a été instauré : le dispositif MonParcoursPsy permet à toute personne qui ressent des troubles psychiques d'intensité légère à modérée de bénéficier chaque année de huit séances remboursées avec un psychologue libéral conventionné. Ces séances sont prises en charge à 60 % par la sécurité sociale et à 40 % par les mutuelles.

J'entends que certains considèrent que ce n'est pas assez, qu'il faudrait que tout soit financé par la sécurité sociale, qu'il faudrait plus de séances... J'entends aussi qu'une partie des psychologues refusent résolument de rentrer dans ce dispositif parce qu'ils trouvent que les tarifs des séances ne sont pas assez élevés.

Mais, ce qui compte à mes yeux, c'est qu'en neuf mois, 76 315 patients ont consulté dans ce cadre, pour un total de 297 000 séances prodiguées.

J'en reviens à ma proposition de loi. Actuellement, seuls les médecins peuvent adresser un patient dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy. L'article 1er autorise les sages-femmes à adresser leurs patientes. Les femmes sont de plus en plus souvent suivies par des sages-femmes pendant leur grossesse, et les études montrent qu'en cas de fausse couche, l'aide psychologique doit être proposée sans délai afin que la femme puisse s'en saisir si elle la juge utile. La mesure que je propose paraît donc indispensable. Je vous présenterai deux amendements qui visent à étendre au partenaire le bénéfice de cette mesure.

Étant, comme vous, soumise au filtre de la recevabilité financière, je ne pouvais avancer, sur des sujets coûteux, qu'avec l'accord du Gouvernement. Je n'ai donc pas cessé, au cours de ces dernières semaines, de négocier pour améliorer la rédaction initiale. Ces efforts ont porté leurs fruits : je vous présenterai tout à l'heure deux amendements dont la charge a été couverte par le Gouvernement, qui nous permettront d'aller beaucoup plus loin pour accompagner les couples confrontés à une fausse couche.

Il s'agira, d'une part, de complètement déverrouiller l'adressage au dispositif MonParcoursPsy par l'intermédiaire des sages-femmes. D'autre part, la proposition de loi généralisera les « parcours fausse couche » dans les régions, après une période de recensement des bonnes pratiques locales.

Au lieu d'édicter des règles rigides, complexes, longues à appliquer et peut-être inefficaces, j'ai choisi de faire reposer ces parcours sur la généralisation d'expériences qui ont prouvé leur efficacité. Ces parcours pourront différer d'une région à l'autre, selon les caractéristiques du territoire, selon les acteurs et selon les établissements sur lesquels il sera possible de s'appuyer.

Ce parcours fausse couche répond à l'essentiel des préoccupations exprimées dans vos amendements : formation des professionnels de santé, information donnée aux patients, consultation médicale après une fausse couche. Tous ces sujets ont vocation à être traités dans le cadre de ce parcours, selon une approche qui privilégiera la souplesse et la mise en réseau des initiatives locales.

J'espère vivement que nous pourrons voter cette proposition de loi à l'unanimité. C'est un sujet largement transpartisan, vos amendements le montrent.

Je ne dis pas que nous aurons réglé toutes les questions liées aux fausses couches, notamment celle du congé spécifique que plusieurs d'entre vous ont soulevée dans vos amendements. Mais cette proposition de loi marquera une réelle avancée pour de très nombreux couples, et son coût me semble négligeable au regard des bénéfices que nous en attendons en matière de prévention et de santé mentale.

Lorsque je l'ai auditionné, le professeur Frydman, l'un des pionniers de la procréation médicalement assistée en France, m'a dit qu'il fallait vraiment agir pour accompagner les fausses couches parce qu'il y avait là un « vide juridique ». Nous pouvons combler ce vide ensemble.

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