Intervention de Christiane Taubira

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice :

J'ai décidé de demander l'intégration d'un directeur pénitentiaire au sein de l'Uclat après avoir appris, en interrogeant le service du renseignement pénitentiaire, que des signalements auprès de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) n'avaient fait l'objet d'aucun retour – le plus sûr moyen d'avoir l'information, c'est d'être au cœur de l'information. Je ne pense pas que ces omissions soient liées à de la malveillance ou de la négligence ; simplement, ces deux services ont des cultures professionnelles très différentes. Une fois intégré un directeur de l'administration pénitentiaire aux réunions, les cultures ont pu se croiser, se rencontrer, s'entremêler et se diffuser.

Ce que vous dites me rappelle malheureusement la situation qui prévalait avant que j'entreprenne cette démarche. Il manque certainement un circuit automatique, et sans doute faudrait-il instaurer une procédure par laquelle les informations utiles sont systématiquement diffusées auprès des destinataires pertinents – ce que j'appelle l'immersion et la culture du renseignement. Puisqu'il y a mort d'homme, il est incontestablement nécessaire d'améliorer les doctrines et les mécanismes à ce sujet.

J'ai été visée par tellement d'accusations infondées et contradictoires que je suis mithridatisée. J'aimerais cependant revenir sur celle selon laquelle j'aurais été opposée aux quartiers dédiés. C'est faux : j'ai financé une recherche-action sur le sujet, mis le dispositif en œuvre, réparti ces quartiers sur le territoire. Dans le cas de l'agresseur – l'assassin, si l'on suit l'Inspection générale de la justice, mais ce sera à la justice de le dire – d'Yvan Colonna, ce qui s'est passé est effectivement surprenant, compte tenu de ce qu'induit le statut de DPS et de l'existence de quartiers d'évaluation et de prise en charge des radicalisés. Voilà pourquoi certains dispositifs, voire certaines doctrines, sont à revoir.

Je ne le dis pas parce que je concevrais la politique comme la facilité jouissive de critiquer les autres, d'inventer des culpabilités, de pointer quiconque du doigt. Mais on peut s'interroger intelligemment, sérieusement et de façon responsable sur les dispositifs existants. Tant mieux pour ceux qui savent parfaitement comment ne jamais faire de faute : ils n'ont plus rien à découvrir de la vie, et c'est leur affaire.

En 2012, et même en 2015, c'était le début. Il ne s'agissait pas à ce stade de radicalisation en prison. Que faire alors ? Mais, ensuite, on a constaté le phénomène. J'ai renforcé le corps des aumôniers : tous les ans, il y a eu des créations de postes – trente la première année, soixante l'année suivante, etc. Par opposition à ce que racontent aux détenus ceux qui les radicalisent, les aumôniers peuvent leur apporter des réponses à caractère spirituel susceptibles de les apaiser et de les aider à se socialiser. Le programme britannique consiste à organiser des espèces de joutes entre leaders radicaux et aumôniers ; j'ai refusé de transposer ce modèle parce que je le trouve dangereux.

On a fait croire que les radicaux n'étaient que des jeunes de banlieue, des illettrés, des délinquants. Ce que montrent les statistiques que j'ai fait établir, c'est que 25 % à 30 % des radicalisés sont de nouveaux convertis. Ils ne sont pas animés par des convictions liées à une religion reçue depuis l'enfance et à l'intérieur de laquelle ils se seraient radicalisés. Il y a parmi eux des jeunes de familles musulmanes, évidemment, puisque c'est l'islam radical qui offre cette vision belliciste à ce moment-là – mais toutes les religions l'ont offerte à un moment ou à un autre, toutes les religions ont leur fondamentalisme. Mais il y a aussi des jeunes de familles protestantes, catholiques, athées, juives. Il y en a dans les banlieues populaires, dans les grandes villes, dans des quartiers résidentiels, dans les villages.

Voilà ce que disent les chiffres. Et plutôt que faire des procès imbéciles et de suspecter de malveillance des personnes qui ont peut-être manqué parfois de vigilance ou de clairvoyance, je préfère regarder la réalité de manière objective et y répondre² par des politiques publiques, des doctrines, des budgets, des actes.

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