Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 12 janvier 2017 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, chers collègues, je vous présente tout d’abord mes meilleurs voeux.

La proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale a été déposée à l’Assemblée nationale le 1er juillet 2015 par nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech. Le texte réforme la prescription non seulement de l’action publique mais également de la peine. Il s’agit d’une initiative parlementaire transpartisane qui a été élaborée à la suite d’une mission d’information rigoureuse et sérieuse des deux rapporteurs, que je voudrais saluer chaleureusement. Nous l’avions déjà fait en première lecture, mais ce travail mérite nos encouragements. Il est assez rare, en effet, que des familles politiques siégeant sur des bancs différents au sein de cet hémicycle se retrouvent sur un travail d’une telle qualité.

Nous le savons, ce texte bénéficie du soutien du ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas. Vous avez organisé, monsieur le ministre, une réunion de conciliation entre les rapporteurs du texte des deux assemblées avant le débat en séance au Sénat. Pour l’essentiel, ce texte propose de doubler les délais de la prescription pénale. Désormais, la prescription des délits exposerait les auteurs supposés à des poursuites jusqu’à six ans après les faits, sans compter les causes d’interruption faisant courir à nouveau ce délai de six ans. En matière criminelle, la prescription passerait de dix à vingt ans.

Le texte voté par le Sénat a apporté des modifications importantes sur lesquelles je voudrais revenir en quelques mots. Elles concernent d’abord les délits financiers dissimulés pour lesquels le délai de prescription court à compter non pas du jour de la commission de l’infraction mais du jour où celle-ci est connue. La proposition des rédacteurs élargit le champ et consacre deux types d’infractions cachées : l’infraction occulte, « qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime, ni de l’autorité judiciaire », et l’infraction dissimulée, « dont l’auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ».

Nos collègues sénateurs ont ajouté au texte un délai butoir : douze ans pour les délits et trente ans pour les crimes. Par conséquent, un délit dont on découvre l’existence plus de douze ans après sa commission sera prescrit, alors qu’auparavant il était, dans les faits, imprescriptible. Pour ma part, je considère que cette disposition est source de confusion, et sa définition apparaît très vaste. Je propose dans un amendement une définition plus restrictive. Par ailleurs, je regrette également que la question des crimes de guerre ait été abandonnée par le Sénat, sans doute en raison des inquiétudes sur le risque de poursuites contre des militaires français présents au Rwanda pendant le génocide.

Je voudrais également dire un mot sur l’allongement de la prescription des infractions commises en ligne. Après une tentative, finalement vaine, lors des débats sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, le Sénat a réussi à intégrer une prescription d’une année pour ces infractions en lieu et place des traditionnels trois mois jusqu’alors en vigueur. Ce délai ne s’appliquerait toutefois pas « en cas de reproduction du contenu d’une publication diffusée sur support papier », ni en cas de diffusion à la fois en ligne et sur support papier. En la matière, nous aurons donc deux prescriptions différentes selon le support du média. Pour un texte dont les objectifs sont de redonner à la matière sa lisibilité et sa cohérence, je ne crois pas que ce soit une avancée. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé avec ma collègue Isabelle Attard un amendement pour revenir sur cette disposition. Rien ne justifie cet allongement, qui est de nature à entraver la liberté d’expression et la liberté de la presse, ce qui, nous le savons, n’est pas l’intention des auteurs à l’origine de ce texte.

Aurait pu se poser par ailleurs la question d’aller plus loin sur les crimes sexuels perpétrés sur les mineurs. Ces crimes bénéficient déjà d’une exception : le délai de vingt ans court à partir du moment où la victime atteint la majorité. Des questions subsistent. La réponse pénale sera-t-elle satisfaisante au-delà d’un temps raisonnable ? Peut-on élever de fait les crimes de droit commun à un niveau d’imprescriptibilité proche de celui des crimes les plus graves, tels les crimes contre l’humanité ?

Le 24 février 2015, le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, lors de son audition par la mission d’information sur la prescription en matière pénale, soulignait : « […] il existe un risque de voir la durée des procédures s’accroître dès lors que la combinaison des différentes techniques de rallongement des délais de prescription, notamment celle des interruptions successives, permet que l’action engagée devienne, dans les faits, quasiment imprescriptible. »

La mission sur les délais de prescription concernant les crimes sexuels sur mineurs que Mme Rossignol a confiée à un magistrat et à une animatrice victime de violences peut être l’occasion, sur un sujet délicat qu’il a été décidé de ne pas traiter dans ce texte et sur lequel les positions sont tranchées, d’aboutir à des propositions partagées. C’est une piste qu’il faut encourager.

Mes chers collègues, cette proposition de réforme intervient paradoxalement quelques années seulement après la réforme du 17 juin 2008, qui a raccourci les délais de prescription en matière civile. Il s’agit d’un grand enjeu de politique pénale parce qu’elle touche à la relation entre la justice et le temps dans une société médiatique où le temps numérique bouscule tout, où les moyens d’identification sont toujours plus performants et où la loi de l’oubli est de plus en plus contestée. Il nous incombe, en tant que législateur, d’élaborer des règles claires, plus lisibles et moins imprévisibles. Je crois que c’est le sens et l’ambition de ce texte, que je soutiens.

Avant de conclure, je voudrais porter à votre attention que ni Cécile Duflot ni moi-même ne sommes signataires de l’amendement no 7 déposé par notre collègue Eva Sas, qui, je pense, va le retirer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion