Intervention de Antoine Vermorel-Marques

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2024 à 9h00
Réduction de l'impact environnemental de l'industrie textile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Vermorel-Marques :

Je viens vous parler de ce petit coin de France où je suis né, la belle région roannaise. Chez nous, on tisse, on maille et on habille depuis plus de deux cents ans. Être roannais, c'est avoir le textile dans le sang. Rectilignes, circulaires ou numériques, nos métiers à tisser ont produit deux siècles d'histoire et habillé le monde entier.

Pour nous, fabriquer français, produire français, c'est préserver notre histoire. L'histoire d'une ville, Roanne, aux cent cheminées ; l'histoire d'une ville qui fait vivre 10 000 ouvriers du textile au début du siècle dernier ; l'histoire d'une ville chantée par les grands poètes comme par ses ouvriers. L'un d'entre eux, Joseph Vacher, affirmait avec un brin de fierté :

« Roanne étale sa richesse,

Ses tissus et sa beauté,

Mire son front de duchesse

Dans un beau fleuve argenté. »

Car à Roanne, avant même la Révolution française, la révolution industrielle était en cours. C'est dans le Roannais que les premiers métiers à tisser mécaniques de France ont été installés en 1780.

Car à Roanne, le textile a permis l'émancipation féminine. C'est chez nous que le taux d'activité des femmes est le plus élevé de France dans les années 1950.

Car à Roanne, le textile a tissé les plus beaux vêtements : les légendes de la maille, le velours, le tissu sans couture ou encore le marcel, que certains portent peut-être dans l'hémicycle.

À Roanne, le textile a toujours tissé de jolis liens entre la ville et la campagne ; il n'a jamais été qu'une affaire urbaine. Aujourd'hui encore, des villages comme Chirassimont, La Pacaudière, Saint-Just-en-Chevalet, Charlieu, Croizet-sur-Gand, Fourneaux, Sevelinges, Saint-Symphorien-de-Lay, Coutouvre, Belmont-de-la-Loire, Perreux, Saint-Léger-sur-Roanne, Saint-Pierre-la-Noaille, Neulise ou encore Saint-Victor-sur-Rhins habillent nos villes et nos métropoles.

À Roanne, dans les périodes les plus sombres de notre histoire, le textile a permis de créer des liens. Je pense aux propriétaires de confession juive d'une entreprise de bonneterie à Cherier, les Goldblum, qui furent mis à l'abri durant l'Occupation par Louise Plasse, la secrétaire de l'entreprise ; en 1976, la famille de cette personne se vit décerner le titre de Juste parmi les nations.

À Roanne, le textile a permis le développement du sport et des loisirs : Henri Rhodamel et le basket avec la Chorale de Roanne, deux fois championne de France ; Claude Devernois et le club de rugby à XIII ; sans oublier Raoul Griffon et le rugby à XV.

C'est aussi à Roanne, cependant, que le textile a connu ses plus grandes crises, les délocalisations en Asie, les licenciements par centaines, l'humiliation de la concurrence déloyale. Tout cela est aussi dans nos veines. Pas une seule famille de ma circonscription n'a été épargnée. La crise du textile à Roanne, pour nous, c'est comme le deuil d'un proche qui n'a jamais été fait.

L'industrie textile roannaise est un phénix. Sous nos toitures en dents de scie, nous avons un adage : « Celui qui a gagné la guerre n'est pas celui qui n'est jamais tombé, mais celui qui se relève toujours. » Se relever, toujours. S'effondrer certes, mais renaître, tel l'oiseau légendaire. Depuis quelques années, en effet, le textile embauche de nouveau. Comme un sursaut, un espoir, un drapeau ; un drapeau sur une étiquette, made in France.

Nous voulons désormais remailler l'histoire. Pour cela, nous n'avons pas besoin de protectionnisme, de perfusions d'argent public ou de fermetures des frontières ; nos produits méritent au contraire d'être portés au-delà du pays. Pour renaître vraiment, l'industrie du textile a besoin de réciprocité. Ce qu'on impose aux salariés et aux chefs d'entreprise français doit être imposé aux entreprises chinoises : une concurrence libre et non faussée – car actuellement la concurrence est libre, mais pas non faussée.

Comment peut-on laisser entrer en France des produits qui ne respectent ni nos normes sociales, ni nos normes environnementales et sanitaires ? Hier, la délocalisation de la production de vêtements ; aujourd'hui, la délocalisation de leur commercialisation. Après avoir saigné notre industrie textile, voilà que nous grattons jusqu'à l'os. J'aurais aimé ne jamais devoir faire résonner dans cet hémicycle le nom des marques Kookaï, Naf Naf, Gap France, André, San Marina, Minelli, Kaporal, Burton of London, Du Pareil Au Même, Sergent Major, Princesse tam.tam, Comptoir des Cotonniers, Orcanta… Combien de temps allons-nous rester sans réaction devant l'hémorragie ?

Osons le dire : l'ennemi du made in France, c'est la fast fashion. Si on ne fait rien, celle-ci va mettre à nu l'emploi, le commerce de proximité, l'industrie, la souveraineté. Chers collègues, nous allons débattre de la régulation de la fast fashion. Soyez convaincus de notre ferme volonté de la démoder, que nous soyons industriels du textile, patriotes ou européens.

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