Intervention de Aurélien Lopez-Liguori

Réunion du mercredi 18 octobre 2023 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Lopez-Liguori, rapporteur pour avis :

Je me réjouis de vous présenter, pour la deuxième année consécutive, le résultat de mes travaux sur les crédits relatifs aux communications électroniques et à l'économie numérique de la mission Économie. Ils concernent les programmes 134, Développement des entreprises et régulations, et 343, Plan France Très Haut Débit.

J'ai auditionné les principaux acteurs du secteur, en m'intéressant plus particulièrement au déploiement des réseaux 4G et 5G et de la fibre, ainsi qu'aux conséquences pour la souveraineté électronique et aux enjeux en matière de fiscalité.

Le budget de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) pour 2024 augmente d'environ 2 %, ce qui est insuffisant : le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren) prévoit de lui confier de nouvelles missions, or le plafond d'emploi ne varie pas. De plus, les crédits proposés ne prennent pas suffisamment en compte l'incidence de l'inflation. Je défendrai donc un amendement visant à les augmenter de 1,5 million d'euros.

Le budget de l'Agence nationale des fréquences (ANFR) est en forte hausse, en prévision des Jeux olympiques et paralympiques (JOP).

Dans le programme 343, Plan France Très Haut Débit, les autorisations d'engagement (AE) diminuent, tandis que les crédits de paiement (CP) augmentent : nous sommes en pleine phase opérationnelle.

Néanmoins, comme l'an dernier, le financement alloué aux raccordements complexes est insuffisant. Le Gouvernement s'est engagé à relier tout le territoire à la fibre optique d'ici à 2025. Nous en sommes loin. Il reste à déployer 2,1 millions de prises difficiles, dans le cadre des réseaux d'initiative publique (RIP). Je défendrai un amendement visant à augmenter l'enveloppe prévue de 100 millions d'euros et un amendement de repli, pour 50 millions d'euros.

S'agissant du plan France Très Haut Débit, on observe un nouveau ralentissement des déploiements, particulièrement en zones très denses et en zones moins denses d'initiative privée. J'appelle les pouvoirs publics et les opérateurs à la vigilance. Au sein de la zone d'initiative publique, la dynamique est relativement bonne, même s'il reste du chemin à parcourir, avec des situations contrastées.

La fermeture du réseau cuivre, consécutive au déploiement de la fibre, doit intervenir en deux temps : fermeture commerciale à partir de 2026 et fermeture technique en 2030. Orange a annoncé son intention de retirer l'intégralité du cuivre du territoire français, ce qui soulève de nombreuses questions. La fibre sera-t-elle entièrement installée avant ? Les usagers du cuivre pourront-ils transiter sans difficulté ?

À la première question, la réponse est simple : le manque de moyens pourrait avoir des conséquences dramatiques. Quand Orange retirera le cuivre, des centaines de milliers d'usagers qui n'auront pas pu être raccordés vont se retrouver sans accès à internet. Ils auront deux solutions, également insatisfaisantes : soit investir des milliers d'euros de leur poche pour installer la fibre du portail à la maison, soit souscrire un abonnement satellitaire, en se jetant dans les bras d'entreprises telles que Starlink, d'Elon Musk.

Orange a mené une expérience de transition en retirant l'intégralité du cuivre dans plusieurs villes. Résultat, 10 % des usagers n'étaient pas passés à la fibre à temps. Imaginez ce qui arrivera lors de la transition finale. Nous allons tout droit vers une catastrophe numérique, pour les Français, et surtout pour les entreprises. En effet, les professionnels sont les moins raccordés à la fibre. Même lorsqu'ils le sont, ils continuent d'utiliser le réseau cuivre pour leurs affranchisseurs, leurs ascenseurs, les téléphones des lignes de production. Sans préparation, l'arrêt du cuivre pourrait leur porter un coup fatal. Je recommande donc d'engager dès 2024 une concertation entre l'État, les opérateurs et les autorités administratives concernées, pour organiser une grande campagne d'information, comme ce fut le cas lors de la généralisation de la télévision numérique terrestre (TNT).

S'agissant de la téléphonie mobile, la 4G est désormais opérationnelle sur tout le territoire ; les retards dans l'application du dispositif de couverture ciblée semblent se résorber. Le déploiement de la 5G se poursuit, sans susciter de prise de conscience nationale quant aux possibles conséquences de l'implantation d'antennes Huawei.

Nous vivons un bouleversement mondial. Les pays prennent peu à peu en considération la nocivité de l'installation d'antennes de la marque chinoise dans leur territoire. Ils ont saisi les dangers d'espionnage économique, de menaces à la sécurité nationale, de captation de données. Le Portugal l'a compris, le Royaume-Uni l'a compris, les États-Unis et la Suède l'ont compris, le commissaire Breton l'a enfin compris.

En France, la loi du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles soumet chaque installation d'antenne à une autorisation de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). C'est un premier pas, mais ce n'est pas suffisant. Il faudrait en effet interdire purement et simplement Huawei en France, j'ai donc déposé un amendement visant à interdire le matériel d'entreprises extra-européennes dans le cadre du déploiement de la 5G. Nous disposons d'acteurs européens compétents, comme Nokia et Ericsson ; certains opérateurs comme Free et Orange l'ont bien compris et développent leur réseau avec ces entreprises uniquement, au contraire de SFR et de Bouygues.

J'appelle au bannissement de Huawei pour des raisons d'intérêt vital. Nous sommes en train de couvrir massivement la France de 5G Huawei : il a fourni plus de la moitié des antennes 5G du réseau de SFR et de Bouygues. Pour des raisons stratégiques, il faudra envisager d'interdire totalement les équipements extra-européens. Prendre cette décision maintenant, c'est préparer le futur dans un monde de plus en plus en tension. Imaginez une seule seconde qu'un conflit commercial ou politique nous oppose à la Chine, que du jour au lendemain, celle-ci ordonne à Huawei d'arrêter de fournir des pièces de rechange ou de dégrader son service. Ce serait une catastrophe pour les Français, plus généralement une catastrophe industrielle – des milliers d'entreprises pourraient être affectées. Nous sommes à l'aube d'une crise numérique. Il faut agir immédiatement.

Enfin, les géants du streaming et de la donnée monopolisent la bande passante. En 2022, les plateformes comme Netflix, Google ou Meta étaient à l'origine de 57 % du trafic. Or ces acteurs échappent en grande partie à l'impôt. Les opérateurs français développent le réseau et assurent sa maintenance ; ils consentent des investissements significatifs et supportent une fiscalité lourde. Il existe deux taxes sectorielles : la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (TOCE) et la taxe sur les services de télévision (TST). La TOCE doit être payée par les opérateurs de communication électronique et la TST par les éditeurs (TST-E) et par les distributeurs de services de télévision (TST-D). Des acteurs comme Netflix, Samsung, Toshiba et Amazon devraient y être assujettis, au même titre que les opérateurs. Il faut élargir les assiettes, pour en finir avec cette situation de distorsion de concurrence et avec l'impunité fiscale des géants américains du numérique.

Pour y parvenir, nous devons engager d'urgence une discussion sur le fair share, la contribution financière équitable. Il s'agit de faire payer les acteurs à proportion de leur utilisation de la bande passante. La Commission renâcle à instaurer cette taxe et Thierry Breton l'a finalement mise au placard, parce que l'Union européenne est divisée. L'Allemagne et les pays du Nord s'y opposent : ils refusent de s'attaquer aux intérêts américains en Europe car ils se soucient davantage des intérêts otaniens que des intérêts européens.

Si nous ne parvenons pas à négocier avec eux, tournons-nous vers les pays du Sud, qui seront plus sensibles au problème. Utilisons le mécanisme de coopération renforcée, qui permet à certains pays d'adopter des règles communes, en contournant l'opposition d'autres États membres. Si les négociations n'aboutissent pas au niveau européen, rien ne nous empêche d'adopter une législation en ce sens sans attendre l'Europe, comme Bruno Le Maire l'a fait en 2019 en créant la taxe Gafam.

Nous devons sans attendre envoyer aux entreprises américaines un message clair : vous ne pouvez pas échapper à l'impôt en Europe ; si vous monopolisez le réseau, vous paierez en conséquence.

En conclusion, je recommande de prêter attention aux raccordements complexes et au budget de l'Arcep, et j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

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