Intervention de Nicolas Turquois

Séance en hémicycle du jeudi 28 mars 2024 à 9h00
Discussion des articles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Turquois :

Aucun mot n'est bien sûr assez fort ni assez significatif pour désigner le 17 octobre 1961. Si pour beaucoup d'entre nous, il s'agit d'un chapitre de notre histoire commune avec l'Algérie, pour beaucoup de nos compatriotes et de nos amis algériens, il s'agit d'un souvenir dans une mémoire vive, d'une date sanglante qui nous lie dans la violence.

On ne peut juger, comprendre et dénoncer un événement historique, sans tenir compte du contexte : celui d'une guerre qui, pendant bien trop longtemps, n'a pas voulu dire son nom, et qui a fait des victimes militaires, des victimes des deux côtés de la Méditerranée et des deux côtés de la Seine, des victimes civiles algériennes et des victimes civiles et policières françaises.

Nous connaissons la succession de drames, de tragédies et de conflits qui ont ponctué l'une des pages les plus difficiles et douloureuses à écrire pour nos deux nations. Depuis l'indépendance de l'Algérie, nos deux pays n'ont pas toujours réussi à regarder leur histoire en face : ils ont oscillé entre périodes de rapprochements et de tensions, entre malentendus et retrouvailles, entre vérité et réconciliation.

Ce travail de mémoire, nous devons pourtant le faire pour nos deux pays, pour les millions de personnes qui ont souffert de cette guerre, mais aussi pour les citoyens français et algériens. Le rapport remis en 2021 par Benjamin Stora au Président de la République concourt à la compréhension de notre histoire commune. Les mensonges et les dissimulations sont finalement les plus grandes sources de tensions.

Il a fallu de nombreuses années pour que la vérité sur le 17 octobre 1961 éclate et que les élus de la nation reconnaissent les faits, notamment par des commémorations. Le chemin de la reconnaissance a débuté en 1991, à l'occasion des trente ans de l'événement et de la publication de La Bataille de Paris-17 octobre 1961, de Jean-Luc Einaudi. Le procès de Maurice Papon en 1997 a ensuite réactivé la mémoire de la répression.

En 2012, lors du cinquante et unième anniversaire de l'événement, le président François Hollande reconnaît la « sanglante répression » et affirme que « la République reconnaît avec lucidité ces faits ». Le Président Macron, le 18 octobre 2021, poursuit cette reconnaissance et rend hommage aux victimes en pointant des « crimes […] inexcusables pour la République », « commis […] sous l'autorité de Maurice Papon ». Il désigne des « responsabilités clairement établies » que « la France regarde […] avec lucidité ».

En parallèle, l'hommage aux victimes s'est matérialisé par l'apposition, par la mairie de Paris, d'une plaque, en 2001, et d'une stèle en acier, en 2019. De nombreuses communes ont marqué cet hommage par des dénominations dans l'espace public ou des appositions de plaques commémoratives. Enfin, depuis l'arrêté interministériel du 22 décembre 2021, les archives s'ouvrent petit à petit. Le travail historique en cours doit se poursuivre afin de faire toute la lumière sur les faits.

Chers collègues, les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité du préfet Maurice Papon sont inexcusables. Ils sont à l'opposé des valeurs universelles que nous défendons tous dans cet hémicycle : la liberté, l'égalité et la fraternité. Une nouvelle fois, la France doit porter un regard critique et lucide sur son passé. Nous le faisons pour panser les blessures de notre histoire et de tous ceux qui ont souffert de cette guerre, mais aussi pour poser les bases d'une amitié sincère avec l'Algérie – socle d'une coopération solide, respectueuse et fructueuse pour les générations à venir.

Il est de notre responsabilité d'accorder nos histoires respectives pour bâtir un avenir meilleur de part et d'autre des deux rives de la Méditerranée, dans les domaines de la culture, de l'éducation, de la diplomatie ou de l'économie. La proposition de résolution a pour vocation de condamner et de reconnaître de la manière la plus officielle la répression meurtrière de la manifestation pacifique de milliers d'Algériens le 17 octobre 1961. Nous souscrivons donc sans réserve à la nécessité de reconnaître cet épisode de notre histoire et appelons à l'approfondissement du travail conjoint d'analyse.

A contrario, nous nous interrogeons sur l'opportunité d'inscrire une journée de commémoration à l'agenda des journées officielles et cérémonies nationales. Des commémorations ont déjà lieu – le 19 mars, journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, et le 5 décembre, journée nationale d'hommage aux « morts pour la France », aux rapatriés, aux personnes disparues et aux victimes civiles pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie. La douleur de la guerre d'Algérie et de ses nombreux drames n'étant pas encore cicatrisée, la multiplication des journées mémorielles serait de nature à amoindrir la puissance du message que nous souhaitons faire passer. Le groupe Démocrate laissera donc à ses membres la liberté de vote.

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