Intervention de Sébastien Peytavie

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Peytavie, rapporteur :

Plus de 15,5 millions de femmes entre 13 et 50 ans sont menstruées en France. Les menstruations peuvent entraîner une variété de symptômes, allant jusqu'à des douleurs incapacitantes. Ces symptômes, mal diagnostiqués, sont très répandus : près de la moitié des femmes et des personnes menstruées souffriraient de douleurs liées à leurs cycles menstruels ou à d'autres pathologies pelviennes.

Au total, ce sont près de 7 millions de femmes qui souffrent de dysménorrhées, terme scientifique utilisé pour désigner les règles douloureuses, et près de 2,4 millions qui sont concernées par d'autres douleurs chroniques liées à leurs règles. L'endométriose, une pathologie chronique dont nous connaissons les conséquences sévères sur la santé des personnes qui en souffrent, concernerait à elle seule 10 % des femmes. Mais d'autres pathologies dont il faut tenir compte existent, telles que le fibrome ou le syndrome des ovaires polykystiques.

Il faut comprendre la nature et l'étendue de ces symptômes pour prendre la mesure de leur impact sur la vie des femmes, tout particulièrement dans le monde professionnel. Comme vous l'avez vu sur les réseaux sociaux ces jours-ci, certains de nos collègues de tous bords ont accepté de tester un simulateur de douleurs menstruelles. Bien sûr, nous ne devrions pas en avoir besoin pour croire à la douleur des femmes et l'apprécier. Mais, ayant perçu un des nombreux symptômes qu'elles subissent, nos collègues ont pu mesurer les répercussions des douleurs menstruelles sur la qualité de vie au travail. Leur ressenti est unanime : parfois semblables à des coups de couteau dans le ventre – pour les citer – de telles douleurs peuvent être incapacitantes. Il faut en tenir compte à ce titre.

Pourtant, ces troubles menstruels, qui prennent également la forme de migraines, d'une fatigue intense ou de troubles digestifs ou urinaires, n'épargnent pas le monde du travail : parmi les femmes salariées, 53 % ont des menstruations douloureuses et deux tiers ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leur cycle sur leur lieu de travail.

Nous devons en tirer une conclusion évidente : la santé menstruelle et gynécologique est un enjeu majeur de santé publique, d'égalité et d'adaptation du monde professionnel, vis-à-vis duquel les pouvoirs publics doivent mener une action forte et déterminée. Car, malgré l'annonce d'une stratégie nationale de lutte contre l'endométriose ou du déploiement d'un kit de sensibilisation, force est de constater que les choses changent bien trop lentement, en particulier dans le monde du travail.

Le tabou des règles et la minimisation du vécu de la douleur, s'ils existent à l'échelle de toute notre société, sont décuplés dans le monde professionnel : 68 % des femmes estiment que les règles sont un sujet tabou en entreprise. Les conséquences en sont cruelles, puisque c'est justement sur le lieu de travail que les menstruations douloureuses créent le plus de difficultés.

Nous en venons à un constat terrible : 625 000 femmes, soit un quart de celles qui souffrent d'endométriose, déclarent avoir changé de métier ou de statut afin d'adapter leur vie professionnelle, tandis qu'un autre quart, anticipant leurs symptômes, puisent dans leurs jours de congé ou dans leurs RTT, plutôt que de recourir à des arrêts maladie, pouvant perdre alors jusqu'à 10 % de leur salaire.

Il n'est plus admissible que des femmes quittent le monde du travail ou perdent du pouvoir d'achat parce que ni ce monde, ni la puissance publique ne sont capables de les soutenir. Nous devons envoyer un message : ce n'est plus aux femmes de serrer les dents et de s'adapter à un monde du travail créé par et pour les hommes, mais au monde du travail de s'adapter à leurs besoins de santé. Il appartient au législateur, il nous appartient d'engager une transformation de notre société pour tenir pleinement compte de la santé menstruelle et gynécologique. Pour reprendre les mots du Président de la République : « Ce n'est pas un problème de femmes, c'est un problème de société. »

La présente proposition s'inscrit dans cette démarche et prévoit plusieurs mesures fortes, conçues pour être graduées, et devant prendre leur place dans un large plan de reconnaissance de la santé menstruelle et gynécologique au travail.

Il s'agit en premier lieu, avec l'article 4, d'intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d'action des services de médecine du travail. Nous le savons, ceux-ci peuvent jouer un rôle central dans la prévention des risques, l'aménagement des postes, l'accompagnement des employeurs et la sensibilisation.

L'article 3 vise à intégrer la santé menstruelle et gynécologique au dialogue social, en la consacrant comme un thème obligatoire de négociation collective. Nous savons en effet que, malgré l'obligation d'y aborder l'égalité femmes-hommes, la santé menstruelle et gynécologique reste absente du dialogue social. L'appropriation de ce sujet par la négociation permettra aux entreprises d'envisager la mise en place de mesures telles que la mise à disposition de sanitaires adaptés ou des aménagements du temps de travail.

L'article 2 permet d'aller plus loin dans l'aménagement du travail, puisqu'il consacre le droit des personnes souffrant de menstruations incapacitantes à demander le recours au télétravail. Il s'appliquera, évidemment, aux personnes dont le poste est télétravaillable.

Enfin, l'article 1er du texte, inspiré du modèle espagnol et des expérimentations locales et en entreprise, crée un arrêt pour menstruations incapacitantes, exempt de délai de carence. Nous avons fait le choix d'un arrêt de travail plutôt que d'un congé car les mots comptent : il ne s'agit pas d'une absence relevant du loisir ou de vacances, mais d'un besoin de santé, auquel la solidarité nationale doit pleinement subvenir.

Lors des auditions, les associations et les syndicats nous ont fait part de leurs craintes relatives à l'anonymat et aux risques de discriminations. Alors qu'un congé organisé par l'intermédiaire d'un accord d'entreprise impliquerait nécessairement d'informer l'employeur, nous avons opté pour un arrêt de travail, seul à même de garantir l'anonymat, puisqu'il ne fait aucunement mention de la raison de l'absence. Les associations et les syndicats y sont également favorables.

Ainsi, dès lors qu'une femme aura reçu un diagnostic attestant qu'elle souffre de menstruations incapacitantes, elle pourra obtenir une prescription ouvrant le droit à treize jours d'arrêt par an, soit un jour par cycle, renouvelable une fois. Pour s'adapter au mieux à la réalité du cycle et à la chronicité des pathologies, et pour faciliter les démarches des personnes concernées dans un contexte de pénurie de médecins, ces treize jours pourront être posés librement.

Cet arrêt sera indemnisé sans délai de carence, sur le modèle des arrêts pour fausse couche ou pour affections de longue durée (ALD). La suppression du délai de carence permettra à la personne diagnostiquée de ne pas subir les pertes financières qu'implique le régime actuel. C'est une mesure de justice indispensable pour mettre fin à la double peine que les femmes se voient infliger : souffrir en silence et perdre leurs revenus.

L'arrêt menstruel constitue l'une des options ouvertes au sein de tout un dispositif. Il permet une approche graduée et adaptée aux besoins des personnes concernées.

Je voudrais rassurer les plus craintifs d'entre vous : aucun abus de droit n'a été observé par les structures ayant instauré un tel arrêt. C'est au contraire le non-recours à l'arrêt menstruel qui constitue un problème, puisque le taux de recours maximal observé s'élève à 2 % des personnes éligibles.

Je soulignerai également le coût limité d'un tel arrêt : il ne dépasserait pas les 223 millions d'euros, suivant une estimation haute, ou les 44 millions d'euros, selon une estimation basse, plus réaliste et issue de nos auditions. Le rendement de la TVA applicable aux produits menstruels est pour sa part estimé à plusieurs dizaines de millions d'euros au minimum, tandis que les coûts liés aux menstruations atteignent jusqu'à 23 000 euros par personne tout au long de sa vie. Il faut mettre ce coût en regard du coût global des troubles menstruels, celui de l'endométriose seule étant évalué à 10,6 milliards d'euros par an.

Il y a quelques semaines, nous assistions toutes et tous avec émotion à l'inscription de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans notre Constitution. Nous avons alors unanimement reconnu que notre assemblée ne pouvait ignorer davantage la santé des femmes. Alors que cela nous semblait inconcevable quelques années plus tôt, la société était prête et le Parlement a fini par évoluer avec son temps.

Alors, mes chers collègues, donnons-nous à nouveau l'occasion d'être en phase avec les attentes des citoyennes et des nouvelles générations, en accompagnant les évolutions d'une société prête et désireuse d'instaurer cet arrêt menstruel.

En cette veille du 28 mars, Journée mondiale contre l'endométriose, donnons l'occasion à cette assemblée de montrer aux millions de femmes qui vont au travail dans la douleur, serrent les dents et souffrent en silence que nous les entendons et que nous allons agir pour en finir avec la double peine et pour que le monde du travail tienne pleinement compte de la santé menstruelle et gynécologique.

L'Espagne a choisi de faire confiance aux femmes. C'est ce choix que je vous invite solennellement à faire aujourd'hui.

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