Intervention de Stéphane Vojetta

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Vojetta, rapporteur pour avis :

Nous avons effectivement reçu une délégation au fond concernant les articles 1er, 2, 3, 18, 19, 33 et 34 du projet de loi, qui traitent de sujets directement liés au champ de compétence habituel de notre commission : le droit de la consommation, l'énergie, l'agriculture et le numérique. La régulation des influenceurs, question qui m'est très chère, se trouve ainsi au cœur de l'article 3.

Les projets de loi « Ddadue » portent souvent sur les sujets les plus divers. Leur cohérence tient essentiellement à la nécessité d'adapter, de façon régulière, le droit français aux évolutions du droit européen, prérequis indispensable pour satisfaire à nos obligations et offrir aux acteurs des secteurs concernés la sécurité juridique que réclame la conduite de leurs activités.

Avant de présenter les différents articles, je souhaite remercier l'ensemble des administrations et des acteurs que j'ai auditionnés au cours de mes travaux. Je salue en particulier les services de la Commission européenne, qui se sont rendus disponibles pour faire le point sur la loi Influenceurs et les négociations en cours.

Les deux premiers articles que nous examinons ont trait à la protection des consommateurs.

L'article 1er adapte certaines dispositions du code de la consommation au règlement européen du 13 septembre 2023 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs, dit règlement « Afir », qui prend la suite d'une directive visant à permettre le déploiement au sein de l'Union d'un réseau complet d'infrastructures de recharge pour les véhicules roulant à l'électricité ou à l'hydrogène. Le nouveau règlement, qui correspond à nos ambitions en matière de transition écologique et énergétique, pour la France et l'Europe, fixe des objectifs plus ambitieux de déploiement et demande aux États membres de renforcer leurs plans d'action nationaux afin de développer des réseaux exhaustifs de bornes de recharge. La France ne peut que souscrire à cette ambition : l'accès à de telles infrastructures doit être sécurisé, car il constitue un élément décisif pour les consommateurs qui s'orientent vers des véhicules propres.

Parmi les dispositions prévues figure l'obligation, pour les exploitants, de fournir des informations fiables concernant les prix, les moyens de paiement acceptés et la localisation des points de recharge. Les autorités publiques devront veiller au respect de ces obligations. Tel est le principal objet de l'article 1er, qui donnera à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) la capacité juridique de procéder aux contrôles nécessaires.

L'article 1er prévoit également un régime spécifique de sanctions pour faire appliquer le règlement européen, ce dernier laissant au législateur national le soin de se prononcer en la matière. Tout manquement aux dispositions que je viens d'évoquer sera passible d'une amende administrative dont le montant ne pourra excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.

Le projet de loi reprend, par ailleurs, les dispositions prévues à l'article 6 du règlement Afir en vue de permettre à certains territoires, notamment insulaires, de déroger aux objectifs de déploiement du réseau, pour des raisons évidentes de coût et d'organisation logistique.

Je me suis limité à déposer quelques amendements rédactionnels, car cet article ne soulève pas de difficultés de fond. Sa rédaction est consensuelle, y compris quant à la répartition des compétences d'application entre la DGCCRF, que j'ai évidemment auditionnée, et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), également compétente pour certaines dispositions.

L'article 2 modifie, lui aussi, le code de la consommation, mais concerne la sécurité générale des produits. Un nouveau règlement européen, adopté le 10 mai 2023 et applicable à partir du 13 décembre 2024, modifie en profondeur le cadre juridique applicable dans ce domaine, longtemps régi par une directive du 3 décembre 2001. Le nouveau règlement vise à définir un cadre harmonisé au sein des États membres en clarifiant les obligations qui existent pour les opérateurs économiques. Par ailleurs, les produits nouveaux, numériques, connectés ou dotés de fonctions d'intelligence artificielle, et les nouveaux modes de commercialisation à distance – les achats par internet, au moyen d'un téléphone portable ou sur une place de marché électronique – ont fait l'objet d'une attention particulière. L'article 2 du projet de loi tire donc les conséquences de certaines évolutions. Je ne proposerai, là encore, que des amendements d'ordre rédactionnel, pour préciser certains points. Les dispositions actuelles, comme les débats au Sénat l'ont montré, ne soulèvent pas de difficultés particulières.

Je profite de l'article 3 pour saluer notre collègue Arthur Delaporte, mon éminent corapporteur lors de l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Cet article habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prendre toute mesure utile afin d'adapter certaines dispositions de la loi Influenceurs en fonction des observations de la Commission européenne. En règle générale, nous ne portons pas les ordonnances dans notre cœur. Je tiens, néanmoins, à faire quelques remarques.

En premier lieu, certaines observations de la Commission ne posent pas de difficultés, notamment celle concernant le retrait des articles de la loi Influenceurs qui reprenaient le contenu du règlement européen sur les services numériques (DSA). Nous avions inclus ces articles en étant conscients que de telles redites d'un texte d'application directe, ne nécessitant donc pas d'adaptation en droit français, pourraient incommoder la Commission. L'objectif était notamment pédagogique : nous souhaitions bien expliquer l'articulation entre la loi française et l'action menée au niveau européen, en particulier par la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG Connect), et permettre aux utilisateurs de prendre en mains les nouvelles dispositions relatives aux contenus problématiques. Ce but est atteint. En témoignent l'écho que le texte a eu et l'évolution des pratiques numériques. Supprimer dès maintenant ces articles, comme le propose le Sénat, ne pose donc pas de difficultés. Nous l'avions nous-mêmes envisagé lors de l'élaboration du texte, en étroite collaboration avec les services de Bercy.

J'en viens aux autres remarques de la Commission européenne. Nous aurions préféré recevoir un courrier de félicitations, plutôt que des suggestions de modifications, mais nous savons qu'il faut travailler, en tant que législateurs nationaux, dans le cadre européen, défini par des règles communes avec lesquelles les mesures législatives adoptées en France doivent concorder.

Le courrier adressé par la Commission au Gouvernement souligne en particulier la nécessité d'introduire une clause dite « du pays d'origine », conformément à ce que prévoit la directive dite « e-commerce ». Il conviendra de trouver la bonne rédaction, mais la difficulté nous semble surmontable. Suivant l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne au sujet de l'application de la directive, il faudra également trouver un mécanisme ad hoc pour cibler les acteurs qui poseraient des problèmes particuliers.

La loi Influenceurs, telle que nous l'avions votée à l'unanimité en commission aussi bien qu'en séance, comportait un élément d'extraterritorialité : nous tenions à ce que ses dispositions s'imposent aussi aux influenceurs qui s'adressent depuis l'étranger à des consommateurs français. Cela ne pose pas de problème pour ceux qui sont installés hors d'Europe. De nombreux influenceurs agissant depuis des territoires éloignés, comme Dubaï, ont d'ailleurs ajusté leur manière de faire. La règle dite « du pays d'origine » s'applique en revanche à ceux qui pratiquent le commerce électronique sur le territoire de l'Union, et cette règle impose de respecter, en premier lieu, les lois du pays de résidence. Un influenceur français qui déciderait d'aller exercer son art depuis la Belgique ou les Pays-Bas devrait ainsi suivre la loi belge ou néerlandaise et non la loi française.

Néanmoins, une évolution est en cours. Une fois n'est pas coutume, le législateur français a inspiré ses homologues étrangers : on est en train de répliquer la loi Influenceurs, dans une large mesure, en Italie, en Espagne et en Belgique. Ce dernier pays a, par ailleurs, placé l'adoption d'un texte sur les influenceurs tout en haut de l'agenda pour sa présidence de l'Union européenne. Nous avons donc bon espoir que les possibilités d'arbitrage entre des législations nationales divergentes disparaissent à terme. J'encourage la Commission à se saisir au plus vite de ce sujet : une loi Influenceurs européenne ou un DSA 2 réglerait les problèmes d'interprétation une fois pour toutes.

En attendant, nous continuerons de participer, au côté du Gouvernement, à des conversations avec la Commission européenne afin d'ajuster la loi française sans bouleverser ses équilibres, en préservant son efficacité et sa force tout en respectant les règles que nous sommes tenus de suivre dans le cadre de notre participation à l'Union européenne. Je suis assez serein quant à la possibilité de trouver une issue positive. Plusieurs États membres, je l'ai dit, s'intéressent de près à ce texte, dont la majorité des dispositions sont déjà applicables, malgré le retard pris pour certains décrets, et produisent des effets tangibles sur le terrain. Nous aurons l'occasion d'y revenir la semaine prochaine, lors de l'examen du rapport d'application dont Virginie Duby-Muller, Louise Morel, Arthur Delaporte et moi-même sommes corapporteurs.

D'autres articles modifient le code de l'énergie. L'article 18 abroge ainsi une disposition qui donnait une base juridique au dispositif d'interruptibilité mis en œuvre par Réseau de transport d'électricité (RTE) en cas de surchauffe. Cet article du code n'est plus utilisé, le dispositif étant désormais intégré, pour des raisons de conformité au droit européen régissant les aides d'État, au sein de ce qu'on appelle la « participation active de la demande », dans le cadre du plan de défense du réseau de RTE. Le dispositif continue donc à exister, mais il repose désormais sur une base juridique européenne, ce qui évite des échanges récurrents avec la Commission au sujet de la nature des versements de l'État aux acteurs économiques qui participent au mécanisme. Après consultation des parties prenantes, la rédaction actuelle de l'article 18 ne me semble pas appeler de modifications.

L'article 19, quant à lui, modifie deux articles du code de l'énergie relatifs à l'hydrogène, sujet qui m'est également cher. La loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat avait prévu qu'une ordonnance permettrait de définir en droit français différentes catégories juridiques d'hydrogène, suivant leur impact environnemental, et de créer un dispositif de soutien public au développement de cette filière. Ces dispositions ont été insérées par ordonnance dans notre droit en 2021 – « en avance de phase », pourrait-on dire, puisque tous les textes européens en la matière n'avaient pas encore été adoptés. En 2023, deux actes délégués sont ensuite venus compléter la directive de 2018. Ils précisent notamment la façon dont on doit évaluer le seuil d'émissions au-dessous duquel l'hydrogène peut être dit « renouvelable » ou « bas-carbone ». Le calcul doit désormais intégrer non seulement les émissions liées à la production de l'hydrogène, mais aussi celles résultant de son utilisation. Le droit français n'ayant retenu, par anticipation, que les premières, il est nécessaire de modifier le code de l'énergie afin de bien intégrer les secondes. Nous n'avons pas identifié de difficultés particulières sur ce plan.

Je précise que c'est une question particulièrement importante, puisque l'hydrogène représente une source potentielle d'énergie renouvelable qui peut jouer un rôle déterminant dans le cadre de la stratégie française de transition écologique et énergétique. La définition de l'hydrogène bas-carbone est ainsi un élément fondamental des discussions que nous avons avec l'Union européenne s'agissant des aides au financement de l'hydrogénoduc H2Med, entre Barcelone et Marseille.

J'aborde maintenant les dispositions du projet de loi portant sur l'agriculture.

L'article 33 vise à simplifier les procédures de soutien à nos agriculteurs, en apportant une modification d'ordre technique qui concerne la bonne instruction des dossiers relatifs à certaines aides de la politique agricole commune (PAC). Les mesures visées, qui sont cofinancées par l'État et relèvent du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), peuvent notamment prendre la forme d'un soutien aux agriculteurs qui réalisent des investissements. Depuis la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (2014), dite « Maptam », les régions gèrent de façon autonome les décisions relatives à ces aides. Plus récemment, des effectifs leur ont été transférés pour instruire les dossiers. Néanmoins, la capacité juridique de signer les décisions faisant l'objet d'un cofinancement de l'État leur manque encore. L'article 33 remédiera à cette difficulté pour les aides relevant de la programmation 2014-2022. Il permettra de prendre des décisions, nouvelles ou modificatives, d'une façon plus rapide, plus simple et plus efficace en évitant d'avoir à repasser par l'échelon de l'État, lequel ne dispose plus des effectifs pour instruire les dossiers. Cet article participe donc des efforts importants qui ont été engagés pour réduire le plus vite possible les irritants actuels. Afin d'accélérer le traitement des dossiers, je proposerai un amendement conçu en concertation avec les parties prenantes, notamment Régions de France, pour donner plus de souplesse aux régions en matière de prise de décision.

L'article 34 porte sur la collecte et le suivi des données de traçabilité animale que doivent assurer les autorités publiques en application d'un règlement dit « Loi de santé animale », qui est le texte européen de référence dans ce domaine. Le présent article prévoit de sécuriser les missions de traçabilité animale exercées par les établissements de l'élevage. Leur situation est un peu complexe : en raison de l'indisponibilité technique des bases de données concernées, ils continuent de mener des missions qui auraient dû être confiées à des délégataires. Les échanges à ce sujet se poursuivaient encore il y a peu, notamment avec les chambres d'agriculture. Dans une logique de sécurité juridique, j'estime préférable de traiter cette question en séance publique. Tout n'est pas complètement stabilisé : la rédaction de ces dispositions mérite donc un peu plus de temps.

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