Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du mardi 30 avril 2024 à 15h00
Motion de rejet préalable — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Si j'en juge par les nombreuses sollicitations que j'ai reçues – et je ne suis certainement pas le seul –, en provenance des deux parties impliquées par le texte, entre le débat en commission et celui en séance, je crois que je peux réitérer ce que nous disions il y a vingt jours : cette proposition de loi n'est en rien anodine. Après son adoption en commission, elle soulève toujours nombre d'interrogations dans les différentes sphères du droit des affaires et du monde de l'entreprise. Certains trouveront ces interrogations légitimes, d'autres moins.

Néanmoins, le texte traite d'une vraie question. Nous en convenons tous, les entreprises sont soumises, souvent à juste titre, à bien des obligations dans divers domaines : protection des données, respect de la réglementation environnementale, lutte contre le blanchiment, droits des salariés, prévention des risques… Si nous pouvons être sensibles aux arguments, qui peuvent tout à fait être entendus, des juristes d'entreprise, avec lesquels j'ai pris le temps d'échanger – leurs missions au quotidien peuvent être troublées –, la réforme proposée, défendue avec opiniâtreté et talent par le rapporteur, comporte selon nous trop de risques, en particulier pour la profession d'avocat.

Nous avons encore pu lire ces derniers temps des tribunes et des articles opposés, sans aucune ambiguïté, au texte. C'est pourquoi, après en avoir rediscuté ce matin, notre groupe émet plusieurs réserves – elles ont déjà été présentées en commission mais je les rappelle.

Sur la forme, cela a été dit, la proposition de loi reprend in extenso le dispositif de l'amendement gouvernemental au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, qui avait censuré comme cavalier législatif. Pourtant, en février dernier, le Sénat a adopté un texte sur la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise. La logique aurait voulu que l'on poursuive la navette parlementaire.

Nous nous interrogeons donc sur le véhicule législatif choisi. Dans la mesure où le sujet était d'initiative gouvernementale, n'aurait-il pas été préférable que le Gouvernement dépose un projet de loi, afin qu'une étude d'impact soit réalisée ? Cela aurait au moins permis d'étayer la thèse avancée, à savoir que l'introduction du legal privilege permettra de gagner en compétitivité. Existe-t-il des exemples de délocalisation ? À ce stade, nous n'avons pas de réponse. N'aurait-il pas aussi été utile de connaître l'avis du Conseil d'État ?

Au-delà de la forme, je réaffirme l'idée qu'en France, c'est la stricte séparation entre avocats et juristes d'entreprise qui justifie l'absence de privilège de confidentialité pour les consultations des juristes. La France, certes, fait figure d'exception au sein de l'OCDE en la matière, mais il n'existe pas dans notre pays de profession d'avocat d'entreprise. Notre groupe reste attaché à cette séparation et ne souhaite pas la remettre en cause. Les tentatives de rapprochement entre les deux professions se sont soldées par des échecs, notamment en 2014.

D'autre part, les alertes lancées par plusieurs professionnels du droit concernant les risques d'abus et de dissimulation de preuves sont à notre sens justifiées. Nous souscrivons au choix qui a été fait d'exclure les matières pénale et fiscale du champ du dispositif, afin de préserver l'ordre public. Toutefois, le droit de la concurrence soulève également des questions, tout comme la matière administrative. Il existe un risque que des consultations visant à faciliter la commission d'un manquement soient engagées.

Quoique la confidentialité soit attachée au document, nous craignons qu'à terme, on n'ouvre la porte à la confidentialité de la personne du juriste. En instaurant une déontologie, ainsi qu'une formation initiale et continue, on jette les bases d'une future profession réglementée.

Cela a été rappelé : l'indépendance de l'avocat par rapport à son client est essentielle, alors que le juriste d'entreprise se trouve dans un lien de subordination salariale à son entreprise et à son employeur.

Pour toutes ces raisons, le groupe LIOT, dans sa grande majorité, votera contre le texte.

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