Intervention de Raphaël Glucksmann

Réunion du mardi 4 avril 2023 à 18h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale INGE 2 :

En 2014, dans la foulée de l'occupation de la Crimée et d'une partie du Donbass, une réunion a été organisée par Malofeïev à Vienne avec des représentants des différentes formations d'extrême droite européennes. Le FPÖ de M. Strache était la puissance invitante. Il me semble que le Front national était représenté par M. Chauprade, alors député européen. La réunion n'avait pas vocation à être rendue publique, mais un journaliste suisse allemand s'y est infiltré.

Il est intéressant de noter que cette réunion se tenait officiellement en l'honneur du 200e anniversaire du sommet de la Sainte-Alliance, qui a mis fin à l'épisode napoléonien. À l'époque, le tsar estimait que le gouvernement du Royaume-Uni, qui était pourtant l'allié de la Russie, était bien trop libéral : il ne fallait donc pas seulement casser la grande nation française, mais également éradiquer d'Europe tout ce qui avait rendu possibles les événements de 1789. Autrement dit, cette réunion visait à célébrer la Sainte-Alliance contre la Révolution française et les principes des Lumières. Tous les représentants des extrêmes droites européennes ont écouté un discours de M. Douguine, un philosophe ultranationaliste en vogue au Kremlin, appelant à une révolution conservatrice européenne qui mettrait fin à l'Europe « maritime », c'est-à-dire libérale et soumise aux États-Unis, et fonderait une alliance des peuples contre les institutions européennes.

Cette stratégie a été une constante du régime russe. Ces mouvements européens, qui peuvent avoir des positions différentes sur les questions sociales et économiques – certains sont très libéraux, d'autres beaucoup plus sociaux –, ont un point de ralliement : le soutien à la politique du Kremlin. Ce soutien recouvre tant l'annexion de la Crimée que les positions conservatrices promues par Vladimir Poutine en matière de mœurs et ses grands discours sur la décadence de l'Occident. Tous ces mouvements, en France, en Italie, en Autriche ou en Allemagne – vous n'avez pas mentionné l' Alternative für Deutschland (AfD) –, ont certes changé de discours en 2022, face à l'invasion totale de l'Ukraine, mais ils ont partagé cette ambition idéologique transnationale. Ils ont adhéré à un projet qui dépassait les frontières et visait à remettre en cause tant les institutions européennes que les principes sur lesquels elles sont fondées. Tous les discours qui suivent n'effaceront pas ce moment-là.

Je distinguerais le financement légal, via des prêts – même s'ils sont aussi vecteurs d'influence –, et les financements occultes. Les prêts accordés aux partis sont connus et chiffrables, ce qui n'est pas le cas, par définition, des financements occultes. Je ne peux donc pas vous donner de chiffres.

Le régime russe a avec les partis qu'il finance une connivence idéologique, de rapport au monde, qu'on ne retrouve pas dans le phénomène de capture des élites. Il a toujours visé une double stratégie, qu'il a d'ailleurs théorisée : d'un côté, il essaie d'affaiblir le centre, le système ; de l'autre, il tente de faire monter les forces qui remettent en cause ce système. Autrement dit il instrumentalise des mouvements qui combattent les institutions européennes tout en essayant de corrompre ces mêmes institutions ainsi que les gouvernements. Ce faisant, il est gagnant des deux côtés. C'est ainsi que les mouvements d'extrême droite ont été instrumentalisés dans la stratégie russe d'affaiblissement des gouvernements démocratiques.

Cette connivence s'est illustrée par la promotion de la figure de Vladimir Poutine, présenté comme un leader fort qui répondrait à la faiblesse des dirigeants occidentaux. Vous avez tous vu les mésaventures de M. Salvini : alors qu'il se présentait à la frontière ukrainienne peu de temps après l'invasion totale du pays, on lui a rappelé qu'il s'était souvent affiché avec un t-shirt représentant Vladimir Poutine, et on lui a donc signifié qu'il n'était pas le bienvenu. À l'époque, ces sentiments étaient très répandus : Poutine était devenu un point de ralliement pour les mouvements dénonçant la décadence des nations européennes.

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