Intervention de Raphaël Glucksmann

Réunion du mardi 4 avril 2023 à 18h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale INGE 2 :

Il n'empêche qu'elles participent à la stratégie d'un régime étranger transformé en pourvoyeur de retraites dorées – c'est d'ailleurs aussi le cas de la Chine, à travers ses grandes entreprises.

Vous pouvez penser que ce n'est pas grave. Cependant, si nos dirigeants politiques considèrent la Chine et la Russie comme des banques qui leur assureront, à l'avenir, leur niveau de vie, ils éviteront de prendre des décisions hostiles mais adopteront au contraire une attitude conciliante vis-à-vis de ces pays. Il faut arriver à briser cette emprise, qui a forcément un impact sur les décisions prises au sommet de nos États. Le cas paroxystique est évidemment de celui de Gerhard Schröder. Si nous ne luttons pas contre ce que les Russes eux-mêmes ont appelé la « schröderisation » de la classe politique européenne, nous irons droit dans le mur. Depuis le 24 février 2022, on assiste à une prise de conscience sur le comportement de la Russie ; mais que feront nos dirigeants le jour où la Chine envahira Taïwan ? Ils doivent arrêter d'aller travailler pour ces groupes.

En 2021, M. Fillon a décidé de travailler pour des groupes intimement liés au régime russe et au système poutinien – nous ne parlons pas de véritables entreprises privées, mais de groupes dont le propriétaire est M. Timtchenko. Il a pris cette décision au moment même où le groupe Wagner plaçait une cible sur la tête de nos soldats au Mali, au moment même où la France devenait la principale cible de la propagande russe en Afrique. Le minimum d'éthique patriotique aurait été de faire en sorte de ne pas se retrouver dans une telle situation. Si nous ne légiférons pas, nos responsables politiques auront cet horizon-là, et ce sera extrêmement dangereux pour nos démocraties.

Je ne me fais pas l'écho d'échos, je rappelle des faits bien établis : M. Le Guen est allé travailler pour Huawei et M. Fillon pour des entreprises liées au régime russe. Peut-être y a-t-il une différence de niveau entre ces deux cas et celui de Gerhard Schröder, car l'ancien chancelier allemand a utilisé activement, dix années durant, l'ensemble de ses réseaux pour promouvoir des objectifs énergétiques tout à fait concrets. Cette affaire montre à quel point nos démocraties sont friables.

Les retraites dorées versées à nos élites par des régimes hostiles à nos valeurs et à nos intérêts stratégiques sont un véritable problème ; il touche non seulement les responsables politiques, mais également des capitaines d'industrie et les dirigeants d'écoles qui forment l'élite française. C'est, pour une démocratie, une forme de respect de soi que de s'y attaquer.

Quand vous avez accédé à une fonction aussi haute que celle de Premier ministre de la France, quand vous devez vos réseaux et votre destin à la République, le fait de mettre ces réseaux au service d'une tyrannie étrangère, au service d'intérêts hostiles à ceux de la France et de l'Union européenne, est franchement indigne et dangereux. Nous parlons de gens qui ont œuvré au cœur même de nos institutions, qui savent comment elles fonctionnent, qui connaissent les secrets de l'État et les personnes qui le font marcher.

C'est sur ce point que nous avons insisté dans le rapport. Nous avons débattu de l'opportunité de citer des noms, et nous avons décidé à la majorité de le faire, ce qui est rare dans un rapport. Quand vous publiez un rapport sans évoquer de cas concrets, comme c'est la tradition au Parlement européen, vous prenez moins de risques mais le problème que vous dénoncez reste évanescent pour l'opinion publique. En citant des noms, nous alertons nos concitoyens sur le caractère concret du phénomène. Nous ne parlons pas de personnages mythiques ou d'entités philosophiques, mais d'individus de chair et d'os, connus de tous, qui ont présidé aux destinées de nos cités mais ont décidé de se mettre au service de tyrannies étrangères dont les intérêts et les valeurs sont hostiles aux nôtres. Si j'étais romancier ou metteur en scène, j'explorerais leur psychologie et me demanderais comment ils font pour se regarder dans un miroir. Mais ce n'est pas mon problème. Pour ma part, je cherche à déterminer l'impact de leurs décisions sur nos cités et la manière de se prémunir contre de tels comportements.

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