Intervention de Michel Sala

Séance en hémicycle du jeudi 8 juin 2023 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Sala :

Venons-en maintenant à la taxation des transactions financières et espérons que nous aurons un débat de fond à ce sujet. En effet, pour nous, l'économie est un moyen et non une fin en soi : nous voulons développer des outils de contrôle et de régulation pour inventer un contre-modèle par rapport au néolibéralisme. L'économie doit de toute urgence être mise au service de la réduction des inégalités et de la transition écologique. Taxer les transactions financières freinera la spéculation et dégagera des ressources.

Cette volonté n'est pas nouvelle. En 1930, Keynes était déjà favorable à ce type de régulation du marché. En 1972, James Tobin, lauréat du prix Nobel d'économie, a été à l'origine d'un grand mouvement altermondialiste visant à instaurer une taxation de la finance, dont l'association Attac est l'une des héritières. Créée en 2012, la taxe sur les transactions financières est un prélèvement sur les opérations de ventes d'actions. Elle concerne toutes les entreprises dont le siège social se situe en France et dont la capitalisation boursière excède le milliard d'euros. Depuis 2017, son taux de prélèvement s'élève à 0,3 %.

Elle a deux objectifs. Elle vise d'abord à limiter la spéculation outrancière qui, si l'on considère par exemple le cours des céréales, constitue un véritable jackpot pour les gros négociants : en 2022, on estime qu'elle a compté pour 40 % de la hausse des prix des matières premières, nourrissant l'inflation que nous connaissons. Elle sert ensuite à augmenter les moyens de financement de l'État, afin d'abonder un budget national essoré par les cadeaux fiscaux aux plus riches. Attac évalue les recettes d'une taxe potentiellement élargie à hauteur de 10 milliards d'euros, et, d'après les estimations appliquées aux pays du G20, elle pourrait rapporter au total entre 156 et 260 milliards.

L'ambition de ce texte est d'agir sur l'une des formes les plus pernicieuses du marché financier : les échanges intrajournaliers. Adossés à un outil informatique automatisé – le trading à haute fréquence –, les tradeurs achètent et vendent des titres dans l'espoir de dégager un profit substantiel dans un court laps de temps. Ces échanges concernent 25 à 40 % des transactions réalisées à la Bourse de Paris, et jusqu'à 70 % au niveau mondial. Élargir l'assiette de l'impôt sur les transactions financières, c'est simplement se redonner les moyens de contrôler l'intensité des échanges boursiers et d'y apporter de la transparence.

Suite à la crise des subprimes, l'ensemble du monde politique a changé son fusil d'épaule pour réintroduire l'idée d'un contrôle accru des mécanismes financiers. Nicolas Sarkozy, longtemps défavorable au fait de s'attaquer à la finance, s'était vu obligé, pour des raisons morales mais surtout électorales, de lancer le chantier d'une taxe minimale sur les transactions en France et dans l'Union européenne. À sa suite, en 2012, François Hollande a également fait face à un échec plus ou moins volontaire, en accouchant d'une taxe soumise au lobbying à haute fréquence des banques. Déjà acquis à la cause du grand capital, Emmanuel Macron, favorable au ruissellement – actuellement sous le coup d'un arrêté sécheresse –, a réduit l'assiette de la taxe dès 2018.

Leur responsabilité collective est lourde dans l'embourbement qu'ont connu les négociations sur ce mécanisme au niveau européen, que ce soit en 2013 ou en 2020. Alors qu'une telle taxe est défendue par de nombreuses institutions et personnalités internationales telles que le FMI – Fonds monétaire international – ou Adair Turner, ancien président de l'autorité britannique de régulation des marchés financiers, il est incompréhensible que nous ne trouvions pas rapidement des perspectives collectives en la matière.

Faute de contrôle sur les marchés, nous sommes à la merci de petits et de gros krachs boursiers ; il nous faut donc retrouver de la souveraineté politique dans la stratégie financière. Lors de la crise du covid, entre janvier et août 2020, alors que le reste de l'économie s'effondrait, générant une volatilité sur les marchés financiers et une hausse du volume des transactions, le rendement de la TTF a presque doublé.

Cette taxe a été conçue pour corriger l'ampleur des inégalités dues à la mondialisation. Elle est indolore pour les ménages et pour les entreprises, car elle ne touche pas l'économie réelle. En 2023, elle rapportera environ 2,2 milliards d'euros, et son bilan a doublé depuis 2019 – sans bouleversement majeur de la Bourse de Paris –, ce qui témoigne de son potentiel.

Par conséquent, nous sommes favorables à la présente proposition de loi, dont nous partageons les objectifs : il nous faut reconnecter la finance avec l'intérêt général.

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