Intervention de Antoine Chuzeville

Réunion du jeudi 8 février 2024 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Antoine Chuzeville, co-premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes :

Je vais m'exprimer à présent au nom du SNJ. Madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir et de nous entendre dans le cadre de vos travaux sur les États généraux de l'information.

Le 2 octobre dernier, le Président de la République a adressé une lettre de mission au comité de pilotage de ces États généraux. Dans cette lettre, il rappelle notamment que « l'information dont tout citoyen a besoin doit être conçue et présentée dans le respect des principes de liberté, d'indépendance, de pluralisme et de fiabilité ». Cette mission – informer les citoyens – est celle des dizaines de milliers de journalistes que nous représentons aujourd'hui. À ce titre, nous devons rappeler ici que cette mission est aujourd'hui très difficile à mener. Depuis le mois d'octobre, nous n'avons pas été souvent sollicités par les EGI. Nous n'avons pas été beaucoup associés à leurs travaux. Nous le regrettons, mais quand nous l'avons été, nous avons à chaque fois rappelé les nombreuses urgences auxquelles notre profession est confrontée.

En introduction, nous souhaitons brièvement rappeler cinq de ces urgences. Premièrement, il faut lutter contre la dislocation des rédactions. Une information libre, indépendante, pluraliste et fiable ne peut pas se construire sur des professionnels fragilisés, menacés, précarisés. Le SNJ le rappelle inlassablement depuis plus d'un siècle : la sécurité matérielle et morale est la base de l'indépendance du journaliste. Nous en reparlerons en détail si vous le souhaitez, mais le constat est accablant. La vie de nombreux titres de presse en France est rythmée par les suppressions de postes, les licenciements. Dans certains départements, le risque est grand de voir disparaître à très court terme l'essentiel de la presse locale.

Au sein des entreprises de presse qui tiennent encore, les CDI se raréfient au profit de contrats précaires, parfois illégaux. Les employeurs ont, hélas, de plus en plus recours à des modes de rémunération qui ne respectent pas ce que prévoit le code du travail. Ces délits sont régulièrement condamnés, mais cela ne suffit pas. Notre profession est aujourd'hui morcelée, paupérisée, ce qui a évidemment des conséquences sur la production de l'information et sur sa qualité. L'État doit intervenir pour mettre fin à ces pratiques. Les aides publiques à la presse doivent être conditionnées au respect du droit du travail.

Deuxièmement, la protection des sources d'information doit être améliorée. Le SNJ souhaite que la loi de 2010 sur le respect de la protection des sources soit renforcée en précisant la notion d'impératif prépondérant d'intérêt public ; le SNJ souhaite également qu'elle soit consolidée, afin notamment d'empêcher l'espionnage des journalistes, mais aussi les poursuites judiciaires sous couvert d'atteinte au secret des affaires, par exemple.

Par ailleurs, sur ce point, la notion de secret-défense ne peut pas être utilisée de manière illimitée. Notre profession a été particulièrement choquée par la garde à vue récente de la journaliste Ariane Lavrilleux, autrice d'une enquête sur les liens militaires entre la France et le

régime égyptien. Il faut également mettre un terme aux procédures-bâillon. Toutes ces pressions et ces intimidations sont des menaces graves pour la liberté de la presse.

Troisièmement, l'indépendance des rédactions passe par un renforcement des droits collectifs des journalistes. C'est pourquoi le SNJ préconise, entre autres, la reconnaissance juridique de l'équipe rédactionnelle. Nous sommes d'ailleurs à votre disposition pour détailler cette proposition.

Quatrièmement, il s'agit de créer urgemment un cadre déontologique commun à toutes les entreprises de presse. Pour le SNJ, qui a publié sa première charte d'éthique professionnelle en 1918, rien ne sera plus efficace qu'un socle déontologique unique pour l'ensemble des rédactions. Des textes de référence existent aujourd'hui, et il est grand temps qu'ils soient annexés à notre convention collective. Là encore, nous souhaitons que l'État intervienne. Nous proposons par exemple que les aides publiques à la presse ou la signature des conventions par l'Arcom soient conditionnées à l'adhésion des médias écrits ou audiovisuels à une instance déontologique indépendante, comme le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) créé en 2019.

Enfin, pour conclure, le SNJ rappelle son attachement à un financement pérenne et indépendant de l'audiovisuel public, qui est aujourd'hui l'un des principaux employeurs de journalistes en France. La suppression de la redevance audiovisuelle n'a pas été suivie de mesures garantissant durablement ce financement et cette indépendance. Il nous paraît indispensable et urgent d'y remédier, tout comme il nous paraît indispensable de développer le maillage territorial de l'audiovisuel public et de préserver l'existence de rédactions distinctes en son sein. La priorité n'est pas à la création d'une superstructure de type holding, mais bien au développement de l'offre d'information, en particulier l'information de proximité.

Nous sommes à votre disposition pour développer ces points qui nous semblent essentiels pour renforcer une information libre, fiable et indépendante, et cette liste n'est évidemment pas exhaustive.

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