Intervention de Noémie Ninnin

Séance en hémicycle du mercredi 3 avril 2024 à 14h00
Défaillances de l'aide sociale à l'enfance

Noémie Ninnin, chargée de plaidoyer France et expertise protection à l'Unicef France :

Je vous remercie de nous offrir l'opportunité d'évoquer la question importante de la protection de l'enfance. Les constats alarmants dressés dans ce domaine, nous les connaissons. À l'Unicef, nous travaillons plus spécifiquement sur les mesures d'assistance éducative non exécutées, qui sont emblématiques des défaillances de la protection de l'enfance.

S'agissant des carences de l'action publique, on peut mentionner trois éléments : le défaut de financements adéquats ; la collecte insuffisante de données objectivées et la méconnaissance des besoins en matière de protection de l'enfance et de l'offre disponible ; enfin, le manque d'évaluation des politiques publiques, et d'instances de pilotage et de contrôle.

En ce qui concerne le défaut de financements adéquats, selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), les besoins, en matière de protection de l'enfance, augmentent de 1,4 % chaque année depuis vingt ans, tandis que les ressources départementales diminuent en raison de la baisse des droits de mutation liée à la crise immobilière. Les coûts supplémentaires liés aux différentes revalorisations salariales sont à prendre en compte dans l'action sociale, ainsi que l'inflation, qui fait augmenter les dépenses des départements. En conséquence, il existe, faute de financement, une différence entre les besoins et l'offre disponible.

La logique financière influence la capacité des départements à prendre en charge un nombre suffisant d'enfants ainsi que la qualité de cette prise en charge. Ainsi, les appels d'offres organisés en vue de l'ouverture d'un établissement d'accueil sont remportés par des structures dont le prix de journée est le moins cher, ce qui influe considérablement sur la qualité de l'accueil, généralement insuffisante.

En outre, en raison de la crise due au manque de structures, certaines dépenses sont effectuées pour répondre à des situations d'urgence, lesquelles coûtent parfois plus cher qu'une politique publique au long cours. Par ailleurs, certaines mesures sont dévoyées. Il arrive ainsi que, faute de places disponibles, on prenne une mesure d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) au lieu de prononcer un placement, et vice versa. Nous n'avons pas de visibilité sur les mesures qui correspondraient véritablement aux besoins de l'enfant.

Certains profils d'enfant ont plus de difficultés à bénéficier de services adaptés. Je pense, par exemple, à ceux qui présentent des troubles psychiques du comportement, aux enfants atteints de handicap, aux grands adolescents ou aux mineurs non accompagnés (MNA).

S'agissant de ces derniers, les problèmes rencontrés sont liés à un défaut structurel de la protection de l'enfance. Les mineurs non accompagnés sont discriminés dans l'accès aux services de la protection de l'enfance existants. Les prix de journée prévus pour leur prise en charge sont ainsi beaucoup plus bas – jusqu'à deux fois moins élevés – que ceux des mineurs pris en charge par la protection de l'enfance de manière générale.

Par ailleurs, lorsqu'un mineur qui n'est pas reconnu comme tel par le département forme un recours contre cette décision devant le juge des enfants, celui-ci ne prendra pas forcément une ordonnance de placement provisoire – même s'il reconnaîtra souvent la minorité par la suite –, et ce parce que les délais sont longs. Ainsi les mineurs non accompagnés ne sont-ils pas pris en charge. Pourtant, le 25 janvier 2023, le comité des droits de l'enfant des Nations unies a condamné la France sur ce point. En effet, selon le droit international, il existe une présomption de minorité : les mineurs non accompagnés doivent être présumés mineurs et pris en charge jusqu'à ce qu'une décision judiciaire définitive intervienne. La prise en charge différente dont ils font l'objet s'explique par un défaut structurel.

Par ailleurs, je l'ai indiqué, la collecte de données objectivées est insuffisante. Or, en matière de politique publique, on ne peut apporter une réponse financière adéquate si l'on n'a pas une assez bonne connaissance des besoins, des offres disponibles et de ce qu'il faudrait mettre en place.

C'est pourquoi l'Unicef recommande de donner davantage de moyens à l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) et aux observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE) pour qu'ils collectent de manière systématisée – et sur le fondement de référentiels communs, car la méthode varie d'un département à l'autre – les données relatives aux mesures en attente d'exécution, aux délais d'attente, aux besoins de prise en charge et aux offres disponibles, incluant notamment l'encadrement disponible. Ce serait utile pour Mayotte, par exemple, où les données sont très rares, voire inexistantes, puisque la Drees n'inclut pas ce département dans la collecte des données. Une attention particulière doit, du reste, être accordée aux territoires ultramarins.

Enfin, nous manquons d'une évaluation des politiques publiques et d'instances de pilotage et de contrôle. Ainsi, les mesures prises ne font pas l'objet d'une évaluation systématique. C'est le cas, par exemple, de la contractualisation. Des moyens sont alloués à certaines structures ou à certains projets, mais on ne vérifie pas, par la suite, si cela correspond aux besoins du territoire en matière de protection de l'enfance. Il n'existe pas non plus de garde-fous : qui est le garant de l'application de la loi sur le territoire ? Qui exerce un contrôle lorsqu'une mesure de placement n'est pas prise ou lorsqu'un enfant attend encore qu'un éducateur vienne à son domicile plus d'un an après que la mesure a été prononcée ? Dans une telle situation, l'enfant et ses parents perçoivent mal le sens de la mesure prise. Et, en cas de signalement, c'est l'aveu de notre incapacité à prendre en charge les enfants concernés, même lorsque le signalement est fait au 119.

Pour conclure, les défaillances de la protection de l'enfance dépendent également de la cohérence de l'ensemble de la politique de l'enfance : la politique des 1 000 premiers jours, les mesures de prévention, l'accompagnement de la parentalité, la prévention spécialisée…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion