Intervention de Jean-Christophe Combe

Réunion du mardi 20 septembre 2022 à 17h00
Commission des affaires sociales

Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées :

J'ai attendu cette audition avec une certaine impatience depuis ma prise de fonction. Je souhaite que nous ayons des échanges réguliers, francs et constructifs. Je veux rappeler ma disponibilité et celle de mon cabinet pour travailler avec chacune et chacun d'entre vous, sur les sujets nationaux comme sur les sujets locaux. Il y a encore quelques semaines, vous le savez, j'étais directeur général de la Croix-Rouge française : je ne connais que trop bien l'importance d'être en prise avec les réalités du terrain afin d'éviter de se perdre dans des considérations trop générales ou bureaucratiques.

Le ministère qui m'a été confié est celui des solidarités concrètes. Cela signifie que j'ai à cœur d'aborder les sujets qui préoccupent nos concitoyens, les uns après les autres, et d'y apporter des réponses très opérationnelles. Cela signifie également que je crois à la coconstruction de nos solutions avec vous, parlementaires, avec les acteurs du « dernier kilomètre », qui est en réalité le premier et le seul qui compte pour nos concitoyens – élus locaux, services déconcentrés, acteurs associatifs, entrepreneurs sociaux, entreprises –, et avec les personnes accompagnées elles-mêmes.

Le ministère qui m'a été confié est celui de toutes les vulnérabilités, du premier au dernier jour de nos vies. Je souhaite que nous passions d'une approche « silotée » des politiques de solidarité à une vision plus transverse, c'est-à-dire interministérielle. Une personne ne se divise pas, ses problèmes non plus. C'est à nous de nous adapter à elle, et non l'inverse.

Je remercie le Président de la République et la Première ministre d'avoir consacré aux solidarités, à l'autonomie et aux personnes handicapées un ministère de plein exercice. Pour les Français, c'est peut-être un détail passé inaperçu, mais pour vous comme pour moi, c'est l'occasion de porter haut la parole de ceux que l'on n'entend que trop rarement et de mettre ces sujets dans l'agenda politique, en lien avec mes collègues du Gouvernement.

L'ensemble des chantiers qui m'ont été confiés répondent à un triple objectif et à une double urgence.

Le premier objectif est l'adaptation de notre système aux besoins sociaux d'aujourd'hui. Je pense notamment aux familles monoparentales et à nos concitoyens frappés par la grande pauvreté ou le vieillissement.

Le deuxième objectif est la réduction des inégalités dès la naissance – la lutte contre les inégalités de destin – et tout au long de la vie. Nous devons agir contre les assignations, contre les exclusions et pour une société réellement inclusive et accueillante.

En troisième lieu, nous voulons que les politiques de solidarité contribuent fortement à la société du plein emploi. Il n'y a pas d'un côté l'économie, et de l'autre l'État social. C'est parce que l'un fonctionne que l'autre peut être performant, et c'est parce que l'autre est performant que l'un peut être financé. Le secteur social et médico-social est le quatrième secteur pourvoyeur d'emplois dans notre pays : c'est une raison supplémentaire pour s'attaquer vigoureusement à la question de l'attractivité des métiers de l'accueil du jeune enfant, du soin et du lien, qui connaissent aujourd'hui de très grandes difficultés.

La première urgence à laquelle nous entendons répondre est celle du quotidien. Il s'agit de protéger nos concitoyens les plus vulnérables face aux crises économique, climatique et sociale. C'est ce que nous avons fait en instituant une allocation exceptionnelle de solidarité visant à protéger les plus précaires des effets de l'inflation. Nous aurons aussi à travailler ensemble pour soutenir les acteurs du médico-social. Je pense encore à la mobilisation de l'ensemble de la société, cet été face à la canicule, ou en hiver pour protéger les sans-abri et toutes les personnes en situation de précarité énergétique.

La deuxième urgence consiste à anticiper des réformes structurelles pour préparer la société aux grandes transitions démographique, écologique et solidaire. C'est maintenant que nous devons nous préparer à la situation que nous vivrons en 2030, quand la part des plus de 60 ans dépassera celle des moins de 15 ans et que la question de l'adaptation au changement climatique touchera plus particulièrement les personnes les plus vulnérables.

Le périmètre de mon ministère couvre tous les âges de la vie, de la petite enfance au grand âge. Son champ d'action est traversé par les questions de la performance de notre modèle de protection sociale et de l'inclusivité de notre société.

Agir en faveur de la petite enfance, c'est d'abord soutenir les familles. Si la famille est le premier lieu où l'individu construit sa capacité de résilience, c'est aussi malheureusement un lieu de reproduction des inégalités et parfois de violences. Nous faisons clairement le choix de soutenir les familles car nous considérons que c'est le meilleur investissement social. Je poursuivrai donc le travail commencé par mon prédécesseur, Adrien Taquet, pour toujours mieux accompagner les jeunes enfants et leurs parents lors des mille premiers jours de la vie.

À court terme, nous soutenons en priorité les familles monoparentales, qui sont majoritairement composées de femmes avec enfants, et dont 30 % vivent dans la pauvreté. Dès le mois de novembre, la pension alimentaire minimale sera augmentée de 50 %, ce qui permettra de baisser de plus de 2 points le taux de pauvreté des familles monoparentales. Concrètement, son montant passera de 123 à 184 euros par mois et par enfant. Nous finaliserons le service public des pensions alimentaires au 1er janvier 2023 afin de mettre fin aux impayés, véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête des mères seules. Enfin, parce qu'un enfant de 9 ou 10 ans ne se garde pas tout seul, l'aide financière pour la garde d'enfant sera, pour ces familles, étendue jusqu'à l'entrée au collège.

Nous allierons ces mesures à une politique structurelle de plus long terme pour garantir à chaque parent, à l'horizon 2030, une solution d'accueil proche de son domicile et financièrement accessible. Il manque 200 000 places d'accueil, et 160 000 parents ne reprennent pas leur travail faute de solution de garde. C'est un enjeu d'égalité des chances, de développement pour les enfants, d'accès à l'emploi et de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle pour leurs parents, mais également d'égalité entre les femmes et les hommes.

Avec les communes et l'ensemble des acteurs du secteur, nous allons bâtir le service public de la petite enfance autour de trois priorités : plus de solutions de qualité ; plus d'égalité d'accès sur le plan financier et sur le territoire ; des réponses à la pénurie de personnel à laquelle nous sommes confrontés.

Soutenir les familles, ce sera aussi soutenir la parentalité et la conjugalité.

À l'autre bout de la vie se pose la question du bien vieillir. Ce n'est pas une question technique ou financière. Ce n'est pas non plus qu'une question d'âge, puisque la société du bien vieillir commence dès l'enfance : c'est une question de société et de regard que nous portons tous sur le grand âge. En 2030, un tiers de la population aura plus de 60 ans. En 2060, les plus de 85 ans seront trois fois plus nombreux. Nous devons nous y préparer.

Là encore, nous devons agir dans une double temporalité, donc aussi dans l'urgence pour aider un secteur en crise de confiance, confronté à l'inflation et au manque de personnel. Nous avons déjà pris des mesures pour restaurer la confiance dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et soutenir la transformation de ces établissements. Nous discuterons, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), d'autres mesures d'urgence à prendre pour soutenir l'ensemble du secteur au service de nos aînés face à la hausse des prix de l'énergie.

Il est tout aussi urgent de poursuivre la transformation de l'offre et de préparer la transition démographique en travaillant autour de trois axes structurels.

Le premier est celui de la prévention pour retarder la perte d'autonomie et permettre aux personnes âgées de vivre dans la cité, comme elles le souhaitent. Nous faisons clairement le choix du domicile, puisque c'est le choix des Français, ce qui implique de travailler sur l'adaptation des logements, sur l'aide à domicile, sur le rôle des EHPAD dans cette évolution, mais aussi sur la mobilité, la manière de penser la ville, la culture ou encore le numérique.

Le deuxième axe concerne la citoyenneté et le lien social. Nous devons garantir la pleine participation de nos aînés à la vie de la cité. Il faut que les personnes âgées soient visibles, audibles, et que l'ensemble de la société se mobilise contre l'isolement social, qui est un fléau mortel.

Le troisième axe, celui des métiers, ne se limite pas à la question de la rémunération et aux mesures d'urgence que nous prendrons en la matière. Nous devons parler de formation, de management, de qualité de vie au travail, de parcours professionnels, ou encore de validation des acquis de l'expérience. Faudra-t-il passer par une loi ? Nous verrons bien ce qui est le plus efficace et ce dont nous avons besoin. Il n'y a ni totem ni tabou sur ce sujet ; en revanche, nous devrons avoir clairement déterminé le contenu avant de choisir le contenant.

Puisque je parle de loi, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. Ici et là ont été faits des parallèles, que je trouve personnellement assez choquants, entre l'éventuelle loi sur le grand âge et l'éventuelle loi sur la fin de vie. Quel que soit l'aboutissement des discussions sur ce dernier sujet, les décisions que nous pourrions être amenés à prendre ne devront pas symboliser l'échec d'une société qui ne saurait pas prendre soin ni accompagner les plus vulnérables. Le débat légitime sur la liberté de choix face à la mort ne devra pas nous conduire à considérer que les personnes vulnérables sont un poids ou, pire encore, à pousser ces personnes à le penser elles-mêmes – elles sont au contraire des richesses pour notre société. En tant que ministre de toutes les vulnérabilités, je participerai pleinement à ce débat sur un sujet aussi bien individuel que collectif, qui touche au regard que nous portons sur la fragilité, la mort, la souffrance, la liberté, ainsi qu'au rôle des soignants et des proches. Il faudra écouter avant tout les premiers concernés – les soignants, les familles, les personnes en fin de vie – pour bâtir un modèle spécifique qui tienne compte de ce que nous sommes et de ce que nous voulons faire ensemble.

Je reviens à la feuille de route qui m'a été confiée par la Première ministre. Je le disais tout à l'heure : entre la petite enfance et le grand âge, nous devons agir en continu pour la transformation d'un modèle de protection sociale qui permette à la transition écologique d'être aussi une transition solidaire.

Nous pouvons tous nous retrouver, au-delà de nos sensibilités, autour des objectifs que doit viser notre système. Performant face aux aléas de la vie, il doit aussi être juste, c'est-à-dire donner plus à ceux qui ont moins, et orienter ceux qui en ont besoin vers l'insertion pour les aider à remettre le pied à l'étrier.

Nous pouvons aussi convenir tous ensemble des dysfonctionnements de notre système, qui est aujourd'hui tellement compliqué qu'il crée du non-recours, de la fraude et de la désincitation au travail.

Réparer le système, c'est l'objet du chantier que nous vous proposons, en plaçant la solidarité à la source. Il s'agit de garantir que les aides sociales sont bien proposées à ceux qui en ont besoin, et qu'elles sont utiles, c'est-à-dire qu'elles s'inscrivent dans un parcours d'insertion. Un système d'aides simplifié et plus prévisible doit permettre aux personnes de consacrer leur temps et leur énergie à leur projet de vie et à leur recherche d'emploi plutôt que de se soucier de démarches administratives et de craindre que l'on vienne récupérer des trop-perçus plusieurs mois après leur versement.

Sans attendre les expérimentations et le déploiement de cette réforme structurelle, nous devons être réactifs face à l'urgence. C'est ce que nous avons fait cet été en revalorisant les minima sociaux et en soutenant de manière ciblée les plus précaires, auxquels nous avons versé une aide exceptionnelle de solidarité.

Au-delà de cette action à court terme, la Première ministre m'a demandé de dessiner la suite de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté d'ici à la fin de l'année. J'ai réuni hier l'ensemble des associations concernées pour engager une phase de concertation. Les collectivités territoriales, aux compétences majeures en la matière, seront également pleinement associées à ce nouveau cadre d'action et à ce pacte de solidarité entre l'État et l'ensemble des acteurs qui concourent à la lutte contre la pauvreté.

Enfin, la transition écologique et solidaire consiste à accompagner les plus vulnérables dans l'adaptation au changement climatique en travaillant notamment sur les trois principaux postes de dépenses contraintes des ménages : le logement, avec la lutte contre la précarité énergétique et la rénovation des passoires thermiques ; la mobilité, avec le déploiement à grande échelle des plateformes de mobilité solidaire ; l'alimentation, avec aujourd'hui le doublement des crédits en faveur de l'aide alimentaire et demain un travail pour permettre aux plus précaires de bénéficier d'une alimentation de qualité – nous rejoindrons ainsi les objectifs de la Convention citoyenne pour le climat. Je souhaite aussi engager, avec François Braun, des actions de lutte contre l'obésité, fléau de nos sociétés modernes, au carrefour des inégalités sociales et de santé.

Le handicap est évidemment un sujet majeur pour nos concitoyens : ma collègue Geneviève Darrieussecq viendra vous présenter en détail notre feuille de route dans ce domaine. Sa dimension interministérielle rappelle que le combat pour une société plus inclusive doit irriguer l'ensemble de nos politiques publiques – l'emploi, la santé, les transports, l'éducation nationale, l'enseignement supérieur, le sport, la culture. Nous aurons tous ensemble, j'en suis sûr, la volonté d'avancer dans la perspective de la conférence nationale du handicap qui devrait se tenir en février 2023. Elle sera un moment charnière pour engager l'acte II de l'école inclusive, progresser vers l'accessibilité universelle et renforcer l'accès au droit et l'accompagnement dans l'emploi.

Pour conclure, j'aimerais dire quelques mots sur deux sujets transversaux et essentiels pour l'ensemble des chantiers que j'ai évoqués.

J'évoquerai d'abord la question des richesses humaines, c'est-à-dire l'engagement de femmes et d'hommes dans ces actions au service des plus vulnérables. Je veux parler ici de tous les secteurs et de toutes les formes d'engagement. Être professionnel de la petite enfance, ce n'est pas la même chose qu'être médecin coordonnateur en EHPAD, aidant familial ou bénévole dans une association de solidarité. Pourtant, ce sont ces fonctions essentielles qui permettent de faire société. Nous devons donc aborder de front la crise d'attractivité que traversent ces métiers, la solitude des aidants et les évolutions des formes d'engagement bénévole. Ce n'est pas une question de moyens, mais de reconnaissance, de valorisation, de formation et de façon dont la société définit la réussite. Je souhaite que les enfants de notre pays rêvent de devenir infirmier, travailleur social, éducateur spécialisé ou gériatre.

Le second sujet que je souhaite évoquer est celui de la confiance. Si nous savons le réformer, notre modèle est un trésor, mais pour qu'il dure, nous devons garantir la confiance que nos concitoyens lui accordent et donc lutter contre tout ce qui peut le discréditer ou le fragiliser. J'ai parlé tout à l'heure de la fraude ; je veux maintenant parler de la maltraitance, qui touche tous les âges, tous les publics et tous les lieux.

Ce sujet majeur a longtemps été mis sous le tapis alors qu'il fait presque autant de mal aux victimes de ces gestes qu'aux professionnels qui les constatent, sans pouvoir rien faire, et qui finissent par perdre goût au métier qu'ils exercent. J'ai donc pris, ces derniers jours, plusieurs initiatives sur ce sujet, en lien avec mes collègues du Gouvernement. Je vous propose de les approfondir ensemble dans les prochains mois.

La première initiative consiste à identifier les stratégies de prévention fondées sur des données probantes afin d'éviter d'agir toujours dans l'urgence. C'est pourquoi j'ai demandé au Haut Conseil de la santé publique d'analyser les données scientifiques disponibles et de formuler des propositions.

La deuxième vise à éviter que les administrations apportent des réponses en silos. C'est pourquoi j'ai demandé à la Conférence nationale de santé de travailler avec les conférences régionales de la santé et de l'autonomie, les conseils territoriaux de santé et les conseils départementaux de la santé et de l'autonomie sur le traitement territorial des alertes de maltraitance.

Ma troisième initiative vise à améliorer la visibilité de toutes les alertes de maltraitance, qu'elles émanent du 3977, des agences régionales de santé (ARS), des départements ou des communes. C'est pourquoi je demanderai à l'Inspection générale des affaires sociales, en lien avec mes collègues François Braun et Charlotte Caubel, d'effectuer un travail sur les systèmes d'information et leur mise en cohérence.

Ces trois saisines permettent d'appréhender le sujet des maltraitances dans toute sa complexité. Elles n'apporteront pas à elles seules la réponse que nos concitoyens attendent ; elles seront complétées avant la fin de l'année par une stratégie de lutte contre les maltraitances à part entière, travaillée en amont avec tous les ministères et administrations concernés, afin que ces sujets sortent enfin de la rubrique des faits divers.

La confiance passe enfin par la mesure de l'impact social de nos actions, pour que chacun sache que la dépense sociale est un investissement utile et que les réformes que nous conduisons renforcent encore son utilité. J'aurai donc à cœur de venir régulièrement devant la représentation nationale pour rendre compte de l'impact de ce que nous faisons.

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