Intervention de Sarah El Haïry

Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 14h00
Conséquences de la loi immigration sur les enfants étrangers placés à l'aide sociale à l'enfance

Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles :

Je remercie le groupe Socialistes et apparentés, en particulier Mme Isabelle Santiago, d'avoir inscrit le présent débat à l'ordre du jour. Il s'agit de ma première audition à l'Assemblée sur un sujet relevant de mon nouveau périmètre de compétences ; c'est donc un moment marquant.

La mission qui est la mienne consiste à accompagner les enfants, tous les enfants, en prenant en considération leur famille. On en vient très vite à aborder les questions qui nous réunissent cet après-midi, à savoir la protection et l'accompagnement d'enfants qui arrivent sur notre territoire dans des conditions parfois tragiques – je parle bien sûr des MNA.

Vous avez notamment débattu de ce sujet lors de l'examen de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Je ne reviendrai pas sur les circonstances de ces débats, qui n'ont pas pu se tenir dans des conditions idéales. Il semble toutefois nécessaire de rappeler que le Gouvernement a exprimé, sur la question particulière des MNA, des positions qui ne se retrouvent pas toujours dans ce texte. Toutefois, il lui appartient désormais d'appliquer la loi telle qu'elle a été promulguée, le 26 janvier dernier.

Cette loi a interdit le placement en rétention de tout étranger mineur de moins de 16 ans. Cette mesure ne concerne pas les MNA, pour la simple et bonne raison qu'un mineur seul ne pouvait déjà pas être placé en rétention administrative – il ne peut et ne doit pas l'être. Je souhaitais néanmoins revenir sur cette mesure, parce qu'elle est forte et humaniste, et que nous sommes nombreux ici à la soutenir : les familles n'ont pas leur place dans les centres de rétention administrative.

La loi comprend deux autres dispositions relatives aux MNA – mon propos liminaire, relatif à l'état du droit actuel, sera relativement technique ; nous entrerons dans les débats plus politiques à la faveur des questions.

D'une part, elle prévoit la création d'un fichier national des mineurs se déclarant MNA contre lesquels il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'ils aient pu participer, comme auteurs ou complices, à des infractions à la loi pénale ou l'établissement d'un lien entre plusieurs infractions commises par un seul de ces mineurs. La finalité de ce fichier, qui permettra le recueil d'empreintes digitales et de photographies, est de faciliter l'identification des personnes concernées. La possibilité que les empreintes digitales et les photographies des étrangers se déclarant MNA fassent l'objet d'un traitement automatisé était déjà consacrée à l'article L. 142-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), à la suite de la refonte de ce code par l'ordonnance du 16 décembre 2020.

Les données relatives aux empreintes digitales et à la photographie des MNA concernés font déjà l'objet de fichiers existants, tels le fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) ou encore le fichier prévu à l'article L. 142-1 du Ceseda. Le même encadrement et les mêmes garanties que ceux qui sont applicables au fichier AEM sont prévus pour le nouveau fichier.

Pour mémoire, le Gouvernement, à l'instar de plusieurs députés présents cet après-midi, était défavorable aux amendements visant à réintroduire ce fichier dans la loi, en raison de sa redondance avec le fichier AEM et de l'incohérence qui s'attachait à la création, au sein du Ceseda, d'un traitement de données à caractère personnel ayant exclusivement des finalités de police judiciaire. Cette disposition, ajoutée par le Sénat, avait d'ailleurs été supprimée par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il s'agit désormais de la loi de la République. C'est pourquoi il a été demandé aux différentes administrations concernées d'analyser les conditions de sa mise en œuvre.

D'autre part, la loi a exclu les MNA faisant l'objet d'une OQTF du champ de l'accompagnement obligatoire des jeunes majeurs. Cette disposition ne doit pas être entendue comme une impossibilité pour le jeune faisant l'objet d'une OQTF de bénéficier d'un contrat jeune majeur. Elle offre une liberté aux départements en la matière : chaque département prend ses responsabilités. Malgré la délivrance d'une OQTF, le conseil départemental est toujours dans la possibilité, selon sa libre appréciation, de proposer un contrat jeune majeur à la personne concernée. À ce jour, la mission nationale mineurs non accompagnés (MMNA) n'a pas eu connaissance de sorties sèches, des dispositifs de prise en charge, de majeurs anciennement MNA faisant l'objet d'une OQTF.

D'autres dispositions de la loi relatives aux MNA ont été censurées par le Conseil constitutionnel, en raison de l'absence de lien avec le projet de loi initial. Je pense évidemment à l'article 7 ter – devenu article 33 dans le texte définitif du projet de loi – qui prévoyait que les MNA pris en charge avant 16 ans par l'ASE seraient admissibles au séjour en fonction non plus de la nature des liens familiaux, mais de l'absence de liens familiaux. Cette évolution aurait profondément transformé l'instruction du dossier, puisque l'on serait passé d'un régime d'appréciation circonstanciée de la nature des liens à un régime de constatation par les services de l'État de l'absence de liens. Les conséquences juridiques auraient été importantes.

En outre, la conventionnalité de cette disposition aurait pu être soulevée, au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. En effet, un MNA pris en charge par l'ASE et inséré depuis des années qui aurait été dans l'impossibilité d'apporter la preuve de l'absence avérée de liens avec sa famille restée dans son pays d'origine se serait vu opposer, à sa majorité, un refus de séjour, assorti d'une obligation de quitter le territoire dans le cas d'une arrivée en France après ses 13 ans.

L'article 12 ter – devenu article 45 – prévoyait l'élaboration d'un cahier des charges national pour l'évaluation des personnes se présentant comme MNA. Cependant, il convient de souligner que l'évaluation de la minorité et de l'isolement fait déjà l'objet d'un encadrement législatif et réglementaire par le code de l'action sociale et des familles. L'arrêté du 20 novembre 2019, en cours d'actualisation, définit précisément le cadre de cette évaluation : équipes pluridisciplinaires, formation, nombre d'entretiens, modalités de ces entretiens, points ayant vocation à être abordés au minimum au cours de ceux-ci.

De plus, un guide relatif aux bonnes pratiques en matière d'évaluation de la minorité et de l'isolement des personnes se déclarant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille a été publié en 2019, afin d'améliorer et d'harmoniser les pratiques des services d'évaluation des conseils départementaux, et de garantir une meilleure prise en compte de la situation de ces mineurs. Ce guide fera prochainement l'objet d'une actualisation.

Je viens de consacrer quelques minutes à ce que la loi contient, mais il y a aussi ce qu'elle ne contient pas. Je suppose que cela fera l'objet du débat et des questions, auxquelles je m'efforcerai de répondre avec la plus grande sincérité et en toute transparence.

La crise sanitaire a eu pour effet de réduire fortement les arrivées de MNA en 2020. Cependant, depuis l'été 2022, nous assistons de nouveau à une augmentation du nombre de primo-arrivants et de MNA reconnus comme tels par l'autorité judiciaire et confiés aux conseils départementaux. Cela représente une charge supplémentaire, et de nombreux territoires ont des difficultés à accomplir leur mission de protection, certains dispositifs d'accueil étant saturés.

La recherche de nouveaux lieux d'accueil et le recrutement de professionnels constituent des difficultés pour le déploiement rapide, par les départements, de nouveaux dispositifs de protection. Dans ce contexte, plusieurs conseils départementaux ont, malheureusement, cessé de mettre à l'abri un certain nombre de MNA ou ont refusé d'accueillir des MNA orientés dans le cadre de la péréquation nationale et confiés par décision de justice.

J'ai décrit les choses de manière très factuelle. Indépendamment de nos opinions politiques, nous sommes face à une situation grave et urgente : la nécessité d'accueillir ces enfants dans de bonnes conditions. Nous avons à ce sujet des discussions très régulières avec Départements de France (ADF) – son président, François Sauvadet, est l'une des premières personnes que j'ai rencontrées – et avec les présidents de conseil départemental, qui recherchent des solutions.

Autre élément factuel : l'État intervient et continuera à intervenir aux côtés des départements dans l'évaluation, la mise à l'abri et la prise en charge des MNA. Il le fait notamment de manière opérationnelle, en mettant en place un traitement automatisé des données à caractère personnel, qui permet de mieux identifier les jeunes qui se déclarent MNA, lors de l'évaluation de leur situation. Ce dispositif a aussi vocation à accueillir provisoirement les données personnelles des jeunes qui se déclarent mineurs, jusqu'à leur placement définitif à l'ASE. Il permet parfois de réduire l'engorgement des services de l'ASE. Les équipes peuvent alors se concentrer – tel est, en tout cas, notre souhait – sur leur action d'accompagnement des personnes éligibles qui ont besoin de cette protection.

J'entends quelles peuvent être les difficultés des départements. Néanmoins, ceux-ci bénéficient d'un appui financier réel de la part de l'État, pour la réalisation de leur mission de mise à l'abri. Il s'agit, d'une part, d'une prise en charge de 500 euros pour l'évaluation sociale et une première évaluation des besoins en santé et, d'autre part, pour la mise à l'abri, de 90 euros par personne et par jour dans la limite de quatorze jours, puis de 20 euros par personne et par jour dans la limite de neuf jours complémentaires.

En outre, dès 2018, le Gouvernement s'était engagé auprès des départements à apporter une aide exceptionnelle à la prise en charge des MNA confiés à l'ASE par l'autorité judiciaire. Ce financement exceptionnel a été reconduit en 2019 et les années suivantes, à hauteur de 6 000 euros par jeune, pour 75 % des MNA supplémentaires pris en charge par l'ASE entre deux années de référence – car le nombre d'arrivées a varié. Cette aide s'est élevée à 34 millions d'euros en 2019 et à 18 millions en 2023.

La protection de l'enfance est d'abord une politique décentralisée, en l'occurrence auprès des départements, mais c'est bien sûr l'État qui en fixe le cadre. Je créerai très prochainement des groupes de travail entre l'État et les départements, qui avaient été annoncés en septembre 2023. Ils ont vocation à envisager, sans tabou, tous les sujets, afin d'améliorer la conduite de cette politique. La prise en charge des MNA figure bien sûr parmi les thèmes prioritaires retenus d'un commun accord. J'ai pris cet engagement auprès du président de l'ADF ; je le prends devant vous cet après-midi.

Il importe de rappeler que parler de la situation des MNA, c'est d'abord parler d'enfants dont le parcours de vie a d'ores et déjà été marqué par des épreuves indicibles, souvent violentes. J'ai désormais la responsabilité et la charge de cette politique. Dans les actions que nous conduirons, accueillir avec humanité sera notre maître mot. Je suis bien évidemment à votre disposition pour répondre à vos questions.

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