Intervention de Francesca Pasquini

Réunion du mardi 28 mars 2023 à 17h20
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancesca Pasquini, rapporteure :

Monsieur le président, avec votre permission, je ferai une réponse un peu longue, compte tenu du grand nombre d'amendements de suppression déposés sur cet article. Aux croyances personnelles qu'ont exposées nos collègues Blin et de Fournas, je voudrais répondre par des faits scientifiques.

Le dispositif introduit par l'article 2 est simple et équilibré. Nous proposons qu'à compter de 2025, les enfants se voient proposer, au choix : deux fois par semaine un menu végétarien sans autre choix et/ou, tous les jours, une option végétarienne. Cette mesure, qui préserve la liberté des collectivités territoriales, a été travaillée avec des acteurs de terrain, en tenant compte des contraintes locales, matérielles ou spatiales. Les gestionnaires et les élus pourront choisir entre ces deux options ; il n'y a donc aucune atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Selon un sondage récent, 80 % des Français sont favorables à l'obligation, pour les cantines scolaires, de proposer une option végétarienne quotidienne ou deux menus végétariens par semaine.

Je suis un peu interloquée par les contre-vérités que vous véhiculez.

Premièrement, il est faux de dire que cet article n'est pas opportun sur le plan environnemental et je dois dire que c'est l'argument qui m'étonne le plus, dans la mesure où la nécessité de réduire notre cheptel et notre consommation de viande fait désormais l'objet d'un consensus scientifique. Selon l'Agence de la transition écologique (Ademe), les différents scénarios de transition écologique nécessiteront de réduire considérablement, à hauteur de 30 à 70 %, notre consommation de viande.

Il me paraît important de faire un point sur les émissions de gaz à effet de serre liées à l'activité agricole pour comprendre à quel point la réduction de notre consommation de viande est une nécessité.

Le gaz à effet de serre le plus connu est le dioxyde de carbone. On pense à tort qu'il est l'un des principaux postes d'émission dans l'agriculture, en raison des importations de viande ou de fruits et légumes. En réalité, le CO2 ne représente que 20 % des émissions et il provient en grande partie de la production d'engrais azotés, utilisés pour faire pousser les céréales qui nourrissent le bétail. Ces engrais, que nous importons à 67 %, sont une bombe climatique : la fabrication d'une tonne d'ammoniac à partir de gaz naturel émet deux tonnes de CO2. Comment peut-on parler de souveraineté alimentaire, alors que nous sommes si dépendants ? Peut-on se satisfaire que notre modèle agricole soit soumis aux fluctuations du prix du gaz ? Et il est illusoire de croire que nous pourrions produire ces engrais sur notre sol, tant il faudrait d'énergie décarbonée pour produire les 2 millions de tonnes d'engrais azotés consommés par la France.

J'appelle aussi votre attention sur la déforestation importée. Contrairement à ce qu'indiquent vos amendements, 87 % du soja importé par l'Union européenne sont destinés à l'alimentation animale, surtout à la volaille. Or chacun sait que la culture du soja est l'une des causes majeures de la déforestation et contribue à détruire des puits de carbone. Réduire notre consommation de viande blanche et rouge, c'est aussi éviter, indirectement, de faire pression sur nos forêts.

Le deuxième gaz à effet de serre le plus connu est le méthane, qui représente à lui seul 44 % des émissions du secteur agricole. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) estime ainsi que l'impact d'une unité de masse de méthane sur le climat est égal à quatre-vingt-quatre fois celui du CO2 pour une durée de vingt ans. Certains seront sans doute tentés de citer les dernières expériences menées par Danone et d'autres industriels pour limiter la fermentation entérique, mais qui peut croire que nous atteindrons nos objectifs grâce à des masques anti-rots pour vache ? Ce n'est pas sérieux.

Le dernier gaz à effet de serre, beaucoup moins connu, est le protoxyde d'azote. Il est émis au moment de l'épandage d'engrais sur les sols et a 300 fois plus de pouvoir de réchauffement que le CO2. Alors que le méthane ne reste qu'une dizaine d'années dans l'atmosphère, la durée de vie du protoxyde d'azote est de l'ordre de cent vingt ans. Ces chiffres vertigineux démontrent l'insoutenabilité du modèle agricole actuel.

Pour compléter ce tableau, il faut encore mentionner la pollution de l'eau par les nitrates, l'acidification des sols et la pollution de l'air par l'épandage d'engrais. Vous le voyez, les raisons qui nous obligent à réduire notre consommation de viande sont difficilement réfutables sur le plan environnemental. Il est temps de faire preuve de réalisme et d'engager, à tous les niveaux, une transition agricole. Et qu'y a-t-il de plus indolore que l'accélération de la végétalisation des assiettes dans la restauration scolaire ? Les habitudes alimentaires de nos enfants sont l'une des clés pour relever ce défi climatique.

Deuxièmement, j'aimerais dissiper plusieurs contre-vérités quant à l'application de cette mesure. J'entends dire qu'elle porterait atteinte à l'élevage français : il n'y a rien de plus faux. Dans le modèle que nous appelons de nos vœux, nous mangerions moins de viande, mais mieux : une viande de meilleure qualité, issue de filières locales et durables. Aujourd'hui, 50 % de la viande consommée par les enfants est importée. Or nous n'avons pas les moyens de fournir de la viande française à toutes nos cantines : notre cheptel est tout simplement insuffisant. Soit nous continuons sur une voie qui érode notre souveraineté alimentaire, soit nous entamons la transition qui s'impose, en permettant à nos éleveurs de mieux vivre. À Autun, la réouverture de l'abattoir local a été le prélude à une transition globale de la collectivité et à une végétalisation acceptée par tous. Les enquêtes de terrain le confirment : les cantines qui ne proposent pas de menu végétarien ne sont que 20 % à acheter de la viande bio et locale, contre 50 % pour celles qui proposent une option végétarienne quotidienne.

J'entends dire aussi que les collectivités locales subissent une forte pression inflationniste et normative. C'est vrai et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, nous avions proposé au Gouvernement la création d'un bouclier alimentaire pour les collectivités et des mesures de soutien à la transition dans les cantines. Mais nous n'avons pas été entendus. Nous appelons évidemment le Gouvernement à soutenir massivement le déploiement de ces menus.

Nous n'avons pas constaté, lors de nos déplacements, que l'introduction du second menu végétarien entraînait une hausse considérable du coût des repas, bien au contraire. D'une manière générale, nous appelons tous les acteurs à faire preuve de responsabilité. Chacun sait qu'il faudra aller vers plus de végétalisation. Alors pourquoi attendre ? Plus nous attendons, plus nous risquons de devoir le faire dans la précipitation. Le rôle du législateur est d'anticiper les changements de société.

Troisièmement, l'argument selon lequel cette mesure favoriserait le gaspillage alimentaire ne tient pas non plus. Les chefs cuisiniers seront formés pour élaborer des recettes végétariennes savoureuses. J'ajoute que le rapport d'application de l'expérimentation ne conclut ni à une hausse, ni à une baisse du gaspillage.

Enfin, il n'est pas vrai que cette disposition risque de ne pas satisfaire les besoins nutritionnels des enfants. L'Anses a publié un avis sur la question du menu végétarien dans les cantines scolaires. Il indique que les menus végétariens ne nuisent en rien à l'équilibre nutritionnel des enfants, qu'ils présentent même un avantage, puisqu'ils augmentent les apports en fibres, et qu'ils n'impliquent pas un risque de carence en protéines animales ou en oméga 3. L'essentiel, c'est de limiter la consommation de produits transformés ; ce sera d'ailleurs l'objet de l'un de mes amendements, que nous pourrons examiner si cet article n'est pas supprimé.

Pour toutes ces raisons, j'émettrai un avis défavorable sur ces amendements. J'espère que vous saurez faire preuve de réalisme et que nous pourrons sortir collectivement des postures idéologiques et des croyances personnelles.

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