Intervention de Patrice Verchère

Séance en hémicycle du 18 février 2013 à 21h30
Élection des conseillers départementaux des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modification du calendrier électoral — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Verchère :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les grandes lois de décentralisation des années quatre-vingt ont jeté les bases de notre démocratie locale, en conférant à la fois l'autonomie et une dimension politique et administrative à nos collectivités territoriales.

Malheureusement, ces deux projets de loi, ordinaire et organique, ne s'inscrivent pas dans cette ambition et ressemblent plus, sous couvert notamment de la parité, à un tripatouillage électoral comme jamais notre démocratie n'en a connu.

Prenons la création du nouveau mode de scrutin proposé pour l'élection des futurs conseillers départementaux : le scrutin majoritaire binominal. Il a un caractère inédit, et imposera un redécoupage général des cantons.

En effet, actuellement, les conseillers généraux sont élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, dans le cadre des cantons. Si l'on reconnaît traditionnellement à ce mode de scrutin le mérite de faciliter la proximité et l'ancrage territorial de l'élu, nous savons aussi qu'il ne favorise pas la parité, c'est vrai.

Pour y remédier, vous proposez, à l'article 2 du projet de loi, de faire élire dans chaque canton deux candidats de sexe différent, qui se présenteraient en binôme et seraient solidairement élus ou battus. La dimension paritaire de ce binôme n'est pas un problème en soi, mais c'est son fonctionnement en pratique qui me laisse dubitatif.

Ainsi, la solidarité entre les deux membres du binôme est entière quant à l'issue du scrutin et pendant toute la durée des opérations électorales, ainsi que pour les comptes de campagne. Mais, une fois élus, les deux conseillers départementaux deviendront indépendants l'un de l'autre.

Monsieur le ministre, avez-vous une idée des conséquences que cela aura dans l'exercice de leurs mandats ? Pourriez-vous préciser devant la représentation nationale comment vous voyez ce fonctionnement ?

Quand vous étiez maire, auriez-vous imaginé un instant être accompagné d'un binôme de sexe différent disposant de la même légitimité et des mêmes compétences que vous ? Imaginez-vous aujourd'hui avoir à vos côtés une collègue qui soit comme vous ministre de l'intérieur ?

Oui, monsieur le ministre, la dimension binominale fait de cette «innovation politique » une expérimentation bien hasardeuse pour la vie politique locale, source de confusion sur le terrain comme dans les assemblées.

Il est vrai que le chiffre de 13,5 % de femmes élues dans les conseils généraux est très insatisfaisant. Je pense que c'est un constat que nous partageons tous. Mais si, depuis la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, l'article 1er de notre Constitution dispose que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », il ne s'agit là que d'un objectif, c'est-à-dire d'un but à atteindre, non d'une obligation constitutionnelle à mettre en oeuvre séance tenante et coûte que coûte. Oui, la loi doit favoriser la parité. Elle ne permet pas, et elle impose encore moins.

Avec la parité telle qu'elle est prévue dans votre texte, il s'agit d'imposer une égalité de résultat : quelles que puissent être d'ailleurs les qualités des candidats potentiels de l'un et de l'autre sexe, c'est une égalité purement arithmétique. Mais est-elle si démocratique que cela ?

Avec votre texte, comme trop souvent dans notre pays, un excès est corrigé, non par une mesure équilibrée, mais par un excès en sens inverse. Ce sont près de 3 000 conseillers généraux actuels sur un peu plus de 4 000 qui vont être virés, non par les électeurs, mais par votre loi.

Mais cet excès cache en réalité un vrai tripatouillage électoral, car, pour maintenir inchangé l'effectif actuel des conseils généraux, l'article 3 de votre projet de loi prévoit de diviser par deux le nombre actuel de cantons. Ainsi, votre texte aura pour conséquence un redécoupage systématique de la carte cantonale et donnera, sous un habillage plutôt vendeur de la parité, une latitude très grande au parti socialiste pour favoriser les siens, pour favoriser tout simplement ses amis politiques. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Certes, les évolutions démographiques de ces dernières décennies ont entraîné des écarts de représentation de la population, en particulier entre zones urbaines et zones rurales, au sein d'un même département, parfois avec des écarts très importants, mais qu'il fallait corriger avec mesure.

La conjonction du critère démographique interdisant que la population d'un canton soit supérieure ou inférieure de 20 % à la population moyenne des cantons du département et de la réduction de moitié du nombre des cantons sera très défavorable à la ruralité et à la proximité de l'élu avec les citoyens.

La vérité, c'est que votre projet, s'il n'est pas amendé au niveau de ce critère des 20 %, aura des retombées dramatiques pour les territoires ruraux. En l'état, monsieur le ministre, votre projet de loi est funeste pour la démocratie des territoires, c'est un projet de loi ruralicide.

Mes chers collègues de la majorité, je suis très surpris de constater que vous soutenez aujourd'hui un projet de loi qui cause, non seulement aux départements, mais aussi plus largement à la ruralité, un dommage considérable puisqu'il va laminer la représentation des cantons ruraux et menacer les équilibres déjà très fragiles entre le monde urbain et le monde rural.

Alors même, je m'en souviens, que c'était au nom de la défense des départements et du lien de proximité entre l'élu et son territoire d'élection que nos collègues de gauche avaient dénoncé, lors de l'examen de la loi de réforme des collectivités territoriales, la création du conseiller territorial.

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