Intervention de Philippe Bolo

Réunion du mercredi 18 octobre 2023 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Bolo, rapporteur pour avis :

Chers collègues, il me revient de vous présenter le rapport pour avis du programme 134 relatif au développement des entreprises et aux régulations, qui s'articule autour de deux objectifs : premièrement, favoriser le développement de la compétitivité des entreprises et un environnement économique propice à la croissance et à l'emploi ; deuxièmement, la régulation et la sécurisation des marchés économiques et la protection des consommateurs.

Ma présentation sera organisée en deux temps. La première partie portera sur le rapport budgétaire, afin d'analyser les grandes lignes du programme 134 et de ses principales évolutions. La deuxième partie sera thématique et consacrée à la protection des consommateurs. J'ai choisi de me concentrer sur la question des moyens et de l'action de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour lutter contre la fraude dans le champ du commerce électronique.

Sur les grandes lignes de la programmation 2024 du programme 134, j'ai retenu sept points clés. Le premier point, c'est de ne pas se fier aux apparences. En effet, il y a un effet d'optique qui laisse accroire que l'on est face à une contraction budgétaire du programme. Elle n'est qu'apparente et s'explique en particulier par la diminution des crédits de l'action 23. Le programme 134, dans la loi de finances initiale de 2023, se chiffrait à 6,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et crédits de paiement (CP), alors que ces mêmes montants sont de 2,9 milliards d'euros et de 2,6 milliards d'euros pour la programmation 2024, soit des baisses de 53 % et 58 %.

En réalité, cela s'explique par l'évolution de l'action 23 qui héberge plusieurs dispositifs « contextuels ». Elle avait ainsi hérité des aides aux entreprises énergo-intensives en réponse à la crise ukrainienne à hauteur de 4 milliards d'euros – un dispositif qui disparaît. Cette action 23 n'est pas sacrifiée pour autant puisque, abstraction faite des aides de conjoncture pour 2023, elle augmente de 36 % en AE et de 33 % en CP grâce à une dynamique de renforcement des crédits d'intervention destinés à la compensation carbone, et ce pour deux principales raisons : premièrement, la hausse des prix du quota carbone de 55 % entre 2022 et 2023 ; deuxièmement, l'évolution du mode de calcul en vigueur.

Troisième point : le programme 134 répond à une logique conjoncturelle liée à l'environnement économique de la France. Deux mesures sectorielles méritent d'être signalées car elles répondent à un certain nombre de besoins : il s'agit premièrement du développement de l'accessibilité des établissements recevant du public (ERP), notamment pour l'accompagnement des petits commerces et les établissements du quotidien que sont les bars, les cafés et les restaurants, grâce à 50 millions d'euros en AE, avec pour objectif d'accroître l'accessibilité de ces ERP dans la perspective des JO de 2024 ; le soutien aux métiers d'art par le développement des PME, avec une enveloppe d'environ 2 millions d'euros.

Quatrième point : les dépenses en personnel augmentent de 3,97 % en comparaison de la loi de finances initiale de 2023, ce qui correspond à 119,32 millions d'euros en AE et en CP, les plafonds d'emploi étant portés à 1 229 équivalents temps plein (ETP) travaillés.

Cinquième point : les crédits de l'action 04, qui porte sur le développement des postes, des télécommunications et du numérique, sont en baisse de 0,53 % en AE et de 0,82 % en CP. Cela traduit-il pour autant une forme de résignation face à la trajectoire défavorable du flux de courrier ? Pas exactement, parce que, là aussi, il faut savoir regarder les chiffres non dans leur globalité mais sur leur tendance pluriannuelle. 2022 et 2023 ayant été marquées par des hausses significatives, en réalité, les moyens stagnent. Le soutien à La Poste va prendre trois formes. Ce seront 500 millions d'euros pour le service postal universel contre 520 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances initiale de 2023 – il s'agit d'une légère diminution. Deux autres points connaissent au contraire une augmentation : le rôle de La Poste dans l'aménagement du territoire va être renforcé, le soutien passant de 74 millions d'euros en AE à 105 millions d'euros en AE en 2024 ; les aides au transport de presse sont également augmentées.

Sixième point : la réduction du volume des dépenses fiscales – on les examine peu souvent mais il s'agit d'une diminution de recettes qui méritent d'être signalées. Le programme 134 comprend soixante et onze dépenses fiscales associées, pour un montant de 8,1 milliards d'euros en 2023 qui passe à 7,3 milliards d'euros en 2024, soit une baisse de 10 % qui équivaut à des recettes supplémentaires pour l'État. Cela étant, ce chiffre masque des évolutions contrastées. Certaines dépenses fiscales sont à la hausse, notamment tous les dispositifs de TVA réduite en soutien au tourisme et à la restauration. En revanche, d'autres – mais qui représentent peu en masse – enregistrent une baisse : il s'agit – je les ai évoquées des aides aux entreprises énergo-intensives qui viennent à disparaitre.

Le septième et dernier point que je voulais vous signaler concerne les trois autorités indépendantes de régulation : l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), l'Autorité de la concurrence et la DGCCRF. Quelle que soit l'autorité, vous remarquerez que les chiffres sont à la hausse dans des proportions variables : en AE, + 5 % pour l'Arcep, + 80 % pour l'Autorité de la concurrence et + 4,65 % pour la DGCCRF. S'agissant de l'Arcep, la hausse est tendancielle, liée à l'augmentation des dépenses de personnel et des dépenses de fonctionnement. L'augmentation de 80 % pour l'Autorité de la concurrence correspond à un effet important du renouvellement des baux des bâtiments que l'Autorité occupe. Quant à la DGCCRF, c'est l'effet de l'augmentation des dépenses de personnel de 4,65 % en autorisations d'engagement, le plafond d'emplois étant relevé à 58 équivalents temps plein travaillés.

Je formule un certain nombre d'observations à propos de la programmation budgétaire. Nous devons veiller à l'adéquation des ressources humaines et de l'accomplissement des missions entrant dans le périmètre de ces différentes autorités administratives, lequel aurait tendance à s'accroître au fil des années, pour des raisons contextuelles, législatives et réglementaires. Un seul exemple – même s'il ne concerne pas directement la DGCCRF : le filtre anti-arnaque, que nous avons voté hier dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la régulation de l'espace numérique (SREN), vient augmenter le volume des travaux. Cela mérite d'être regardé avec attention.

Pour toutes les raisons que j'ai exposées, je donnerai un avis favorable aux crédits du programme 134.

J'en viens au rapport thématique, qui porte sur les moyens et l'action de la DGCCRF pour lutter contre les fraudes dans le champ du commerce électronique, qui ne cesse de s'élargir. Ce mouvement est dû, d'une part, au nombre toujours plus grand de personnes connectées et, d'autre part, à des améliorations technologiques, les débits étant meilleurs et plus forts. Il faut également prendre en compte les nouveaux usages de consommation qui viennent conforter le commerce électronique. Si ce développement est une bonne chose du point de vue de l'économie, il s'accompagne de pratiques délictueuses et frauduleuses. J'en veux pour preuve l'évolution de l'activité de la plateforme Thesee – traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e -escroqueries – a été lancée en mars 2022. Mi-octobre 2022, elle avait reçu 60 000 déclarations. Cela montre l'importance du phénomène ! Si rien n'est fait, la confiance dans l'économie numérique risque de se déliter.

Les auditions que nous avons menées pour établir ce rapport thématique m'ont conduit à faire trois constats. Premièrement, bien que nous disposions d'un cadre juridique qui a le mérite d'exister et sur lequel peut s'appuyer la DGCCRF, celui-ci présente des limites face aux cibles et aux modalités très évolutives des pratiques frauduleuses. Au niveau national, la DGCCRF peut s'appuyer sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 et, au niveau européen, sur deux directives, celle de 2005 sur les pratiques commerciales déloyales et celle de 2011 sur le droit des consommateurs. N'oublions pas que l'application du règlement DSA – pour Digital Services Act – d'octobre 2022 viendra réguler et modifier un certain nombre de choses dans ce paysage juridique.

Deuxièmement, j'ai pu vérifier que les pouvoirs d'action confiés à la DGCCRF sont pertinents pour l'exercice de ses compétences. Son premier pouvoir est le pouvoir d'enquête et d'inspection qui consiste à rechercher les infractions et les manquements. Son deuxième pouvoir est celui des procédures d'injonction, qui vise à ordonner aux opérateurs de cesser les pratiques illicites dans un délai fixé, avec la possibilité d'associer ces injonctions d'astreintes journalières, de mesures de publicité, et en dernier lieu, la possibilité d'un déréférencement et d'un blocage des noms de domaine pour ceux qui ne suivraient pas les injonctions qui leur seraient adressées. Son troisième pouvoir est d'infliger des amendes administratives.

Troisièmement, il m'apparaît important d'accroître la portée des instruments à la disposition de la DGCCRF. La mise en œuvre de l'arsenal existant se heurte à la multiplicité des pratiques et à leurs évolutions – que vous connaissez. Il s'agit d'infractions en matière d'informations précontractuelles insuffisamment portées à la connaissance des clients en ligne. Ce peut être également l'absence de loyauté des prix ou l'absence de conformité ou de sécurité des produits. Je souligne que ces pratiques sont de plus en plus sophistiquées mais vous en avez sans doute fait vous-même l'expérience. Par différents procédés, des personnes viennent ainsi vers vous sous de fausses identités. Vous pouvez recevoir des mails d'hameçonnage et arriver sur de faux sites internet, qui cherchent à détourner vos données personnelles, notamment bancaires, pour alimenter des bases de données sur le dark web, où des pirates les achèteront et feront des achats sur votre compte. Ce sont malheureusement des pratiques assez répandues…

D'autres pratiques viennent influencer les consommateurs sur les sites marchands, en leur disant qu'il ne reste plus que quelques articles à acheter ou quelques minutes avant la fin de la promotion. Des termes anglo-saxons existent pour définir ces pratiques, que je ne donnerai pas, pour la simple et bonne raison que, lors des auditions, il nous a été signalé que la difficulté à comprendre les phénomènes en question venait parfois de ces anglicismes inconnus. Ce sont aussi les rançongiciels dont vous avez entendu parler. Qui plus est, l'origine géographique des actes en question modifie sensiblement notre capacité à réagir.

Pour faire face à ces pratiques malfaisantes, mon rapport mentionne six recommandations. Première recommandation : renforcer les moyens humains du Centre de surveillance du commerce électronique (CSCE). Deuxième recommandation : renforcer la capacité de traitement des déclarations remontées par SignalConso et Réponse Conso. Troisième recommandation : renforcer les actions de communication et de sensibilisation, en les adaptant soigneusement à tous les publics et en évitant les anglicismes. Il y a là un enjeu très important ! Vous avez de jeunes publics – par exemple la « génération Z » – très habitués à réaliser des achats en ligne qui vont nécessiter des opérations de sensibilisation très différentes de celles destinées à des publics qui viennent plus occasionnellement sur le net faire des achats et qui peuvent être confrontés à ces pratiques. Il faut adapter la communication dans les mots utilisés et – je l'ai dit – éviter les anglicismes. Quatrième recommandation : conforter le rôle de la task force nationale de lutte contre les fraudes et les arnaques. Cinquième recommandation : envisager un point d'accès unique à Thesee, Perceval, cybermalveillance.gouv.fr et SignalConso, qui permettrait au consommateur victime de malveillance d'être orienté vers le bon portail. Sixième recommandation : l'interfaçage de la DGCCRF et des associations de consommateurs semble être une bonne chose, dans le cadre du Conseil national de la consommation, pour faire remonter à la DGCCRF des informations détenues par les associations qui représentent les consommateurs. Je vous remercie !

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