Intervention de Pierre Henriet

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2024 à 16h00
Gouvernance de la sureté nucléaire et de la radioprotection – application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Henriet :

La motion de rejet préalable n'ayant pas été adoptée, nous pouvons entrer au cœur des débats sur le projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour relever le défi de la relance de la filière nucléaire.

Le lancement du programme nucléaire, voté en juin 2023, pose plusieurs questions pratiques et techniques quant à la manière d'atteindre les objectifs fixés par la loi. Face à l'accélération du programme, l'exigence d'une sûreté renforcée doit être au centre de nos préoccupations. L'Opecst travaille depuis quarante ans au contrôle parlementaire de la sûreté nucléaire ; ce sujet est même à l'origine de la création de cette instance. Nous y avons consacré plus d'une vingtaine de rapports, notamment celui qu'avait rédigé le sénateur Jean-Marie Rausch, ancien président de l'Office, qui nous a quittés il y a quelques semaines et dont je salue la mémoire.

Tirant les conséquences de l'accident de Tchernobyl, ce rapport préconisait de créer une agence de sécurité et d'information indépendante des pouvoirs publics et des exploitants d'installations nucléaires, autrement dit la future ASN. En effet, pour l'Opecst, les structures de contrôle internes au CEA et au ministère de l'industrie n'étaient clairement plus susceptibles d'assurer un contrôle vraiment indépendant de notre sûreté nucléaire. L'analyse des systèmes étrangers, qui sont loin d'être tous identiques, avait également convaincu nos prédécesseurs. Voilà la boussole qui doit nous guider.

Ce projet de loi a pour ambition de renforcer l'expertise scientifique au sein de l'unique autorité chargée de la sûreté des installations nucléaires de notre pays. Contrairement à ce que certains prétendent, il est faux de dire que les relations entre l'ASN et l'IRSN sont celles d'un pouvoir et d'un contre-pouvoir – tous les cas pratiques le prouvent. La question essentielle que nous devons nous poser est de savoir si, dans le contexte de la relance du nucléaire, les prises de décision de l'ASN s'effectuent dans des conditions satisfaisantes. À cette question, la réponse est non. Notre rôle est par conséquent de garantir à l'ASN les meilleures conditions d'expertise possible.

Au fil des politiques qui ont délaissé le nucléaire, nous faisant perdre en souveraineté énergétique, nous n'avons pas été suffisamment attentifs aux conditions de travail de l'ASN. Nous nous retrouvons donc aujourd'hui avec un écart énorme de moyens humains entre les deux institutions : l'IRSN dispose de près de 1 760 équivalents temps plein travaillé (ETPT), alors que l'ASN n'en comptait, au 31 décembre 2022, que 516.

En disant que la fusion des deux entités est indispensable, je pèse mes mots. Il ne s'agit pas de s'interroger sur le fonctionnement actuel de l'écosystème qu'elles forment et qui fonctionne bien – le rapport 2023 du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), pour n'en citer qu'un, en atteste ; il s'agit de penser à l'avenir. Actuellement, l'ASN procède à 2 000 inspections et délivre 2 000 décisions individuelles d'autorité et d'enregistrement chaque année. En 2030, dans la perspective du programme de relance du nucléaire, ce nombre sera trois à cinq fois plus élevé. Sans changement, l'insuffisance de ses effectifs ne permettra pas à l'ASN d'assurer une organisation à la hauteur des exigences en matière de sûreté. Nous devons lui offrir de meilleures conditions de prise de décisions, voilà l'enjeu de fond ! L'ASN doit bénéficier de moyens renforcés et intégrer en son sein les compétences techniques de l'IRSN afin de fluidifier le processus de décision et de gagner en coordination.

J'en viens au cœur du réacteur, si je puis dire : l'indispensable réintroduction de l'article 1er du projet de loi, essentiel pour garantir la sûreté des futures installations nucléaires. La relance à venir fera peser sur l'ASN une charge de travail considérable : il s'agira à la fois de garantir la prolongation du parc dans de bonnes conditions, de superviser la construction des nouveaux EPR, d'examiner les options pour les réacteurs de nouvelle génération tels que les SMR et de relancer la fermeture du cycle du combustible avec les réacteurs à neutrons rapides. Nous devons renforcer l'attractivité et l'efficacité de cette instance.

La majorité des députés du groupe Horizons et apparentés se prononceront en faveur de ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion