Intervention de Hervé Street

Réunion du jeudi 4 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Hervé Street, ancien sous-traitant FedEx :

Je suis sous-traitant FedEx et président de l'association de défense des sous-traitants transport France. À l'automne 2016, un différend m'a opposé à FedEx en raison de mon refus de consentir aux conditions de travail de plus en plus exigeantes ainsi qu'aux conditions financières qui encourageaient les sous-traitants à commettre des fraudes. En tant que sous-traitant, j'ai été évincé de l'entreprise FedEx en mars 2017 pour avoir fermement défendu une position juridique hostile à l'ubérisation des sous-traitants de cette entreprise. Notre association est actuellement engagée dans une lutte contre les pratiques de toutes les plateformes de livraison express.

En vue de réduire ses coûts, FedEx – qui dispose de son propre savoir-faire et de ses propres chauffeurs – a toujours recouru à l'externalisation de ses tournées à des prix excessivement bas par le biais de la sous-traitance. Les livreurs travaillant pour des sous-traitants de FedEx ne sont pas rémunérés lorsqu'ils se présentent chez un client absent ou rencontrent des problèmes d'adresse, contrairement aux chauffeurs employés directement par FedEx. De plus, les prix pratiqués par FedEx sont trop bas pour permettre aux sous-traitants de couvrir tous les coûts de leurs tâches contractuelles.

Ces conditions de travail inhumaines obligent de nombreux sous-traitants à recourir à la fraude pour survivre, tandis que les chauffeurs subissent une pression constante et sont contraints de commettre de nombreuses infractions au code de la route, allant du simple stationnement anarchique à la mise en danger de la vie d'autrui. En parallèle, les chauffeurs directement employés par FedEx bénéficient d'avantages qui ne peuvent être accordés aux chauffeurs sous-traitants, tels que les heures supplémentaires, un treizième mois ou encore une participation au bénéfice. En effet, le sous-traitant n'a pas la possibilité de payer les heures supplémentaires : s'il déclare que son chauffeur travaille à temps plein, ce dernier ne sera payé que sept heures par jour alors qu'il effectue en réalité dix à douze heures, voire plus encore chez d'autres prestataires comme Amazon.

C'est également la raison pour laquelle, bien souvent, les donneurs d'ordre refusent de communiquer les lettres de voiture et les feuilles de tournée car l'expertise de ces documents révèle immédiatement la fraude. En 2017, la vice-présidente de FedEx, Mathilde Goffard, a tenté de me persuader, ainsi que mes avocats, que des frais de 4 200 euros pouvaient être couverts avec un chiffre d'affaires de seulement 1 800 euros par tournée. Pourtant, l'article 10.2 du contrat type de sous-traitance – qui existait depuis 2007 et qui a été remplacé par un nouveau contrat en 2019 – stipule que dans tous les cas, le prix convenu doit permettre aux sous-traitants de couvrir l'ensemble des charges directes et indirectes engendrées par la prestation rendue conformément aux dispositions de l'article 3 de la loi n° 92-1445 du 31 décembre 1992.

En réponse à mes sollicitations, notamment par huissier de justice, j'ai simplement reçu une mise en demeure de reprendre mes tournées sous peine de voir mon contrat s'arrêter, avant de voir ce dernier rompu par TNT FedEx car je refusais de travailler à perte et parce que mes chauffeurs ont exercé leur droit de grève.

En 2023, le président actuel de FedEx, Frédéric François, persiste dans ce que certains appellent du dumping social – et que j'appelle pour ma part de la fraude organisée. FedEx nous a remis un document d'avocat démontrant, suite à une enquête interne étouffée depuis, que d'autres sous-traitants ne peuvent s'en sortir financièrement à cause des tarifs imposés.

Nous soupçonnons la direction de FedEx France d'empêcher les sous-traitants d'accéder aux dirigeants américains de l'entreprise, qui semblent ignorer les pratiques de gestion en vigueur en France, notamment en ce qui concerne les problématiques liées aux appels d'offres. Lors d'une entrevue avec le président de FedEx, le 31 janvier 2023, celui-ci s'est borné à refuser d'examiner les pièces, me rappelant que j'étais le seul en France à me plaindre.

À partir de cette date, j'ai lancé une caravane des sous-traitants qui a fait le tour de la France et a révélé de très nombreuses problématiques.

En 2015, toutes ces plateformes de messagerie express ont été condamnées à une amende de près de 673 millions d'euros pour entente illicite sur les prix. En 2014 dans la région Nord, TNT-Fedex s'est vu infliger une amende de 14 millions d'euros, principalement pour des infractions relatives à la sous-traitance.

En outre, la prolifération des dépôts de bilan est un problème finalement assumé par le contribuable, tandis que de nombreuses petites entreprises sont laissées pour compte avec des factures impayées émanant de leurs sous-traitants. La fraude – qui, j'en suis convaincu, est délibérément organisée – et le travail dissimulé sont également des fléaux qui coûtent des millions d'euros à l'État. FedEx et les autres plateformes ne peuvent ignorer ces pratiques puisque l'ancien chef de centre TNT FedEx nous prévenait des contrôles Urssaf la veille.

Il y a quelques jours à peine, j'ai à nouveau proposé à Frédéric François de se rendre sur le terrain avec moi et en présence d'inspecteurs du travail, de l'Urssaf et des impôts pour constater ces pratiques. Je n'ai reçu aucune réponse. Depuis sept ans, je suis confronté à l'indifférence implacable de ces mastodontes économiques. L'État, bien qu'en mesure de les ignorer, serait coupable de tolérer leur fraude et leur travail dissimulé, acte moralement inacceptable.

Aujourd'hui, je lance un appel solennel à l'État, au Gouvernement et aux députés : ne laissez pas le travail illégal se légaliser par inaction.

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