Intervention de Fabrice Le Vigoureux

Séance en hémicycle du jeudi 29 juin 2023 à 9h00
Restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabrice Le Vigoureux :

C'est avec une grande émotion qui, nous le mesurons, est ici unanimement partagée, que nous abordons ce texte. S'il ne peut réparer l'irréparable, il permettra de rendre aux victimes des persécutions antisémites qui ont eu lieu entre 1933 et 1945 un peu de leur histoire, de leur dignité, de leur intimité et de rétablir un peu de justice. Suivant le souhait du Président de la République et le vôtre, madame la ministre, ce texte modifiera notre code du patrimoine dans l'un de ses articles les plus fondateurs, en permettant de lever le caractère inaliénable des œuvres et objets d'art, des livres et instruments de musique faisant partie des collections publiques de notre pays, afin de les restituer aux citoyens de confession juive qui ont été spoliés ou à leurs familles.

Dès 1933, des spoliations sauvages ont été réalisées, puis organisées, accompagnées, institutionnalisées, rendues possibles par les lois de l'État français du maréchal Pétain. Oui, le 10 juillet 1940, l'Assemblée nationale réunie en Congrès au sein du théâtre du casino de Vichy, a voté par 569 voix pour et 80 voix contre, les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, président du Conseil et maréchal de France. Dans le Calvados, un seul des six députés n'a pas pris part au vote : Camille Blaisot, qui fut député de Caen de 1914 à 1941 avant d'y être arrêté le 2 mars 1943, puis envoyé en Allemagne. Camille Blaisot est mort pour la France, dans le camp de Dachau. Dans cette même ville de Caen où je suis élu, l'histoire et les drames de la seconde guerre mondiale résonnent tout particulièrement tant elle a été une martyre des affrontements dont nous ressentons encore les traumatismes dans nos familles.

Par ce vote du 10 juillet 1940, les députés ont donné tout pouvoir au maréchal Pétain pour « promulguer une nouvelle Constitution de l'État français », permettant aux gouvernements successifs d'adopter les lois et décrets relatifs au statut des Juifs et d'instituer le Commissariat général aux questions juives. Ces textes jetteront en pâture de nombreux Juifs français, les contraignant à des ventes forcées, les poussant au dénuement, les condamnant à s'exiler, à se cacher, à vivre reclus ou à changer de nom. Ces textes imposeront le port de l'étoile jaune, rendront légitimes les rafles, institueront l'aryanisation et organiseront les spoliations. Dès l'automne 1940, commence la spoliation des œuvres d'art, supervisée par l'État français. Au total, 100 000 objets d'art, sans doute beaucoup plus, et plusieurs millions de livres ont été pillés.

Les passionnantes auditions que nous avons menées pour aboutir à ce texte de loi ont montré que la question de la dénomination que nous souhaitions donner au régime qui, à travers ces lois, a rendu ces spoliations légitimes était fondamentale. Cette dénomination devait, en effet, refléter la part de responsabilité que nous devons, encore et toujours, assumer. C'est pourquoi je suis convaincu qu'en choisissant d'employer l'expression « État français », nous avons fait avec vous, madame la ministre, avec la rapporteure Fabienne Colboc, avec Caroline Yadan et bien d'autres, le bon choix.

Sans nier la force de la France qui se trouvait à Londres, sans nier les Justes, sans nier la résistance sur le territoire, ce choix s'inscrit dans la lignée de ce que Jacques Chirac avait souhaité dans son discours au Vél d'Hiv et qui a trouvé son prolongement dans la loi du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France, loi qui reconnaissait enfin la responsabilité de l'État français comme instigateur des monstruosités commises à l'encontre des Juifs. Par ce texte et cette expression, nous avons choisi cette voie, ce dont je suis fier.

En outre, ce projet de loi nous a permis de mesurer la nécessité de donner aux universités comme aux institutions culturelles des moyens pour travailler sur la recherche de provenance. Notre pays est un phare en matière de recherche en histoire et en histoire de l'art. Puisque nous avons une responsabilité importante dans les spoliations commises, nous nous devons d'amplifier tous les efforts de la recherche en la matière. C'est la raison pour laquelle, avec ma collègue Caroline Yadan, je défendrai un amendement invitant le Gouvernement, dans son rapport, à rendre compte au Parlement de l'action et des moyens qu'il met en œuvre pour soutenir la recherche de provenance.

En tant que responsable du texte pour le groupe Renaissance, je veux vous remercier, madame la ministre, et vous confirmer que notre groupe votera favorablement pour ce texte qui sera, comme au Sénat je l'espère, adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.

5 commentaires :

Le 10/08/2023 à 14:02, Aristide a dit :

Avatar par défaut

"Sans nier la force de la France qui se trouvait à Londres, sans nier les Justes, sans nier la résistance sur le territoire,

Si si, vous niez, car on ne saurait être à la fois légitime à Vichy et à Londres en même temps, je l'ai déjà dit. Choisissez votre camp, celui de la Résistance, ou celui de la collaboration fasciste.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 10/08/2023 à 14:03, Aristide a dit :

Avatar par défaut

"Notre pays est un phare en matière de recherche en histoire "

Un phare en matière de légitimation du fascisme, tout en prétendant le dénoncer...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 12/08/2023 à 10:08, Aristide a dit :

Avatar par défaut

"Dès 1933, des spoliations sauvages ont été réalisées,"

Monsieur parle de la France ou de l'Allemagne ? Il ne précise pas, c'est inquiétant vu la date mentionnée.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 12/08/2023 à 10:10, Aristide a dit :

Avatar par défaut

Par ce vote du 10 juillet 1940, les députés ont donné tout pouvoir au maréchal Pétain pour « promulguer une nouvelle Constitution de l'État français »,

Vote anticonstitutionnel et illégal, rappelons-le.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 12/08/2023 à 10:23, Aristide a dit :

Avatar par défaut

De Gaulle a dit "combien c'est généreux la France" (discours à Alger le 4 juin 1958, lors du fameux "je vous ai compris")

C'est au nom de cette générosité que la France peut réparer les exactions de Vichy, pas au nom d'une quelconque légitimité de Vichy qui se transmettrait par on ne sait quelle "filiation légitime" à la France d'aujourd'hui, qui n'a rien à voir avec les crimes de Vichy.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Inscription
ou
Connexion