Intervention de Stéphane Lenormand

Séance en hémicycle du jeudi 28 mars 2024 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Lenormand :

« Ce n'est pas professionnel, ça fait sale et c'est sauvage », « soit tu rentres chez toi et tu changes de coiffure, soit tu ne viens pas travailler » : voilà deux exemples issus de nombreux témoignages de victimes – essentiellement des femmes – de discrimination capillaire en France. Qui pourrait décemment prétendre que ce genre de propos ou ces pratiques au travail sont acceptables ? Personne. Pourtant, ces discriminations existent et ne sont pas réprimées.

Le texte, que notre groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires propose à l'ordre du jour transpartisan, ne compte certes que quelques lignes, mais quelques lignes qui peuvent changer le quotidien de nombreuses personnes ayant été discriminées. Il faut donc nous atteler à la tâche avec la plus grande diligence. Depuis l'adoption de ce texte en commission des lois, plusieurs victimes ont pris la parole dans la presse et sur les réseaux sociaux : c'est la preuve qu'il a déjà commencé à changer les choses. Imaginez maintenant ses effets, si notre assemblée, au terme des débats, devait l'adopter !

Je le sais bien : lorsqu'on entend les mots « discrimination capillaire », la première réaction est parfois le sourire, voire la moquerie. Notre groupe entend et accepte cette impression initiale. En commission, certains n'ont d'ailleurs pas hésité à enchaîner les jeux de mots à deux balles. Cependant, une fois passé ce cap, nous tenons à rappeler qu'il s'agit d'un sujet ni léger ni négligeable. Qu'est-ce qui se cache, en effet, derrière la discrimination capillaire ? Tout simplement ce qui se cache derrière chaque discrimination : la haine de l'autre, en raison de ce qu'il est et de son apparence ; le refus et le rejet de la différence. Or cette haine n'a pas sa place dans notre République, ni dans notre société ; elle n'a sa place nulle part !

Beaucoup ici pensent que lutter contre la discrimination capillaire n'est pas sérieux, que ce débat est ridicule. Mais ce qui est ridicule, c'est qu'on puisse discriminer une personne en raison de ses cheveux crépus ou blonds. Ce qui est ridicule et inacceptable, c'est l'attitude de certains employeurs qui n'hésitent pas à refuser un emploi à des candidats ou à sanctionner leurs employés en raison de leur coupe de cheveux. Ce qui est plus grave encore, c'est que ces pratiques discriminatoires conduisent à imposer des contraintes dangereuses et néfastes pour la santé : utilisation de produits chimiques, lissage, perruque… J'insiste sur ce point : la discrimination capillaire est aussi une affaire de santé publique. Les femmes qui utilisent des produits lissants ont trois fois plus de risques de développer un cancer de l'utérus. La semaine dernière encore, une étude s'appuyant sur un cas observé dans un hôpital marseillais a établi un lien direct entre l'utilisation de produits lissants et l'insuffisance rénale.

Certains voudraient nier l'existence même de cette discrimination capillaire, faute de décisions de justice. Notre groupe leur répondra qu'en 2020, en France, aucune condamnation pénale pour discrimination n'a été prononcée. Est-ce à dire pour autant qu'il n'y a eu aucune discrimination cette année-là ? J'entends les réserves : lorsqu'on n'a jamais souffert de discrimination, on peut avoir du mal à la comprendre. C'est pourquoi je vous incite à lire les nombreux témoignages de victimes. Notre rapporteur Olivier Serva a auditionné de nombreuses personnes et institutions, il a rencontré des individus qui ont souffert et a recueilli leurs témoignages. L'expression de leur souffrance ne peut nous laisser insensibles.

Enfin, certains considèrent que notre droit, parce qu'il réprime déjà les discriminations fondées sur l'apparence physique, est suffisant. La réalité est tout autre : les juges ne se sont pas saisis de cette question. Dans l'affaire dite du steward d'Air France, la Cour de cassation a reconnu une discrimination fondée sur le sexe mais a refusé de reconnaître la discrimination capillaire. Lorsque l'application de la loi n'est pas satisfaisante, il appartient au Parlement de la corriger pour envoyer un signal, non seulement aux juges mais également aux victimes et aux employeurs.

En l'état, il existe un vide juridique, que ce texte, brillamment défendu par notre collègue Serva, tend à combler. C'est pourquoi notre groupe le soutient et espère qu'une grande majorité d'entre vous y apportera son suffrage.

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