Intervention de Géraldine Bannier

Séance en hémicycle du jeudi 12 octobre 2023 à 21h30
Interdiction de l'écriture dite inclusive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGéraldine Bannier :

Assurément, la rédaction initiale de la proposition de loi laissait à désirer. Le Rassemblement national a donc réécrit son brouillon, et le rapporteur a argué que ses collègues et lui-même n'étaient pas des linguistes, mais des députés. Certes, mais rien n'interdit d'approfondir un sujet, surtout lorsqu'il a trait à la langue, sujet ô combien délicat.

Pour rappel, l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 et ses articles 110 et 111 sont toujours en vigueur, avec ses fondamentaux, notamment l'exigence d'arrêts écrits « clairement », sans « ambiguïté » ni « incertitude » et impérativement en langue française « et non autrement ». Nul n'a légiféré sur la langue française depuis Jacques Toubon en 1992 et l'invitation de Montesquieu à ne toucher à la loi que d'une main tremblante est particulièrement bienvenue en ce domaine.

En réalité, ce que vise cette proposition de loi portant interdiction de l'écriture dite inclusive dans les productions et publications scolaires et universitaires ainsi que dans les actes civils, administratifs et commerciaux n'est pas clair. Le texte tend sans doute à interdire la formulation ou la rédaction épicène, prônées par les adeptes de l'écriture inclusive, plutôt que les termes épicènes eux-mêmes, et à bannir les doubles flexions telles que « tous.tes », plutôt que « toutes et tous ». Il faut du moins l'espérer, car qui oserait imaginer un parti désireux de revenir sur des évolutions d'usage et sur la féminisation des noms, sauf à supposer de sa part une volonté de retour à un ordre patriarcal heureusement révolu ? Le doute est néanmoins permis quand même le mot « avocate » n'est pas prononcé à la tribune.

Quoi qu'il en soit, voilà la proposition de loi balbutiante brutalement ramenée à la seule question du point médian, ce qui nous interroge sur l'utilité de ce texte. Les circulaires d'Édouard Philippe, alors Premier ministre, et de Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'éducation nationale, publiées respectivement en 2017 et en 2021, sont on ne peut plus claires. Elles disent oui à la féminisation des noms, laquelle avait déjà été engagée par la circulaire du 11 mars 1986, puis confirmée, après constatation d'une mauvaise application, par celle du 6 mars 1998. Et elles disent non à l'écriture inclusive, au nom du respect des règles de la langue, dont la vocation première est d'être claire.

« Les administrations relevant de l'État doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques, notamment pour des raisons d'intelligibilité et de clarté de la norme », dispose la circulaire de 2017. Quant à celle de 2021, elle dit notamment qu'« en premier lieu, il convient de proscrire le recours à l'écriture dite inclusive, qui utilise notamment le point médian […]. L'adoption de certaines règles de l'écriture inclusive modifie en effet le respect des règles d'accords usuels attendues dans le cadre des programmes d'enseignement. »

Notons en outre que vous semblez parfaitement ignorer un principe de base concernant l'édition des manuels scolaires : celui de la liberté éditoriale.

À quoi bon, en définitive, un tel bredouillage législatif assez peu clair –on l'a vu – alors que les circulaires que j'ai citées sont opérantes ? Sans nul doute à agiter un sujet politiquement très clivant : il n'y a qu'à voir l'extrême virulence des débats que nous avons eus en commission. Aller sur ce terrain, qui oppose les unes aux autres et qui exacerbe les tensions sur le sujet de l'égalité des sexes, n'est certainement pas, en ces temps de division et d'archipellisation de la société, la meilleure idée qui soit, ne vous en déplaise.

Quant à notre belle langue, dans sa grande sagesse, l'Académie française a rappelé que l'usage est le « législateur suprême » – ce qu'il convient de ne jamais l'oublier. Soyons donc tous humbles en ce domaine. Qui sommes-nous pour régimenter notre langue ? Voici les mots de sagesse de l'académicienne Jacqueline de Romilly : « Pour ce qui est de la langue, elle est chose vivante, certains usages s'y introduisent, sous contrôle de l'Académie française. Nous accueillons quantité de mots, mais on ne réforme pas une langue par décret gouvernemental, en affirmant qu'on ajoutera un « e », alors qu'il n'est pas conforme au féminin des mots. »

Vous l'aurez donc compris, le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) ne votera pas cette proposition de loi.

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