Intervention de Marc Fesneau

Réunion du mardi 9 mai 2023 à 21h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

En ce qui concerne la filière bio, vous me demandez s'il faut changer la stratégie et s'il faut faire évoluer la trajectoire. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Les chiffres montrent que la baisse de consommation, dans le bio, est un peu antérieure à la crise ukrainienne. L'inflexion de la courbe de croissance, qui était assez continue sur une dizaine d'années, avec un coefficient alors plutôt à deux chiffres, date de la sortie de la crise de l'épisode du covid-19. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette réorientation de la consommation. En premier lieu, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et une croissance à deux chiffres doit inviter à s'interroger sur la pérennité d'une telle tendance. En deuxième lieu, la crise du covid-19 a fait évoluer les modes de consommation de nos concitoyens au bénéfice des circuits courts et des produits locaux, sans toujours distinguer le bio de l'agriculture conventionnelle. L'inflexion de la courbe me semble en partie liée à ces changements de comportement. L'inflation s'est aussi traduite par une baisse en gamme dans les comportements de consommation d'un grand nombre de nos concitoyens, en raison d'une capacité financière qui s'est trouvée réduite.

Je pense qu'il faut maintenir la stratégie et la trajectoire que nous avons voulu développer, dans une logique de conversion vers le bio. Entre 2015 et 2022, les surfaces cultivées en bio ont doublé en France. Celles-ci représentent aujourd'hui 15 % des surfaces, ce qui fait de cette politique de conversion plutôt une réussite.

Nous sommes dans une phase de stabilisation du marché. Nous savons qu'à une période de forte croissance peuvent succéder de telles phases de stabilisation. J'évoquais l'autre jour au Sénat la filière des noix, qui traverse actuellement une crise d'offre, après avoir connu une forte croissance. Dans le bio, une crise d'offre s'est produite au démarrage et nous sommes aujourd'hui confrontés à une crise de la demande.

Nous devons donc agir dans plusieurs domaines. Il faut d'abord réaffirmer la place du bio dans la trajectoire globale qui a été définie pour l'agriculture. Un objectif de 18 % a été défini dans la PAC et nous devons l'atteindre. Dans le moment de crise que nous traversons, nous devons aussi consolider l'ancrage de ceux qui ont déjà converti leur exploitation vers le bio, car rien ne serait pire que le retour en arrière d'un agriculteur qui aurait converti son exploitation. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises et d'autres sont en préparation.

Nous agissons sur le plan de la communication à travers le groupement d'intérêt public pour la promotion et le développement de l'agriculture biologique, qui constitue un élément très important. Des crédits supplémentaires ont été mobilisés afin de réaliser une étude qui permette d'objectiver la situation, en termes de consommation. Nous avons besoin de mieux documenter les tendances d'évolution actuelles, au-delà de la crise liée à l'inflation ukrainienne. Les campagnes de communication (campagne « bio réflexe ») visent aussi à inciter nos concitoyens à se tourner vers le bio.

Je pense que la grande distribution a aussi un rôle à jouer. Les surfaces dévolues aux produits bio étaient très importantes, ces dernières années, tant que la croissance était à deux chiffres. Elles tendent à se réduire au moment où la consommation de bio recule. Nous savons à quel point l'exposition du produit peut influer sur la consommation, en particulier dans les grandes surfaces.

En outre, a été votée en 2018 la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM). Je parle devant M. Stéphane Travert, qui, comme ministre, en était l'auteur et le préfigurateur. Elle visait à intégrer des produits bio et issus de circuits courts dans la commande publique. Nous sommes en train de faire en sorte que la question des produits bio et des circuits courts soit mieux prise en compte dans la commande publique. Nous examinons aussi la façon dont des incitations peuvent être mises en place vis-à-vis des collectivités territoriales. Certaines s'engagent résolument en ce sens, d'autres le font moins. Nous devons analyser ces pratiques afin d'avancer sur ce plan également. Cela pourrait contribuer à structurer le marché.

Des éléments ont par ailleurs été annoncés par la Première ministre lors du salon international de l'agriculture, en particulier une première aide d'urgence de 10 millions d'euros, qui n'avait pas vocation à constituer un solde de tout compte. Il s'agissait de couvrir des besoins immédiats et d'urgence. Je pense à un certain nombre de filières telles que celles de l'élevage (par exemple celle du porc), qui rencontrent de grandes difficultés et qu'il faut aider pour éviter la « déconversion ».

Des crédits supplémentaires font aussi l'objet d'un redéploiement, à partir de l'enveloppe de la mission Investir pour la France de 2030, afin d'abonder la communication sur les produits bio.

Enfin, nous examinons avec les filières la mise en place, dans le cadre du budget pour 2023, d'un plan d'urgence complémentaire en vue de répondre aux exigences de la filière bio compte tenu des difficultés qu'elle traverse.

Nous devons donc travailler à la fois sur les plans conjoncturel (par les mesures d'urgence que je viens d'évoquer) et structurel (en travaillant sur la réponse à la demande du marché). Il faut que le bio soit aussi un produit local afin qu'il n'y ait pas de concurrence entre ces deux qualités. Cela me paraît un élément très important. Je ne reviens pas sur les dispositifs qui existent dans la PAC (pour la conversion) et au travers de dispositifs fiscaux, en termes d'aide au maintien.

Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur spécial, le critère de l'excédent brut d'exploitation. Si la tendance de 2022 se confirmait en 2023, il conviendra sans doute de revoir la cible de manière plus ambitieuse pour les prochaines années. Dans l'immédiat, nous avons besoin de prendre un peu de recul, tant le choc de 2022 a été particulier. Reconnaissons que les productions agricoles, dans bien des secteurs, sont malheureusement coutumières de variations importantes de valeur et dépendent souvent d'éléments exogènes eux-mêmes très fluctuants. Fixer des objectifs, dans un environnement lui-même mouvant, constitue toujours un exercice difficile. Je suis néanmoins ouvert à la possibilité d'étudier ces éléments, dès lors que nous aurions passé deux exercices consécutifs.

Entrons dans la question des aléas. Le sujet est global et présente, reconnaissons-le, des difficultés. Comme l'ont souligné monsieur le président et monsieur le rapporteur spécial, nous traversons une période au cours de laquelle les aléas géopolitiques, politiques et climatiques sont importants. Je ne crois pas que vous ayez estimé, ni l'un ni l'autre, que ce soit une question de sincérité budgétaire. Lorsque le budget pour 2022 a été voté, nul ne pouvait savoir ce qu'il adviendrait concernant l' influenza aviaire. Nous étions alors en novembre et décembre 2021. Nul n'avait imaginé la crise ukrainienne. Nous avons besoin d'assumer cet aléa, qui demeure très présent. L'agriculture est une activité beaucoup plus exposée, de ce point de vue, que d'autres secteurs. Le budget de la PAC comporte d'ailleurs lui-même une provision pour les crises, dotée d'environ 500 millions d'euros, ce qui est assez rare, dans l'ensemble des politiques européennes.

Il existe deux pistes pour tenter de contrecarrer ces aléas. La première a consisté à mettre en œuvre, pour la première année, la réforme de l'assurance récolte, qui vise à mieux couvrir les risques d'aléa (sécheresse, grêle, etc.). Son équilibre me paraît satisfaisant. Il s'agit de disposer d'un instrument d'assurance qui permette de mieux couvrir le risque, avec une modulation. Je rappelle que l'arboriculture et les systèmes de prairies ont été couverts de 2 % à 4 %, ce qui est assez faible. Le système de subventionnement par l'État et par l'Union européenne, à travers la politique agricole commune, doit permettre de mieux couvrir le risque et les aléas.

Il faut aussi mieux assumer la capacité de résilience de l'agriculture, c'est-à-dire faire en sorte que celle-ci puisse mieux se couvrir, par exemple du risque de sécheresse, ce qui peut passer par la diversification d'un certain nombre d'assolements ou par l'agroécologie. Cet effort prend nécessairement du temps et c'est dans la durée que l'on jugera de l'efficacité de ces politiques. Dans le cas de la grêle, on sait que certains systèmes sont plus efficaces que d'autres. L'accès à l'eau constitue aussi un vecteur de protection contre les aléas. Là où nous pouvons agir, nous le faisons, de façon à prévenir d'éventuels défauts dans ces systèmes dans cinq, dix ou quinze ans. Le changement des pratiques constitue aussi un axe important. Les agriculteurs s'efforcent eux-mêmes d'évoluer en permanence face au changement climatique, celui-ci faisant peser sur eux la principale contrainte.

Quant au chiffrage que vous me demandez sur le taux de progression de l'assurance récolte, nous ne connaîtrons en réalité cette grandeur qu'à la fin de l'année, lorsque les agriculteurs demanderont la subvention. J'ai demandé aux deux principaux assureurs, que vous connaissez, qu'ils me transmettent en juin un premier bilan d'étape des contrats souscrits, selon la nature des filières. Notre cible était plutôt constituée des agriculteurs les moins assurés. Les premières données qui nous parviennent font état de taux de progression très importants dans un certain nombre de filières, même si nous partions de chiffres très bas.

Le CAS-DAR me paraît un outil puissant. Il permet d'avancer dans l'innovation, la recherche et la massification vers la transition agroécologique. L'enjeu est que les agriculteurs eux-mêmes soient convaincus. Vous avez noté que nous avions pu lisser les crédits de 2022 vers 2023. Je crois qu'il faudra réfléchir, dans le cadre du projet de loi d'orientation agricole (PLOA), à cet outil, en plus de l'utilisation des crédits de la mission Investir pour la France de 2030, qui peut aussi constituer un vecteur de recherche et développement, afin de capitaliser sur la diffusion du résultat des programmes de recherche de manière encore plus importante au travers du CAS-DAR, dont je rappelle qu'il est financé essentiellement par les agriculteurs. Le rapport d'une mission conjointe conduite par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et de l'Inspection générale des finances (IGF) contient des termes plutôt positifs sur la gestion actuelle du CAS-DAR et l'intérêt de ce dispositif.

Nous avons prolongé en 2023 le crédit d'impôt dédié à la substitution au glyphosate, car il s'agissait d'un élément assez nouveau. Il est difficile de vous apporter une réponse complète car ce dispositif doit faire l'objet d'une évaluation. Vous me demandez si les moyens mobilisés correspondent à notre ambition en la matière. Je constate que plus de 30 % ou 40 % des agriculteurs sont en train d'abandonner l'utilisation du glyphosate. Font-ils pour autant appel au crédit d'impôt ? Ce n'est pas nécessairement le cas. Peut-être font-ils simplement évoluer leurs pratiques. Cela n'empêche pas que nous ayons des débats quant à l'utilisation du glyphosate, sous certaines contraintes. Nous devons continuer d'y travailler afin d'avancer sur ce point. Cela mériterait une évaluation afin d'identifier des pistes qui servent nos objectifs.

M. Stéphane Travert soulève à juste titre la question des services de remplacement. Ce dispositif me paraît très efficace au moins pour deux motifs. Il sert le bien-être des agriculteurs et leur apporte des périodes de répit, ce qui en fait un outil précieux. Nous devons aussi travailler à approfondir les services de remplacement dans le cadre de la réflexion que nous devons mener afin que les agriculteurs soient soumis à des contraintes horaires et calendaires qui se rapprochent de celles du reste de leurs concitoyens, en particulier en élevage. Le sujet a émergé de la concertation sur le PLOA avec un objectif partagé de renforcement de ce service, qui contribue à la fois au bien-être des agriculteurs et à la « vivabilité » des exploitations agricoles. Je me trouvais il y a quelques semaines en Bretagne, dans un élevage laitier et les enfants des chefs d'exploitation disaient devant moi : « on a vécu au rythme des traites, le matin et le soir, 365 jours par an, week-end compris ; nous ne voulons pas connaître ce rythme-là ». Il existe le salariat, qui devra être versé au débat sur le PLOA. Les services de remplacement doivent aussi permettre de répondre à ce questionnement important.

C'est en fin d'année 2022 que nous nous sommes demandé comment nous appuyer sur des dispositifs encore plus efficients, sachant que l' influenza aviaire a évolué : alors que ces épisodes revenaient classiquement tous les trois ou quatre ans, avec plus ou moins de vigueur, nous avons assisté de façon nouvelle, en 2022, à la présence endémique, en faune sauvage, de cette pathologie sans que celle-ci ne quitte notre territoire. Le sujet demeure manifestement d'actualité en 2023.

En premier lieu, nous recherchons une dé-densification d'un certain nombre d'élevages, comme cela a été fait, monsieur Cazeneuve, dans votre département, même si nous sommes malheureusement confrontés à des épisodes d' influenza aviaire qui se produisent en fin de saison. L'objectif était de faire en sorte qu'il y ait moins d'animaux dans les élevages au moment où le risque est le plus élevé. En deuxième lieu, il ne faut jamais en rabattre sur les questions sanitaires. En troisième lieu, il existe un facteur d'espoir d'une amélioration de la situation à travers la vaccination, qui ne peut certes constituer une réponse suffisante à elle seule. La vaccination pose des questions d'acceptabilité et de capacité à exporter un certain nombre de produits. La conjugaison de ces trois réponses (dé-densification, mesures de vigilance sanitaire, vaccination) doit nous permettre de mieux passer le cap. Nous dénombrons quatre fois moins de cas cette année qu'en 2022. Il est certes bien difficile de faire la part des différents facteurs potentiellement en cause dans ce constat. Dans votre région, qui a été moins touchée et où les mesures de dé-densification ont été les plus fortes, les décisions prises ont sans doute contribué à cette diminution du nombre de cas par rapport à l'année précédente.

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