Intervention de Sacha Houlié

Séance en hémicycle du mardi 26 mars 2024 à 15h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Selon vous, qu'ont en commun les étoiles de David peintes sur les murs de la capitale, les punaises de lit, la manipulation de l'information, la déstabilisation des processus électoraux, les cyberattaques, la prédation de nos entreprises et la surveillance de nos chercheurs ? Ce sont les ingérences étrangères.

Le texte que je vous présente est le fruit d'un long travail, entamé il y a près de deux ans au sein de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), dont j'ai assuré la présidence au cours de la session 2022-2023.

Le dernier rapport de la DPR, consacré cette année aux ingérences étrangères, est la meilleure étude d'impact qui soit. Il décrit les menaces protéiformes, omniprésentes et durables auxquelles le pays est confronté.

Ces menaces sont d'abord protéiformes : les opérations d'ingérence ne se limitent plus, de nos jours, aux techniques traditionnelles que nous connaissions – manœuvrer pour approcher les élites politiques et administratives d'un pays, ou se livrer à de l'espionnage industriel. Qu'il s'agisse de cyberattaques ou de campagnes de manipulation de l'information à grande échelle, les ingérences modernes se sont largement diversifiées.

Ces menaces sont ensuite omniprésentes : les attaques menées contre notre pays et nos alliés sont quotidiennes et concernent tous les pans de notre société, qu'elles tentent de fragmenter et de déstabiliser. Les ingérences ne sont plus le fait des seuls services de renseignement et font désormais intervenir une multiplicité d'acteurs. Partis politiques, universités, entreprises technologiques et médias : tous sont des cibles pour les puissances étrangères malveillantes.

Ces menaces sont durables, enfin : ces dernières années, elles ont pris une dimension nouvelle. Elles sont principalement russes, chinoises, turques et iraniennes. À l'heure où nous débattons, nous savons que ces ingérences étrangères sont une stratégie de conquête de la part des puissances autoritaires qui choisissent délibérément de s'en prendre aux démocraties libérales. Si la coopération entre nos services de renseignement est de mise en matière d'antiterrorisme, la lutte contre les ingérences est marquée par la rivalité et l'affrontement.

L'adoption de ce texte est donc nécessaire ; il y va de la protection de notre souveraineté, de nos valeurs démocratiques et libérales, et des intérêts de la nation.

Il y a urgence car 2024 est une année particulière, voire une année clef. Notre pays recevra le plus grand événement mondial, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris ; et la moitié de l'humanité connaîtra un processus électoral, fiable ou non.

Devant la nécessité d'agir, la délégation parlementaire au renseignement a formulé dix-huit recommandations. Nous n'en proposons que quatre – celles qui relèvent de sa compétence – à la représentation nationale. J'ai cosigné cette proposition de loi avec Thomas Gassilloud et Constance Le Grip, également membres de cette délégation.

Voici les trois principes qui structurent cette proposition de loi. D'abord, l'amélioration de l'information du public et de la représentation nationale, à travers un débat qui portera, tous les deux ans, sur les enjeux de sécurité nationale et, en particulier, sur les ingérences étrangères. Ensuite, le renforcement de la transparence en matière d'influence étrangère – j'expliquerai tout à l'heure la différence entre ingérence et influence. Enfin, ce qui est le cœur de la proposition de loi, le renforcement des outils à la disposition des services de renseignement, afin de les rendre plus coercitifs. Il s'agit du premier cas d'initiative parlementaire en matière de renseignement, ce qui montre la maturité du Parlement sur le sujet.

L'article 1er renforce la transparence des activités d'influence conduites sur le territoire pour le compte d'un mandant étranger. À la différence de l'ingérence, l'influence ne présente pas nécessairement d'intention malveillante ou de caractère secret. Les deux notions ne doivent donc pas être confondues. Toutefois, l'influence peut être le préalable d'une opération d'ingérence. Les responsables publics comme les citoyens sont en droit de connaître les intérêts et les commanditaires des activités qui tendent à influencer la prise de décisions publique et le débat d'idées lui-même.

Dans cette perspective, l'article 1er prévoit la création d'un répertoire public, dont l'objectif est de faire la lumière sur les opérations d'influence menées sur le territoire pour le compte d'un mandant étranger. Il s'inspire du Foreign Agent Registration Act américain, qui a fait la preuve de son efficacité depuis son entrée en vigueur en 1938. Il s'ajoutera aux règles qui encadrent déjà le lobbying domestique.

En commission, nous avons précisé et renforcé ce dispositif, afin qu'il se distingue de celui créé par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin 1, et qui a été enrichi par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2.

Si nous adoptons ce texte, les personnes qui répondent aux trois critères suivants devront s'inscrire au répertoire des représentants d'intérêts : premièrement, celles qui agissent sur l'ordre, à la demande, sous la direction ou sous le contrôle d'un mandataire étranger, c'est-à-dire d'une puissance étrangère, de l'un de ses démembrements ou d'un parti politique étranger ; deuxièmement, celles qui agissent aux fins de promouvoir les intérêts de ce mandant ; troisièmement, celles qui cherchent à influencer une décision publique, qui exercent une activité de communication, ou qui lèvent ou distribuent des fonds. Naturellement, ces trois critères sont cumulatifs.

En commission, j'ai souhaité proposer un dispositif complet, afin de ne pas éviter la question des exclusions. Le mécanisme d'exemption inclut les diplomates et les agents étrangers mais aussi les avocats dans le cadre de leurs fonctions contentieuses, les associations cultuelles et les entreprises éditrices de presse. Cette liste devra être passée en revue durant le débat. Je proposerai des amendements qui reviennent sur certains ajouts qui figurent déjà au répertoire numérique national des représentants d'intérêts, instauré par la loi Sapin 2. À ce titre, ils ne doivent pas être exclus du registre des ingérences et des influences étrangères.

L'article 2, plus simple, vise à améliorer l'information de la nation à travers ses représentants, en donnant accès, tous les deux ans, aux résultats des mesures prises et à l'état des menaces d'ingérence qui pèsent sur la sécurité nationale. Ce contrôle est l'acte de maturité du Parlement. Le délai prévu est passé d'un an à deux ans. En effet, si la menace est fortement évolutive, elle ne l'est pas suffisamment d'une année sur l'autre, au point que nous ayons un intérêt d'en connaître de cette nature.

L'article 3 est le cœur de cette proposition de loi, et vous ne vous y êtes pas trompés lors des discussions en commission. Il autorise les services de renseignement à faire fonctionner un traitement automatisé des données de connexion – un algorithme, pour le dire clairement. L'objectif est de détecter les connexions susceptibles de révéler une forme ou une tentative d'ingérence. Ce traitement des données sera mené à titre expérimental jusqu'à la fin de l'année 2026.

Répondant à une forte demande des services de renseignement, il permettrait de renforcer les capacités de détection précoce de toute forme ou tentative d'ingérence. En effet, il est possible de modéliser les méthodes opératoires propres à certains services de renseignement. Par exemple, à leur arrivée en France, certains agents étrangers cherchent à se diluer, à s'évaporer, en réservant un grand nombre de chambres d'hôtel et de moyens de locomotion. Ainsi, ils disparaissent de la vue de nos services, ce qui deviendrait impossible grâce à l'analyse de leurs données de connexion par les algorithmes.

L'extension que je propose se grefferait à un dispositif existant. En 2015, l'Assemblée l'avait déjà autorisé pour la lutte antiterroriste. Le résultat est modeste puisque la menace terroriste a évolué. Il ne s'agit plus d'opérations projetées, comme très récemment en Russie, mais de loups solitaires dont les comportements ne peuvent pas être rapprochés les uns des autres. En 2021, l'Assemblée a pérennisé ce dispositif en l'étendant aux URL. Il montre cependant ses limites en matière antiterroriste et n'a pas encore été appliqué aux URL.

Le dispositif actuel est robuste. Il fait l'objet de garanties importantes, au premier rang desquelles l'autorisation de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). L'extension serait limitée à la détection des ingérences étrangères.

J'ai veillé à réécrire l'article, afin que le dispositif puisse disparaître sans intervention du législateur, d'ici à 2027. J'accepterai des amendements supplémentaires au cours de la discussion – nous en avons discuté avec les différents groupes.

Enfin, l'article 4 complète ce dispositif parce qu'il permet le gel des fonds et des ressources économiques des personnes qui commettent des actes d'ingérence. Il s'agit de frapper au portefeuille ceux qui déploient des stratégies malveillantes.

Aujourd'hui, le code monétaire et financier permet le gel des avoirs à des fins de lutte contre le terrorisme, de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, ou en réaction à des violations graves des droits de l'homme ou à des actes menaçant la paix. Je propose d'étendre cet outil aux cas d'ingérences, afin de frapper rapidement et efficacement ceux qui se livrent à des opérations pouvant porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

En commission, nous avons amélioré le dispositif. Nous devons désormais trancher une question de définition. Je proposerai pour cela quelques amendements.

Mes chers collègues, vous avez entre vos mains le pouvoir de conforter nos services de renseignement et de dire que vous n'êtes pas naïfs face aux régimes autoritaires qui harcèlent sans relâche notre pays pour ce qu'il est : une démocratie. Vous avez l'occasion de tirer les conséquences des agressions multiples – russes en particulier – que nous subissons ; avec humilité mais avec une détermination sans faille, je vous demande de ne pas la laisser passer.

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