Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 21 mars 2013 à 15h00
Débat sur la politique de la ville et la rénovation urbaine

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la confiance que nous accordent nos concitoyens est fondamentalement liée à notre capacité à faire vivre le principe d'égalité. Or ce débat sur la politique de la ville nous inscrit au coeur de ce principe.

Pendant dix ans, le sentiment d'injustice n'a cessé de s'accroître au sein de la République. Dans nos quartiers, l'impression, souvent bien réelle, d'un abandon de l'État et des services publics est désastreuse pour notre avenir collectif. Car cet abandon a pour conséquences le décrochage scolaire, le chômage de masse, l'absence de perspectives et une certaine forme de désespérance. Pourtant, les talents y sont nombreux. Il nous appartient de les accompagner et de les soutenir pour en faire de véritables atouts. Notre responsabilité est donc aujourd'hui aussi immense que la tâche qui nous reste à accomplir.

Pour pérenniser la confiance et satisfaire les attentes des populations de nos quartiers, c'est l'ensemble des ministères qui doivent se mobiliser de façon soutenue ; car l'efficacité de cette mobilisation sera moindre si une synergie réelle n'est pas mise en oeuvre. L'échec de la précédente majorité sur ce point doit nous permettre d'anticiper certains écueils. L'interministérialité n'est efficace que si l'ensemble des acteurs partagent les objectifs assignés.

À cet égard, nous saluons les premières coordinations du Gouvernement en faveur des quartiers, avec notamment : la création de 2 000 emplois francs dès cette année et la réservation de 30 % des emplois d'avenir ; la scolarisation dès l'âge de deux ans ; le retour à une prévention incarnée par le dialogue entre police et citoyens ; le développement des maisons de santé ; enfin, la mobilisation de la Banque publique d'investissement pour la création d'entreprises en banlieue.

Par ailleurs, la politique de rénovation urbaine devra être poursuivie et accrue. Les efforts réalisés ces dernières années sur ce point doivent être soulignés car ils ont trop souvent été les seuls en matière de politique de la ville.

Mais un habitat rénové n'endigue pas le fléau des discriminations, ne permet pas de faire baisser le chômage et n'assure pas seul la transmission des valeurs républicaines. Nous ne le dirons jamais assez : l'articulation avec les autres politiques est indispensable. En effet, considérer les quartiers comme des zones à part, méritant une attention particulière que chacun des « plans Marshall » successifs prétend faire disparaître par un déversement d'argent public, cela n'est pas favorable à l'émergence d'une politique d'inclusion. Au contraire, cette politique au coup par coup, souvent liée à des faits divers médiatisés, renforce la stigmatisation de nos quartiers.

Aussi, en réduisant la politique de la ville à des efforts de rénovation urbaine saccadée, nous sommes condamnés aux illusions de solutions temporaires et précaires. Ces efforts discontinus ne sont pas vécus comme des opportunités par les habitants qui en ressentent le caractère ponctuel. De plus, l'actuelle situation de contrainte budgétaire forte ne nous permettra pas, ou très difficilement, d'envisager le renouvellement fréquent de tels efforts.

À l'inverse des précédentes majorités, nous devons entreprendre l'articulation de la politique urbaine avec les politiques économiques et sociales. Encore faut-il avoir pour principe, monsieur le ministre, la volonté de lutter contre les inégalités sociales. Mes chers collègues, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé dans les ZUS qu'au sein des autres territoires de la République.

Face à ces inégalités, nous ne devons jamais céder au fatalisme et au cynisme, en acceptant la société hiérarchisée, telle qu'elle existe, comme un état de fait permanent. Pour changer véritablement et en profondeur cette société, nous devons assumer les politiques sociales et parmi celles-ci, en premier lieu, les politiques de redistribution, qui sont un instrument invariable de lutte contre les inégalités.

Nous devons donc inventer les nouvelles frontières de la politique de la ville. Celles-ci devront permettre d'éviter la dispersion de l'action et des moyens, tout en respectant la pluralité des situations. C'est pourquoi le niveau pertinent de la territorialisation de la politique de la ville devra s'incarner dans l'intercommunalité, qui permettra d'éviter l'écueil d'une action éparpillée entre plusieurs communes isolées. Grâce à l'intercommunalité, nous pourrons envisager la mutualisation indispensable des moyens pour agir avec efficacité et cohérence au sein de l'ensemble urbain.

L'intercommunalité sera le meilleur instrument de régulation face aux différents marchés, en particulier pour l'offre de logement. Dans la même perspective, elle permettra de peser sur l'offre scolaire, en se plaçant comme acteur central dans la définition des parcours scolaires offerts aux jeunes. À cet égard, ce parcours devra intégrer, y compris dans la filière professionnelle, la transmission des valeurs : valeurs républicaines, valeurs civiques, valeurs de laïcité, d'humanisme et de respect de l'autre. C'est à ce prix que le lien social pourra être préservé au sein de nos quartiers.

L'autre nouvelle frontière de la politique de la ville réside dans la redéfinition de la géographie prioritaire. Pendant trop longtemps, les pouvoirs publics ont eu tendance, d'une part, à ne pas assumer la logique d'efficacité qui vise à cibler et à concentrer les efforts à certains endroits et d'autre part, à opposer les lieux et personnes qui y vivent.

S'agissant du premier aspect, il faut saluer la décision du Gouvernement de canaliser la géographie spécifique sur 1 000 quartiers au lieu de 2 500 aujourd'hui. Mais de nouveau, les synergies entre les politiques devront être effectives pour ne pas être vaines. Si le zonage ne doit pas rimer, sauf par sa sonorité, avec le saupoudrage, il ne peut seulement consister à répandre de l'argent, indépendamment d'une dynamique.

Au coeur de ces dynamiques, la politique d'éducation prioritaire doit être le premier levier de la politique sociale, pour atténuer les inégalités dès le plus jeune âge. Le dernier rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles nous apprend qu'en 2009, 37 % des collégiens des ZUS avaient déjà redoublé une fois, quand la moyenne nationale est de 22,5 %.

La concentration des moyens dans telle ou telle zone urbaine ne peut pas produire de résultat si l'échec scolaire y devient une règle. Le dispositif « plus de maîtres que de classes » est, à cet égard, le bienvenu dans la lutte contre les inégalités.

La politique de sécurité devra également être accolée à la politique de la ville, la création de zones de sécurité prioritaire devant s'intégrer dans un schéma en cohérence avec l'éducation prioritaire et la géographie prioritaire.

Quant au second aspect, l'opposition systématique et idéologique entre la prévalence donnée aux lieux ou aux personnes n'a pas de sens. Trop souvent, les partisans d'une politique qui s'occuperait uniquement des personnes ont une idée erronée des lieux que l'on désigne par « quartiers ». Certes la banlieue telle qu'on la décrit souvent, peuplée de jeunes issus de la diversité, est intégrée dans cette définition mais elle ne représente qu'un quart des endroits visés par la politique de la ville.

Celle-ci intègre aussi des zones rurales, des habitations à loyers modérés des villages et des villes moyennes, des villes minières du nord de la France, des foyers de harkis dans le sud et, bien sûr, les zones domiennes. Par conséquent, une géographie prioritaire qui n'intégrerait ni la diversité de ces populations ni la spécificité de ces territoires manquerait son objectif. La participation de ces populations à la prise de décision collective est un puissant levier d'inclusion. L'échelle qui a été choisie pour la politique de la ville, celle de la territorialisation intercommunale, constitue le bon niveau d'action.

Enfin, permettez-moi d'évoquer rapidement un sujet qui me tient à coeur : la politique de la ville en outre-mer.

L'adaptation de cette politique de la ville à des situations aussi spécifiques que celles des départements d'outre-mer ou de certains territoires d'outre-mer conditionne sa réussite dans ces territoires. À l'occasion de la table ronde sur la politique de la ville en outre-mer, le 14 janvier dernier, un consensus s'est dégagé autour de l'idée d'une nécessaire souplesse dans l'application de cette politique. Les spécificités territoriales, notamment dans les départements qui organisent le passage à une collectivité unique, comme en Guyane et en Martinique, doivent justifier une exception au nouveau principe de territorialisation intercommunale.

Monsieur le ministre, j'ai essayé de le défendre ici et je le réaffirme en conclusion de cette intervention : la politique de la ville est l'histoire d'une mise en mouvement des énergies et d'une mise en synergie des politiques. Pour repousser les frontières de la politique de la ville, il vous faudra avant tout faire vivre les valeurs de la République dans toutes ses synergies, qu'il s'agisse de l'éducation prioritaire, de la sécurité prioritaire, du logement prioritaire, de l'accès à la culture ou de la promotion de la laïcité.

Pour toutes ces raisons, vous pourrez compter, monsieur le ministre, sur le soutien du groupe RRDP.

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