Intervention de Éric Coquerel

Réunion du mercredi 17 avril 2024 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président :

Dans le rapport sur l'exécution du budget de l'État pour 2023, la Cour des comptes relève des reports massifs de crédits, à hauteur 18,7 milliards d'euros, suivis de mises en réserve et d'annulations de crédits en cours d'année, pour un montant significatif. La Cour évoque d'ailleurs un problème de sincérité de certaines prévisions de dépenses et relève également l'importance des reports à l'exercice 2024 de crédits non consommés en 2023.

Le Parlement n'est pas tenu informé en fin de gestion des prévisions de consommation des crédits reportés, ce qui ne nous permet pas d'avoir une appréciation non faussée de ce qui sera effectivement exécuté pour l'année qui s'achève. Dans ces conditions, monsieur le ministre, à défaut de promettre d'arrêter de pratiquer des reports de crédits massifs, seriez-vous prêt à vous engager à présenter au Parlement, lors de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion, un état des lieux de la consommation des crédits reportés de l'année précédente ? Cela nous permettrait de mieux apprécier la portée des ouvertures et des annulations de crédits proposées à cette occasion.

Par ailleurs, tout comme vous avez rectifié les estimations de croissance pour 2024, le programme de stabilité se démarque considérablement de la loi de programmation des finances publiques adoptée par l'usage de l'article 49.3 de la Constitution et qui, nous disait-on alors, devait absolument être votée pour que Bruxelles libère les crédits dus à la France. Nous avons été nombreux à remarquer que non seulement les choses ne se passaient pas ainsi, mais surtout qu'il était compliqué de voter une trajectoire largement contestable et contestée. Quelques mois après, votre programme de stabilité change les chiffres, que nous avions été nombreux à dénoncer en décembre : le déficit passe alors de 4,4 % à 5,1 % en 2024 et de 2,7 % à 2,9 % en 2027, sans parler des années intermédiaires.

Passons sur la sincérité des prévisions, même si la question mérite d'être posée. Si ces prévisions étaient sincères, ce serait presque pire ! En effet, que dire d'une politique incapable de prévoir et d'anticiper et qui accumule les erreurs ? Cela ne serait pas seulement une question d'incompétence mais, plus grave, une question d'erreur de politique. Votre politique économique et financière est vouée à être remise en question quelques mois après, parce qu'elle ne correspond ni aux besoins des Français ni à la conjoncture économique. Les erreurs s'accumulant, vous êtes obligés de constater les échecs de votre politique.

Le Haut Conseil des finances publiques a relevé que les estimations d'une trajectoire de déficit passant de 5,1 % en 2024 à 2,9 % en 2027 sont peu crédibles. Il note qu'un tel effort n'a jamais été fait par le passé et que sa documentation reste lacunaire à ce stade. J'utiliserai une image un peu différente de celle de Pierre Moscovici : vous nous promettiez de descendre un rapide, mais c'est devenu les chutes du Niagara ! Or, pour des raisons tant économiques que politiques et en raison de l'incohérence dénoncée par le Haut Conseil, le premier effet d'une baisse des dépenses publiques est d'aggraver le caractère récessif de la politique menée. Les estimations de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) font état de – 0,2 point de PIB en 2024 et de – 0,6 point en 2025. Sans une baisse astronomique de nos dépenses publiques, dont notre économie ne pourrait se relever, les objectifs seront impossibles à tenir, sans parler des besoins des Français et des réformes structurelles qui représentent, d'après ce que nous avons compris de la part de membres du Gouvernement, une attaque sans précédent de la protection sociale.

Tout cela n'a pas de sens et ne tient pas ! Je pense que le programme de stabilité qui sera présenté à Bruxelles manquera autant de cohérence que la loi de programmation des finances publiques adoptée par 49.3 l'an dernier.

Vous affirmez que l'on n'a jamais créé autant d'emplois et que le chômage a baissé, mais l'Insee prévoit un taux de chômage à 8 % fin 2024. Nous verrons alors si vous attribuez cette hausse à votre politique ou à la conjoncture internationale. Si elle se confirme, je l'attribuerai pour ma part à votre politique. N'est-il pas urgent de changer complètement de logiciel ?

M. Draghi ne propose pas les mêmes recettes mais explique que les réponses apportées sont adaptées au monde d'hier. Il parle de décrochage de croissance de l'Europe par rapport aux autres blocs économiques. Ne pensez-vous pas qu'une politique qui joue sans arrêt sur la baisse de la dépense publique a un effet récessif, sans compter qu'elle ne répond pas aux besoins de la population et qu'elle est incapable d'investir suffisamment pour une véritable bifurcation écologique ? Les montants en faveur de cette bifurcation écologique continuent certes à augmenter, mais insuffisamment par rapport à ce que la plupart des économistes estiment nécessaire. Jean Pisani-Ferry, par exemple, estime qu'il faut 37 milliards d'euros de dépenses publiques en faveur de l'écologie. Ne croyez-vous pas qu'il est temps de changer de braquet ? Je sais que votre réponse sera négative, mais il faudrait d'une part mettre en place une politique de la demande dopée par des investissements écologiques au lieu d'une politique de l'offre et, d'autre part, rompre avec la politique de compétitivité qui vous a amené, depuis 2017, à offrir 50 milliards de cadeaux fiscaux chaque année. Par ailleurs, les aides publiques aux entreprises sans contrepartie, qui sont une sorte de dépense fiscale, ont explosé. Ne croyez-vous pas qu'il faut revenir sur cette politique, y compris si vous vous fixez comme objectif de baisser les déficits, car on ne voit pas ses effets sur l'emploi et car elle ne répond pas aux besoins des Français. En revanche, elle conduit à une accumulation des richesses dans les mains de quelques personnes, qui est, plus que la disparité entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches, inédite. Non seulement les cadeaux fiscaux pour les revenus du capital font exploser les inégalités, mais en plus ils privent l'État de recettes fiscales importantes.

Une étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) montre que les soixante-quinze plus fortunés de nos milliardaires rentiers et, pour aller vite, capitalistes, qui réalisent des gains à partir de leur patrimoine constitué des actions – c'est la définition même du capitalisme –, bénéficient d'un taux d'imposition de 26 % en moyenne pour l'ensemble de leurs revenus, personnels et professionnels. Pourtant, le taux d'imposition des 0,1 % les plus riches est de 48 %. La différence entre les deux représente pour l'État une perte de 18 milliards. Ce n'est qu'un exemple de cet argent qui, depuis des années, part vers le CAC40 pour être dilapidé en dividendes et qui ne rejaillit donc pas dans l'économie et manque cruellement aux recettes de l'État.

Le chef de l'État explique que nous avons un problème de recettes et pas de dépenses. Comment dès lors récupérer ces recettes ? Vous avez missionné plusieurs membres de la majorité pour présenter, en juin, des propositions dans ce sens, notamment en matière de rente. Il serait plus démocratique et plus nécessaire, compte tenu des modifications budgétaires – 10 milliards d'euros d'annulations de crédits et 10 milliards d'euros supplémentaires annoncés pour 2024 – de présenter un projet de loi de finances rectificative qui permettrait enfin le débat dans cette assemblée. Nous pourrions ainsi présenter à nouveau la proposition – votée par la majorité de notre commission, notamment avec le Modem –, de taxer les superprofits, taxe qui rapporterait 15 milliards d'euros à l'État. Je vous fais grâce des suppressions de niches ou d'aides aux entreprises sans condition, qui pourraient aisément rapporter plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Je vous demande solennellement de ne pas compter sur un projet de loi de finances de fin de gestion pour revoir le budget, qui est exécuté de manière totalement différente par rapport à ce qui a été adopté fin décembre : présentez plutôt un projet de loi de finances rectificative (PLFR). Faute d'un PLFR, le groupe auquel j'appartiens a indiqué qu'une motion de censure serait déposée, car le débat et le vote du budget sont fondamentaux pour l'Assemblée nationale.

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