Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Olivier Schrameck, ancien président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les parlementaires, j'apprécie l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous. Votre initiative répond en effet à des préoccupations ou à des interrogations qui ont toujours été les miennes en tant que président du CSA. Je précise d'emblée que je ne m'exprimerai pas sur la période postérieure à cette responsabilité.

Si j'ai été amené, dans l'exercice de mes fonctions antérieures, à répondre devant plusieurs commissions parlementaires, j'étais malgré tout retenu dans mon expression par les responsabilités qui étaient alors les miennes. Au regard de ma situation présente, je m'exprime aujourd'hui en pleine liberté et en toute conscience personnelle.

Je débuterai mon propos par le sujet des autorisations. Si je n'ai, personnellement, pas vécu de telles procédures s'agissant de la création de chaînes privées, j'ai en revanche eu à prendre en compte des assertions concernant les conditions dans lesquelles a été décidée, le 12 décembre 2012, l'ouverture de 12 fréquences supplémentaires. Lesdites assertions étaient basées à la fois sur des documents et sur l'écoute de témoignages personnels qui m'ont été confiés. Les négociations menées à propos de la future chaîne Numéro 23 ont ainsi donné lieu à la perspective de la fusion de deux candidatures puis à l'élimination de l'une d'entre elles. Bien que je ne sois pas en mesure d'en témoigner personnellement et que je m'exprime donc avec prudence, mes propos rejoignent parfaitement ceux de M. Marcel Rogemont.

Mon prédécesseur vous a exprimé sa foi dans la TNT. Je la partage dans une large mesure, bien que son audience se soit relativement réduite au cours de mon mandat, en raison notamment de la substitution progressive de logique de la demande à celle de l'offre télévisuelle. S'agissant de cet appui à la TNT, je me permets de vous renvoyer à l'article du Monde du 28 juin 2018, qui rapporte précisément les propos que j'avais tenus à l'occasion de la présentation d'une étude sur l'avenir de l'audiovisuel à l'horizon 2030 : « La TNT n'a pas vocation à être le parent pauvre de l'audiovisuel […] et je reconnais la nécessité de protéger les publics les plus fragiles et les plus démunis en préservant des modes de diffusion simples et universels ». Je dois néanmoins souligner que je me suis toujours interrogé sur l'intérêt pour le public de ce saut quantitatif, car ce choix a significativement servi les grands groupes existants et donné naissance à des chaînes dont la plus-value en termes de diversité et de contenu peut être contestée.

S'agissant, en second lieu, du contenu des autorisations, je m'interroge depuis toujours sur les raisons pour lesquelles l'autorisation de création est accordée avant que la convention ne soit négociée, car ce processus en deux temps n'est pas à l'avantage de l'autorité de régulation. C'est également sur la base des obligations conventionnelles consenties par les candidats que le choix pourrait être plus avantageusement opéré. À ce sujet, je vous renvoie aux propos tenus devant vous par M. Belmer, qui a affirmé que la dernière phase du processus n'était pas une négociation en ce que le groupe était déjà sélectionné.

J'ajoute, sur ce sujet, que les obligations qui ont été convenues selon ce processus ne me semblent pas épuiser le champ des contreparties prévues par la loi et le règlement. Celles-ci ont toujours fait l'objet, de ma part, de questionnements. Cette procédure assortit en effet une aliénation durable du domaine public pour une période de dix ans, suivie d'une autre de cinq ans sans appel d'offre. Or, je me permets de vous rappeler les termes précis de la décision 94-346 DC du 21 juillet 1994 du Conseil constitutionnel : « Considérant d'autre part que les dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due ne concernent pas seulement la propriété privée des particuliers, mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'État et des autres personnes publiques ; qu'elles font obstacle à ce que le domaine public puisse être durablement grevé de droits réels sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine comme aux missions de service public auxquelles il est affecté ». Il me semble donc légitime de s'interroger sur les droits consentis, véritablement exorbitants de droit commun, d'autant qu'il appartenait au CSA de veiller sur la maintenance des fréquences hertziennes en cours et sur les contreparties exigées de leurs attributaires. Au regard de certains programmes, il me semble en outre légitime de s'interroger sur la valeur réelle et patrimoniale, et sur la prise en compte de la mission de service public.

S'agissant ensuite de la question du contrôle, je me permets tout d'abord de souligner l'insuffisance des moyens humains de l'autorité de régulation telle que je l'ai connue. Malgré la qualité de la direction des programmes et des services administratifs, seule une équipe d'une douzaine de jeunes agents était chargée de l'observation des programmes, de jour comme de nuit, y compris durant les jours fériés. La tâche était particulièrement lourde s'agissant des interventions partisanes, en particulier en période électorale. Ainsi, et nonobstant son dévouement, le CSA était davantage occupé par les dénonciations, qui peuvent toujours comporter une part d'arbitraire, que par des auto-signalements.

J'ajoute, sur le sujet des sanctions, que j'ai moi-même impulsé dès mon arrivée au CSA une nouvelle procédure, la précédente s'étant avérée à la fois inconventionnelle et inconstitutionnelle.

Nous avons ainsi préconisé, en prenant en compte le potentiel humain manifestement insuffisant dont disposait le CSA, au sein du projet global adopté par le collège et intitulé « Refonder la régulation audiovisuelle », le développement de la corégulation, de la suprarégulation et la régulation participative. Ces différents niveaux permettraient en effet d'associer plus organiquement le public à travers des dispositions législatives complémentaires, en confiant aux acteurs de l'audiovisuel la régulation du contenu de leurs programmes. Je suggère en outre depuis longtemps la constitution d'un conseil d'orientation constitué d'experts et de représentants qualifiés du public. Si cette idée n'a jusqu'alors pas pu être concrétisée, c'est d'une part, car l'absence de disposition législative support l'aurait rendue juridiquement fragile, et d'autre part, car elle était susceptible de heurter la sensibilité du collège.

J'imagine également que vous allez m'interroger sur la décision du Conseil d'État du 13 février 2024. Celle-ci représente, à mon sens, une parfaite et nécessaire application de la loi du 14 novembre 2016, qui a modifié la loi initiale du 30 septembre 1986. Compte tenu de la porosité actuelle entre information et divertissement, qu'exprime bien l'anglicisme infotainment, cette loi modificative du 14 novembre 2016 dite « loi Bloche » avait précisément pour objet de renforcer les obligations d'honnêteté, d'indépendance et de pluralisme dans les programmes qui concourent à l'information. Permettez-moi ainsi de citer le rapport de M. Patrick Bloche dont l'article 2 « propose de compléter l'article 3-1 de la loi précité du 30 septembre 1986, qui définit les missions de l'autorité de régulation, en posant le principe que le CSA garantit « l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme » non seulement de l'information, mais aussi « des programmes », les frontières entre la première et les seconds étant de plus en plus poreuses et rien ne justifiant qu'une quelconque émission des chaînes de télévision ou de radio puisse faire preuve de malhonnêteté, de dépendance à l'égard des intérêts des actionnaires ou annonceurs ou puisse avoir pour effet de rompre le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ». J'estime dès lors que l'affirmation selon laquelle une chaîne d'information ne serait pas soumise à l'obligation de respecter le caractère pluraliste des courants de pensée et d'opinion est clairement contraire à la loi. Ainsi la prise en compte exclusive de l'expression des partis politiques ne suffit-elle pas à s'assurer du pluralisme.

Je me permets à nouveau de citer les conclusions du rapporteur public, selon lesquelles « seuls des déséquilibres durables et manifestes révélant une intention délibérée de l'éditeur de favoriser un courant de pensée ou d'opinion, quel qu'il soit, sont susceptibles d'encourir une inégalité ». Pour le juge, nous sommes ainsi sur le terrain de l'erreur manifeste d'appréciation, encore renforcée par la prise en compte de l'intention, et non de l'entier contrôle de la qualification juridique des faits, ce qui implique que toute négligence fortuite échappe à la censure. Bien que cela facilite la tâche de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), il convient de relever qu'une évaluation globale implique, devant le juge, une appréciation subjective plutôt qu'un décompte arithmétique.

La décision du Conseil d'État constitue donc un incontestable progrès de notre État de droit, ainsi qu'une aide pour le régulateur dans la réalisation de sa mission. Il est d'ailleurs particulièrement intéressant de relire les procès-verbaux de vos auditions antérieures au 13 février, au sein desquels la décision, bien que nullement anticipée, apparaît en filigrane. Permettez-moi ainsi de citer les propos de Louis de Froissard de Broissia, président du comité d'éthique de M6 : « Je considère que la comptabilité n'est pas l'essentiel. Ce qui compte c'est que le pluralisme puisse s'exercer dans la richesse de son expression ».

J'ajouterai, en guise de conclusion, une observation relative à l'application de la loi Bloche. Le CSA a parfois rencontré des difficultés pour obtenir l'assurance que les comités d'éthique soient réellement composés de personnalités indépendantes, et qu'ils soient donc préservés de toute attache directe avec les éditeurs. Les comités d'éthique étant privés de moyens et de compétences, peut-être faudrait-il désormais aller jusqu'à prévoir que l'autorité de régulation soit dotée d'un pouvoir d'opposition ou d'émission d'un avis conforme dans le choix des éditeurs.

Je voudrais enfin souligner combien l'ensemble des dispositions législatives applicables aux médias est aujourd'hui confus et enchevêtré à force de modifications. J'ai toujours publiquement plaidé, en vain, pour l'établissement d'un code de la communication audiovisuelle.

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