Intervention de Olivier Marleix

Séance en hémicycle du 18 février 2013 à 16h00
Élection des conseillers départementaux des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modification du calendrier électoral — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix :

Monsieur le ministre, permettez-moi, tout d'abord, de vous rappeler que l'opposition d'hier a suffisamment cité Nicolas Sarkozy dans cet hémicycle pour que nous puissions à notre tour évoquer François Hollande sans être accusés de crime de lèse-majesté. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Après avoir supprimé en urgence, il y a quelques semaines, le conseiller territorial – texte tombé depuis aux oubliettes –, vous vous empressez désormais de nous présenter un projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers départementaux et municipaux. Pourquoi ne pas attendre le fameux « acte III » de la décentralisation promis par François Hollande pendant sa campagne pour envisager une réforme territoriale d'ensemble, qui traiterait des différents aspects, qu'il s'agisse des élections – pourquoi pas –, des compétences des collectivités locales, de la liberté dont elles jouissent pour les exercer ou des finances dont elles disposent pour les assumer ? Avec 4,5 milliards de dotations en moins d'ici à 2015, le sujet devient plutôt préoccupant…

En somme, ce texte révèle une certaine précipitation. Pourtant, y a-t-il une véritable urgence à recréer 1 800 conseillers régionaux et à changer le nom du conseiller général en conseiller départemental, alors que notre pays, en pleine crise, compte chaque jour 1 000 chômeurs supplémentaires ? Évidemment non. La véritable raison de cet empressement est la gestion plus ou moins tactique d'un calendrier électoral et d'élections locales dont la perspective commence, sans doute, à inquiéter le Gouvernement.

Je reviendrai sur vos motivations, mais je voudrais au préalable, afin que le rapporteur puisse en prendre bonne note, soulever l'irrecevabilité constitutionnelle de plusieurs dispositions de ces projets.

Tout d'abord, contrairement à ce que vous soutenez, monsieur le ministre, le report des élections cantonales et régionales à 2015 ne répond à aucun motif d'intérêt général. Votre majorité a remporté la majorité au Sénat, en 2011, au prix d'une fabuleuse mystification : n'est-ce pas vous qui répétiez que le Gouvernement allait « étrangler financièrement les collectivités territoriales » – alors que nous ne faisions que geler les dotations quand vous allez les baisser de près de 5 milliards en deux ans – et « porter atteinte à la ruralité » en créant le conseiller territorial ?

En 2014, comme sans doute, en 2015, les électeurs ne s'y tromperont pas : il sera évidemment difficile aux hérauts des collectivités territoriales que vous prétendiez être hier (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), d'expliquer que le changement promis et attendu s'est finalement traduit par une baisse de 5 milliards d'euros des dotations aux collectivités locales et par la disparition de près de 3 000 cantons ruraux. Quel bilan !

Il vaudrait donc mieux pour votre majorité que les élections locales aient lieu après les élections sénatoriales, pour que le corps des grands électeurs sénatoriaux ne soit pas trop modifié. L'idéal aurait été sans conteste, de votre point de vue, de reporter les élections municipales ; je crois que l'on peut dire que cette idée vous a traversé l'esprit, mais la manoeuvre aurait été un peu grossière et aurait été censurée par le Conseil constitutionnel. Avec la finesse que nous vous reconnaissons bien volontiers, monsieur le ministre, vous proposez donc, plus subtilement, de reporter seulement les élections régionales et cantonales.

Il n'en reste pas moins que ces reports ne répondent à aucun motif d'intérêt général et qu'ils sont même contraires à plusieurs impératifs d'intérêt général reconnus par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Ainsi le report à 2015 des élections des conseillers départementaux et régionaux entraînera la désignation d'une partie des sénateurs par des élus en fin de mandat. Or, comme l'a rappelé fort justement notre collègue Portelli au Sénat, dans les commentaires des Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision du Conseil du 15 décembre 2005 portant sur la loi modifiant les dates des sénatoriales, il est précisé que la loi « assure durablement que les sénateurs ne seront pas élus par des grands électeurs en fin de mandat. Ils le seront soit par des élus en début de mandat, soit par des élus locaux à mi-mandat Au regard du principe constitutionnel selon lequel le Sénat représente les collectivités territoriales, il est préférable de rapprocher à l'avenir l'élection des sénateurs de la désignation par les citoyens de la majeure partie du corps électoral sénatorial ».

Vous, pour des raisons que l'on comprend bien, vous faites le contraire, préférant garder de bons vieux grands électeurs qui ont déjà fait leurs preuves ! Vous procédez ainsi à la prorogation de 4 % seulement des membres du collège électoral, nous dites-vous – prenant bien soin de séparer 2,1 % d'un côté, 1,9 % de l'autre. Cela peut paraître peu, mais, dans de nombreux départements, c'est suffisant, et vous le savez, pour porter atteinte à la sincérité du scrutin.

Dans certains départements, la part d'élus prorogés dépassera même les 10 % du collège sénatorial. C'est le cas notamment en Corse – je parle sous le contrôle de M. de Rocca-Serra – puisqu'elle s'élèvera à 11,2 % en Corse-du-Sud et à 10,2 % en Haute-Corse. En Guyane, la part d'élus prorogés atteindra même 11,6 % et – c'est un comble ! – il reviendra à des conseillers régionaux et généraux prorogés d'élire des sénateurs, alors que les Guyanais se sont prononcés par référendum en faveur de la suppression de ces collectivités au bénéfice de la création d'une assemblée unique en 2014.

Au-delà du calendrier électoral, le coeur de votre texte, qui consiste dans l'invention d'un « binôme » électif, fait planer un fort doute sur la constitutionnalité de votre projet de loi. Au nom de la parité, vous inventez en effet un système inédit, un binôme paritaire, qui est en apparence inoffensif – je dirais même très franchement : plutôt sympathique à mes yeux –, mais qui remet en cause des principes fondamentaux de notre démocratie.

Deux élus, élus conjointement, solidairement, pour représenter et administrer un même territoire, cela n'existe nulle part au monde ! Le seul précédent est celui offert par les consuls de la Rome antique : affaire, qui, vous le savez, s'est assez mal terminée… Le sénateur Portelli a cependant identifié un scrutin qui se rapproche du vôtre : le scrutin binominal chilien. Certes, chaque circonscription y est représentée par deux élus, mais les électeurs votent pour deux personnes différentes, en utilisant deux bulletins et non un bulletin unique pour désigner un « ticket ».

Vous avez fait le choix, quant à vous, de lier les deux membres du binôme devant l'électeur, qui les choisit ensemble, sous forme d'un « ticket ». Ce « binôme » est clairement une novation juridique. Ce scrutin ne correspond à aucun des deux types de scrutin existant dans notre pays ou dans la plupart des systèmes démocratiques : le scrutin uninominal et le scrutin de liste.

La solidarité que vous inventez entre les membres du binôme n'a aucun sens. Vous allez jusqu'à instaurer une solidarité en matière financière, y compris pour les dépenses engagées avant même la constitution du binôme, et en matière d'inéligibilité. C'est une aberration juridique – une de plus ! – que de tenir responsable et de punir quelqu'un pour une infraction commise par une personne sur laquelle il n'a aucune responsabilité.

En revanche, vous prétendez qu'une fois élus, les deux membres du binôme retrouveront leur pleine indépendance et pourront, au sein de l'assemblée départementale, faire des choix différents. Cela pose clairement la question de la sincérité du scrutin : le citoyen va voter pour une sorte de binôme schizophrène.

Au-delà, que se passera-t-il si le couple divorce et sollicite le renouvellement de son mandat dans le cadre d'un autre binôme ? Ce serait une véritable atteinte à ce principe fondateur de toute démocratie qu'est la responsabilité de l'élu devant le suffrage.

En démocratie, c'est par l'élection qu'on exerce une responsabilité, un mandat, et on n'est responsable que devant ses mandants, entre les mains desquels on remet son sort au terme de son mandat, en sollicitant ou pas un nouveau mandat.

Le constitutionnaliste Jean Gicquel considère que « cette possibilité pour l'opposition d'éliminer pacifiquement ou légalement les gouvernants en place qui assure le caractère disputé des élections, c'est elle qui caractérise la démocratie ».

Je pourrais également citer le professeur Olivier Duhamel, pour qui « l'un des défauts dont souffre la démocratie ici ou là, c'est que ceux qui exercent le pouvoir ne rendent plus compte de leurs actes. Certes, à l'échéance effective de la mandature, les électeurs jugent. Insistons sur l'excellence de cette responsabilité fondamentale, propre à la démocratie majoritaire. »

Cette règle de la responsabilité de l'élu devant ses électeurs est absolue depuis qu'il y a des élections dans notre pays. Sa seule exception – l'interdiction pour le suppléant d'un ministre de se présenter aux élections législatives contre le ministre qu'il a remplacé – est faite justement pour respecter ce principe de la responsabilité unique de l'élu devant les électeurs.

Dans le système que vous inventez, ce principe de responsabilité devient totalement inopérant, dès lors que le binôme, solidaire lors d'une élection, peut se séparer pour se reconstituer en deux binômes rivaux lors du scrutin suivant, de telle sorte que l'électeur est incapable de manifester sa réprobation ou son approbation au candidat qui achève son mandat. Il y aura là, à n'en pas douter, matière à réflexion pour le Conseil constitutionnel.

Avec le binôme vous faites en outre le choix, à l'article 3 du projet de loi, de réduire par deux le nombre des cantons. Ce choix délibéré intervient au terme d'un raisonnement d'ailleurs assez étrange. En fait, vous aviez le choix entre deux solutions : la première aurait consisté à considérer simplement que vous remplaciez le conseiller général actuel élu dans le cadre des cantons par un binôme, mais sans inscrire dans la loi l'effectif des cantons, puisque le législateur, depuis des temps immémoriaux, a confié au Gouvernement la tâche de créer ou de supprimer les cantons par décret en Conseil d'État. Moyennant des précisions sur les règles de redécoupage, du type de celles que vous apportez à l'article 23, je pense que vous auriez pu retenir cette solution. J'ai cru d'ailleurs comprendre dans votre réponse à mon collègue Larrivé que le Conseil d'État ne vous avait pas contraint à y renoncer. La loi n'a jamais, depuis 1801, défini elle-même l'effectif des assemblées départementales. Elle l'a fait pour le conseiller territorial, uniquement parce que nous remplacions l'effectif des conseillers régionaux, qui, lui, était inscrit dans la loi.

La seconde solution, en revanche, consistait à redéfinir complètement par la loi le régime électoral des conseillers généraux : à la fois le mode de scrutin et l'effectif. C'est le choix que vous faites, que vous semblez faire en déterminant à l'article 3 le nombre des cantons. Mais vous le faites de la manière la plus étrange qui soit, en faisant preuve d'une sorte de paresse législative et en disposant que l'effectif des cantons tel que constaté au 1er janvier 2013 sera désormais divisé par deux.

La référence à cette date en dit long sur la relativité du raisonnement que vous voulez faire endosser au législateur ! Nous le savons tous : ces effectifs au 1er janvier 2013 n'ont aucune espèce de logique, aucune sorte de légitimité : ils sont le fruit de l'histoire, de la volonté de tel ou tel gouvernement d'améliorer – généralement de son point de vue – la situation dans tel ou tel département.

En tout cas, vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, depuis 1801, il n'y a jamais eu d'exercice général de redéfinition des effectifs cantonaux qui donnerait à cet effectif constaté au 1er janvier 2013 une valeur incontestable.

Vous connaissez les écarts actuels, je n'ai pas besoin de multiplier les exemples : deux départements ayant la même population peuvent se retrouver avec des effectifs de conseillers généraux sans aucun rapport. Comment ne pas y voir une atteinte au principe d'égalité devant le suffrage, qui consiste aussi dans le fait pour le citoyen d'avoir le même poids électoral quel que soit le département dans lequel il vit ? Au nom de quelle conception de l'égalité un conseiller général des Hauts-de-Seine représenterait-il 68 000 personnes quand un conseiller général du Cantal n'en représenterait que 10 000 ?

Si véritablement vous voulez faire ce travail d'inscrire dans la loi l'effectif des assemblées départementales – démarche dont je considère qu'elle ne répond à aucune nécessité réelle, mais qu'elle relève seulement d'un choix de votre Gouvernement, qui n'a d'autre but que de porter un coup sévère à la représentation de la ruralité –, allez jusqu'au bout, en fondant correctement, sur des critères intelligibles, ce qui doit désormais déterminer les effectifs de ces assemblées. Faute de quoi, vous porterez nécessairement atteinte au principe d'égalité devant le suffrage.

Enfin, vous procédez aussi dans ce projet de loi à une modification de la répartition des conseillers généraux parisiens.

Sur la méthode tout d'abord, vous avez répondu sur Marseille, j'ai bien entendu. Mais pourquoi ne procédez-vous pas aux mêmes modifications à Lyon ?

Depuis 1982 en effet, le Conseil constitutionnel considère que ces trois collectivités doivent être régies par des dispositions parallèles et il a enregistré cette spécificité. Pourtant, ici, vous ne touchez qu'à Paris, et seulement à moitié. J'ai entendu votre réponse : selon vos calculs, ce sont seulement trois arrondissements de droite qui verront ainsi leur représentation amoindrie. On peut croire que c'est le fruit du hasard, mais, là encore je persiste à considérer que s'il fallait réellement tenir compte des évolutions démographiques, la règle aurait dû être entièrement revue.

En tout cas, vous auriez dû revoir aussi celle du maintien du minimum de trois conseillers de Paris par arrondissement, devenue manifestement contraire au principe d'égalité devant le suffrage. Elle ne représente plus rien et constitue une atteinte très forte à l'égalité : elle ne se justifie plus par le pluralisme, puisque certains arrondissements comme le 2e ou le 3e élisent trois conseillers de Paris sur la même liste.

Au-delà de ces motifs d'inconstitutionnalité, vous ne nous trompez pas, monsieur le ministre : cette première réforme, en apparence inoffensive, est à considérer plus largement, dans le cadre d'un plan électoral global qui vise à maximiser l'intérêt du parti socialiste.

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