Intervention de Hervé de Lépinau

Séance en hémicycle du mardi 16 janvier 2024 à 21h30
Position de la france sur les accords de libre-échange

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé de Lépinau :

Avec quarante-deux accords de libre-échange encadrant ses relations commerciales avec soixante-quatorze États tiers, l'Union européenne détient le record mondial du plus grand nombre d'accords conclus. Nous pouvons le dire : la liberté des échanges élevée au rang de dogme est comme inscrite dans le génome des institutions européennes depuis leur origine.

Certes, si nous nous tenons à la théorie libérale, il n'y a que des bénéfices à attendre d'un accord de libre-échange avec une autre zone : davantage de marchés d'exportation et des effets bénéfiques pour le pouvoir d'achat des Européens. Dans cette vision, qui est celle de la Commission européenne, l'Union européenne et la France auraient tout intérêt à élargir au maximum le périmètre du libre-échange des biens et services, les bénéfices économiques d'une telle politique ne pouvant qu'excéder ses inconvénients. Mais cette approche ne rend pas compte de la complexité des interactions commerciales internationales, et la réalité est bien différente : les accords conclus sont construits pour favoriser l'exportation de produits manufacturés européens, mais la France, frappée par une désindustrialisation de grande ampleur, en profite peu, comme en témoigne notre balance commerciale, qui ne cesse de se dégrader. En effet, ce n'est pas par la magie d'un accord de libre-échange que nous ferons renaître de ses cendres notre puissance industrielle.

Grâce à la suppression des droits de douane qu'ils impliquent, ces accords sont aussi censés avantager le consommateur européen. Mais là encore, la réalité est beaucoup moins définitive : le récent rapport de la commission des affaires européennes présenté par nos collègues Thomas Ménagé et Lysiane Métayer révèle que selon le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), aucune corrélation n'a été démontrée entre l'existence d'un accord de libre-échange et une baisse des prix.

Venons-en maintenant au point le plus problématique de ces accords : l'agriculture européenne, et notamment française, y est presque toujours sacrifiée comme monnaie d'échange pour obtenir des conditions favorables à l'industrie ou au marché des services. À chaque nouvel accord, nos agriculteurs, éleveurs et pêcheurs – exception faite de certaines filières très largement exportatrices, comme celle des vins et spiritueux – sont presque systématiquement les grands perdants. En 2021, lors des discussions avec le Royaume-Uni, nous avons ainsi consenti à abandonner 25 % des quotas de pêche européens dans les eaux britanniques – une concession qui monnayait d'autres avantages, mais qui a été douloureusement encaissée par nos pêcheurs. De même, la conclusion du Ceta a mis les produits de nos agriculteurs en concurrence directe avec ceux du Canada, où les normes sont bien plus permissives – l'utilisation du glyphosate pour accélérer le mûrissement du blé y est autorisée, alors que cette pratique est totalement interdite en Europe, et en particulier en France.

Cette problématique se retrouve encore dans l'accord dernièrement ratifié entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande : dépourvu de clauses miroirs, il favorisera l'importation de denrées néo-zélandaises, produites selon des normes environnementales différentes des nôtres et qui doivent voyager plus de 20 000 kilomètres pour arriver dans nos ports. Quelle cohérence avec nos engagements climatiques et avec le farm to fork, cette stratégie européenne « de la ferme à la table » qui vise une baisse de 50 % de l'usage des produits phytosanitaires en Europe ? Et alors que le cheptel ovin français a été réduit de 25 % depuis 2007 et que la part de viande d'agneau consommée provient aujourd'hui pour plus de moitié des importations, comment pouvons-nous imposer à nos éleveurs la pression supplémentaire de cette concurrence déloyale ?

S'agissant des accords de libre-échange, la position que nous défendons est simple : les intérêts de la France et des Français d'abord ! À une position idéologique prétendant chercher à conclure des accords avec de nouveaux partenaires à n'importe quel prix, sans considération de leurs effets néfastes, nous voulons donc opposer une approche pragmatique, qui se donne pour objectif d'évaluer au préalable les conséquences d'un projet d'accord pour l'ensemble des filières françaises, et revendiquer l'exclusion de certains biens du périmètre de l'accord chaque fois que cela sera nécessaire aux intérêts de la France – en particulier en matière agricole. C'est dans ces conditions que nous pourrons jeter les bases d'une politique commerciale équitable pour notre pays, bénéfique à tous les Français, et qui ne dégrade pas davantage notre souveraineté alimentaire.

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