Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du 16 avril 2013 à 15h00
Élection des conseillers départementaux des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modification du calendrier électoral — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Nous regrettons, monsieur le ministre, que vous ayez refusé la création d'une instance pluraliste, présidée par un parlementaire de l'opposition, qui aurait donné un avis, publié au Journal officiel, sur chaque redécoupage, dans chaque département, en toute transparence.

Si vous vous êtes obstiné à refuser cette instance pluraliste et si elle vous dérange manifestement autant sur les bancs de la majorité, c'est précisément parce que vous avez fait le choix de l'opacité. Nous le déplorons, nous le dénonçons et nous n'en resterons pas là. Bien évidemment, nous porterons le débat devant le Conseil constitutionnel.

Car ce projet de loi, monsieur le ministre, n'est pas sans fragilités juridiques. Je n'en évoquerai ici que les principales.

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision du 3 avril 2003, que l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi était applicable aux modes de scrutin. Le commentaire de cette décision, dans les cahiers du Conseil constitutionnel, précise ceci : « En définissant un mode de scrutin, le législateur ne doit pas s'écarter sans motif d'intérêt général de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, lequel revêt une importance particulière en matière électorale afin d'assurer la sincérité du scrutin et l'authenticité de la représentation. »

L'invention du binôme est-elle conforme à ce principe d'intelligibilité de la loi, à l'exigence de sincérité du scrutin et au principe de liberté de vote du citoyen ? Rien n'est moins sûr. Le binôme de candidats est censé être solidaire pendant la campagne électorale, mais dès l'élection acquise, cette solidarité se brise et les deux élus exercent, sur le même territoire, leur mandat indépendamment l'un de l'autre, au point qu'ils peuvent, non seulement voter de manière opposée lors des sessions du conseil départemental mais également se présenter l'un contre l'autre lors des prochaines élections, dans le plus grand désordre. Comprenne qui pourra.

La bizarrerie du binôme est redoublée par une autre curiosité juridique : vous institutionnalisez, dans certaines situations, l'obligation, pour les électeurs d'un canton, de n'être durablement représentés que par 50 % des élus qu'ils sont censés désigner.

Votre texte prévoit, en effet, que lorsqu'un titulaire ne peut être remplacé par son suppléant, le siège devient vacant, sauf si l'autre titulaire est lui-même dans l'impossibilité d'être remplacé par son suppléant.

Vous prohibez ainsi la double vacance mais vous autorisez la vacance simple, laquelle peut en l'espèce durer plusieurs années, ce qui revient à instituer un mode de scrutin dont la particularité est d'organiser l'impossibilité, pour des électeurs, d'être représentés par des élus.

Ces vacances institutionnalisées sont d'autant plus fragiles, au plan juridique, qu'elles peuvent affecter l'administration même du département, en réduisant fortement le nombre de conseillers départementaux qui siégeront effectivement au sein de l'assemblée départementale et, plus grave encore, le cas échéant, en y inversant la majorité.

Le ministre des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, en nouvelle lecture, a justifié ici l'institutionnalisation de ces vacances de sièges en ces termes particulièrement hasardeux : « Dans le cas que vous évoquez, où l'un des deux éléments du binôme ne siège pas car le titulaire et le suppléant sont tous les deux empêchés, pour rester cohérent avec le reste du projet de loi, il faudrait prévoir l'organisation d'une élection partielle sexuée ! C'est évidemment impossible du point de vue constitutionnel. »

C'est bien la démonstration, par le Gouvernement lui-même, de l'extrême fragilité constitutionnelle inhérente au principe même du binôme, puisque pour être cohérent avec le binôme paritaire, nous dit le ministre, il faudrait une élection partielle sexuée qui est évidemment impossible du point de vue constitutionnel.

Pour contourner cette difficulté qui est en réalité incontournable, le projet de loi prive nécessairement un électeur du droit d'être représenté par un élu.

Mais ce n'est pas le seul motif d'inconstitutionnalité de cette contre-réforme. Le principe d'égalité devant le suffrage est également méconnu lorsque l'article 3 définit un nombre de cantons par département sans aucune justification démographique d'aucune sorte. Des départements dont la population varie du simple au double disposeront d'un nombre de conseillers départementaux similaire. Une autre règle de répartition, par exemple un système de strates, aurait pu et aurait dû être définie par la loi afin de respecter le principe d'égalité devant le suffrage, ce qui nécessitait de ménager un équilibre entre, d'une part, le respect de la logique démographique et, d'autre part, la prise en compte des impératifs d'intérêt général liés à l'aménagement du territoire et donc à la nécessité de représenter les territoires ruraux.

De même, vous avez rejeté, à plusieurs reprises, nos amendements proposant l'inscription, à l'article 23 de la loi déférée, d'une règle selon laquelle la délimitation des cantons doit respecter les limites des circonscriptions législatives. Nécessairement, vous choisissez que les circonscriptions législatives puissent ne pas respecter, elles-mêmes, les limites des cantons. C'est méconnaître directement la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a jugé, dans une décision du 2 juillet 1986, que, s'agissant des circonscriptions législatives, « il convient de considérer que la faculté de ne pas respecter les limites cantonales dans les départements comprenant un ou plusieurs cantons non constitués par un territoire continu ou dont la population est supérieure à 40 000 habitants ne vaut que pour ces seuls cantons. »

La modification de la répartition des sièges des conseillers de Paris à laquelle le projet de loi procède paraît également très fragile au plan constitutionnel. Vous créez trois sièges dans les 10e, 19e et 20e arrondissements. Vous en supprimez trois dans les 7e, 16e et 17e arrondissements. Cette nouvelle répartition méconnaît le principe d'égalité devant le suffrage, car elle n'obéit à aucune logique démographique. En effet, d'un arrondissement à l'autre, le nombre d'habitants représentés par un conseiller de Paris pourra aller du simple au triple, l'écart maximal par rapport à la moyenne étant de 57 %. De tels écarts ne sont justifiés par aucun impératif d'intérêt général.

Tel est également le cas du report des élections départementales et régionales à 2015. On ne voit pas quel motif d'intérêt général peut justifier que les élections départementales et régionales, qui doivent se tenir en mars 2014, soient reportées à l'année suivante. Le Gouvernement prétend vouloir lutter contre l'abstentionnisme. Mais c'est précisément le couplage des élections régionales et départementales avec les élections municipales de mars 2014 qui était de nature à limiter l'abstention, ce qui constitue un objectif d'intérêt général reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel. Les statistiques démontrent en effet que le taux de participation aux élections locales est plus élevé lors des élections municipales. Si le législateur entend vraiment augmenter le taux de participation, il doit faire l'inverse, précisément l'inverse, de ce que prévoit le projet de loi, c'est-à-dire coupler les élections régionales et les élections départementales avec les élections municipales.

Le report des élections régionales et départementales, tel que le prévoit le projet de loi, est entaché d'un autre motif d'inconstitutionnalité : il porte atteinte à la sincérité du scrutin sénatorial de septembre 2014 et est susceptible de faire basculer, dans un sens ou dans l'autre, la majorité du Sénat.

Jusqu'à présent, que cela soit en 1998, en 2001, en 2004, en 2008 ou en 2011, le renouvellement du Sénat a toujours fait suite au renouvellement des conseils généraux. Dans les Cahiers du Conseil constitutionnel relatifs à la loi de décembre 2005 portant sur les dates de renouvellement du Sénat, le commentateur autorisé relevait que cette loi « assurait que les sénateurs ne seraient pas élus par des grands électeurs en fin de mandat » et il poursuivait ainsi : « Au regard du principe constitutionnel selon lequel le Sénat représente les collectivités territoriales, il est préférable [...] de rapprocher à l'avenir l'élection des sénateurs de la désignation par les citoyens du collège électoral sénatorial. » Votre projet de loi fait exactement le contraire. Les sénateurs qui seront élus en 2014 le seront par des grands électeurs, conseillers régionaux et départementaux, en fin de mandat et, de surcroît, exerçant leur mandat au-delà du terme qui était défini légalement lors du dernier renouvellement par moitié du Sénat.

J'ajoute que la part des grands électeurs ainsi affectés par le projet de loi est loin d'être négligeable, puisqu'ils représentent 4 % du collège électoral du Sénat. Cette proportion est encore plus forte dans certains départements. Tel est le cas en Corse, où la part des élus prorogés s'élèvera à 11,2 % en Corse-du-Sud et à 10,2 % en Haute-Corse. Tel est également le cas en Guyane, où la part d'élus prorogés atteindra 11,6 % et où il reviendra à des conseillers régionaux et généraux prorogés d'élire des sénateurs, alors même que les Guyanais s'étaient prononcés, par référendum, en faveur de la suppression des collectivités régionale et départementale au bénéfice de la création d'une collectivité unique dès 2014.

En maintenant ce projet de loi contre vents et marées, le Gouvernement commet, en vérité, trois erreurs.

Une erreur juridique, d'abord, comme je viens de l'exposer. Le Conseil constitutionnel en sera juge, puisque nous le saisirons.

Une erreur politique, ensuite. Le Parti socialiste prétend avoir raison seul contre tous, seul contre l'ensemble des autres formations politiques de notre pays.

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