Intervention de Thierry Benoit

Séance en hémicycle du 18 janvier 2017 à 21h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles et développement du biocontrôle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Benoit :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, relative à la lutte contre l’accaparement des surfaces agricoles et au développement de l’utilisation des produits dits de biocontrôle, s’inscrit dans la continuité de l’examen du projet de loi Sapin II.

Ce texte reprend l’intégralité des dispositions sur le foncier agricole censurées par le Conseil constitutionnel en décembre dernier, auxquelles s’ajoute une seconde partie relative au biocontrôle.

Si le groupe UDI regrette que nous examinions ici un texte d’ajustement et non une réforme en profondeur des règles foncières rurales, nous sommes néanmoins conscients des enjeux et de la nécessité de renforcer ces règles.

La surface agricole de la France représente 16 % des terres agricoles de l’Union européenne. Avec environ 28 millions d’hectares, elle est largement devant l’Espagne qui en compte 23 millions, l’Allemagne 16 millions ou le Royaume-Uni 15 millions.

Pourtant, notre potentiel reste à ce jour insuffisamment valorisé. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : si la production agricole française atteignait les capacités d’exportation des Pays-Bas, notre chiffre d’affaires ne serait pas de 65 milliards mais de 778 milliards d’euros ! C’est dire, au passage, tout le potentiel agricole de la France et donc tout l’enjeu de notre puissance agricole.

Notre pays a pourtant perdu plus de la moitié de ses exploitations agricoles en un demi-siècle et une part non négligeable de sa surface agricole utile. Cela s’explique notamment par une hausse de la vente de surfaces agricoles destinées à l’urbanisation et par un développement croissant de l’accaparement des terres.

Essentiellement répandu dans les pays vulnérables, notamment sur le continent africain, ce phénomène s’est progressivement développé en France ces dernières années. Au-delà des zones frontalières ou à forte valeur ajoutée, comme les vignobles, ce phénomène semble désormais toucher l’ensemble des zones rurales. Il constitue une véritable menace pour nos exploitations familiales et l’installation des jeunes agriculteurs sur l’ensemble du territoire national.

L’année dernière, l’achat de 1 700 hectares de terres agricoles par des investisseurs chinois dans le département de l’Indre a démontré qu’il était grand temps d’agir.

Cette affaire a suscité l’incompréhension et l’inquiétude des acteurs du monde agricole. Elle a mis en lumière certaines anomalies qui pouvaient exister au sein des SAFER, notamment dans leurs missions, et la nécessité de renforcer la régulation du marché foncier agricole.

Cette régulation existe pourtant en France. Créées par la loi d’orientation agricole du 5 août 1960, ainsi que l’ont déjà rappelé plusieurs orateurs, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural en sont les principaux acteurs, avec pour mission de favoriser l’installation, le maintien et la consolidation d’exploitations agricoles.

Leur droit de préemption, consacré législativement depuis 1962, demeure leur outil majeur de régulation. Celui-ci s’est étendu au fil des évolutions législatives. La loi d’avenir pour l’agriculture de 2014 a contribué à renforcer les prérogatives des SAFER en élargissant ce droit, même si les dysfonctionnements observés ont souligné parfois l’inefficacité de certaines évolutions.

L’essentiel des transferts est en effet réalisé par le biais de vente de parts sociales. Or les SAFER n’en prennent connaissance que lorsque 100 % des parts sont mises en vente. Il suffit donc à une société d’acheter 99 % des parts pour que l’opération échappe au contrôle des SAFER.

Les règles régissant les transactions foncières agricoles datent des années 1960. Même si elles ont évolué, elles ne correspondent plus à l’agriculture française telle qu’elle existe aujourd’hui. Le groupe UDI considère qu’il est nécessaire de les moderniser.

À cet égard, les dispositions relatives aux prérogatives des SAFER semblent aller dans le bon sens. L’article 3, qui étend leur droit de préemption en cas de cession partielle d’une société, permettra de répondre aux abus qui ont pu exister dans le passé.

L’article 6, qui vise à donner un caractère permanent et à préciser le cadre du barème indicatif de la valeur vénale des terres agricoles, permettra de mieux connaître le prix des terres et de suivre les dynamiques territoriales.

Plus qu’un enjeu strictement économique, le phénomène d’accaparement des surfaces agricoles soulève de nombreuses problématiques pour notre pays, car, de notre maîtrise des terres agricoles, dépendra aussi notre capacité à assurer notre souveraineté alimentaire. Il pose aussi la question de la souveraineté de nos agriculteurs, de celles et ceux qui vivent des fruits de leur travail en cultivant la terre pour produire et pour nourrir.

Sur la question plus spécifique du biocontrôle, l’examen en commission des affaires économiques a illustré le relatif consensus qui existe au sein de notre assemblée.

Je rappelle que le groupe UDI s’est engagé dans une démarche constructive et a voté la loi d’avenir pour l’agriculture, dont le coeur est l’agroécologie. Celle-ci poursuit ce que les agriculteurs appelaient « l’agriculture écologiquement intensive », dont la trajectoire a été engagée il y a une vingtaine d’années.

Le développement du marché des produits de biocontrôle est essentiel. Ainsi, l’élargissement de la dispense d’agrément à tous les produits de biocontrôle proposé par l’article 8 permettra un développement plus poussé de leur usage et facilitera certainement leur utilisation par les agriculteurs.

De même, l’exemption de certificat individuel de produits phytopharmaceutiques – certification Certiphyto – pour les travailleurs temporaires, proposée à l’article 9, semble également souhaitable. L’inscription de cette dérogation dans la loi permettra ainsi de la consacrer législativement.

En revanche, monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur la proposition du Gouvernement de réintroduire les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques dans la loi. Permettez-moi donc de m’arrêter un instant sur la question de l’application. Je comprends très bien l’esprit qui vous anime et l’objectif qui est le vôtre d’encourager les agriculteurs à moins recourir aux produits phytosanitaires. Vous avez dit tout à l’heure qu’il ne s’agissait pas là de normes. Certes, mais ce sont tout de même des contraintes. D’ici à 2021, puisque le dispositif sera expérimenté jusqu’en décembre 2021, nous devrons donc être très pragmatiques dans la définition des fiches d’action et la manière de les remplir. Le passage du conceptuel à l’opérationnel imposera en effet des contraintes aux distributeurs de produits phytosanitaires ; les fiches d’action à mettre en oeuvre, les tableaux de suivi des certificats d’économie de produits phytosanitaires à remplir, tout cela représente une réelle contrainte pour les coopératives et pour les distributeurs, qui peuvent être des distributeurs privés, dotés de petites équipes de ressources humaines et pas nécessairement d’importantes équipes administratives. Nous devrons y être attentifs durant cette période d’expérimentation.

Pleinement favorable à l’idée de réglementer le recours aux produits phytosanitaires afin d’en diminuer l’utilisation, j’estime néanmoins indispensable que la phase de transition ne soit pas trop contraignante. En l’état, les sanctions prévues sont sans doute trop pénalisantes. De même, serait-il envisageable de simplifier l’utilisation des fiches d’action, notamment pour le nombre de renseignements demandés ? Si je me réfère à la mise en oeuvre des mesures agroenvironnementales, il faut bien reconnaître que si nous avons aujourd’hui, en 2016-2017, un problème de logiciel, ce n’est pas parce que l’Europe ne verse pas les financements, ni parce qu’elle fait peser des contraintes, mais tout simplement parce qu’en France, le pouvoir politique, l’administration et les représentants du monde agricole ont posé tant d’exigences quant au versement des aides de la PAC que le logiciel n’arrive pas à intégrer l’ensemble de ces contraintes !

En conclusion, si ce texte ne résout pas tout, il comble certaines lacunes juridiques. Nous regrettons néanmoins que le Gouvernement n’ait pas privilégié un grand texte sur le foncier agricole : l’accumulation de petites réformes crée un manque de cohérence, de clarté et donc de vision sur cette thématique.

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