Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 15h00
Renforcement des droits des patients en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'adoption en 2005 de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie a constitué une véritable avancée pour notre société. Elle était devenue indispensable en raison des progrès de la médecine et de ses exigences éthiques ainsi que de la volonté croissante et légitime de nos concitoyens de maîtriser les décisions qui les concernent. Si l'on peut regretter qu'il ait fallu le drame du jeune paraplégique Vincent Humbert pour qu'un travail de fond soit engagé, on ne peut que se féliciter du débat passionné mené au sein de notre société et du Parlement, enfin saisi de cette question si douloureuse et si complexe qu'est la fin de vie.

Cette loi a permis de donner à toute personne, à sa famille et à son entourage le droit de se déterminer et d'exprimer son souhait sur les conditions de la fin de sa vie. Il s'agissait tout à la fois de dénoncer d'éventuels acharnements thérapeutiques, inconcevables au regard de l'issue connue et attendue, de soulager les souffrances et de prendre en compte la volonté des personnes concernées. C'est un vrai progrès de civilisation respectant l'intime et singulière conviction de chacun sur la mort et la conception que nous avons ou croyons avoir de notre propre fin. Il me plaît de rappeler ici, après d'autres, que ce texte a été adopté par notre assemblée à l'unanimité moins trois abstentions.

Certains voulaient aller plus loin en inscrivant dans la loi l'euthanasie, c'est-à-dire l'autorisation pour un tiers de donner la mort, de manière bien sûr très encadrée. Nous l'avions alors refusée et conservons pour notre part cette conviction. À cet égard, je me permets de rappeler les propos de M. Badinter, que j'avais appréciés : « Il ne saurait être question de pénaliser le suicide, mais le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain et le fondement contemporain de l'abolition de la peine de mort. Je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. »

Nous pensons en effet qu'une société démocratique ne peut autoriser quiconque à provoquer délibérément la mort en toute légalité, fût-ce dans des conditions rigoureusement encadrées et pour des raisons louables, qu'une telle autorisation ouvrirait la porte à des dérives dangereuses, particulièrement dans un moment où la santé est, hélas ! de plus en plus envisagée sous l'angle de son coût pour la société, et que les dispositions législatives actuelles qui peuvent et doivent être encore améliorées permettent de répondre à la quasi-totalité des situations. Seules quelques très rares exceptions, comme le cas douloureux du jeune Vincent Humbert, ne rentrent pas entièrement dans le cadre législatif actuel.

Je crois cependant que ces cas exceptionnels, emblématiques de par leur unicité, ne peuvent être traités seulement par la législation.

Sur un sujet qui suscite en chacune et chacun de nous de nombreuses réflexions et implique un positionnement individuel inhérent à la condition humaine, notre rôle de législateur n'est pas de projeter une vision personnelle ou passionnelle, mais précisément de définir la règle générale. Or, cette règle générale ne peut répondre rigoureusement à toutes les situations, particulièrement dans le domaine qui nous occupe, tant il est complexe, douloureux et différent pour chacun.

Nous considérons qu'il appartient aux juges, aux termes d'un débat contradictoire et approfondi, de se prononcer sur l'exception. De ce point de vue, je me permets de rappeler que la mère de Vincent Humbert et le docteur Chaussoy, tous deux mis en examen, ont obtenu une ordonnance de non-lieu de la part du juge d'instruction – et c'est heureux.

Pourtant, aujourd'hui, près de huit ans après l'adoption de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, d'importants problèmes demeurent. J'ai, pour ma part, reçu récemment le témoignage émouvant d'une personne qui, ayant accompagné le décès de son père, n'a pas bénéficié de l'application de ce texte et en a souffert, ce dont il s'est, à juste titre indigné auprès de moi. C'est, de toute évidence, le problème majeur auquel nous sommes aujourd'hui confrontés – ce que confirment aussi bien les travaux de l'Observatoire national de la fin de vie que le rapport récemment rendu par le professeur Sicard à l'issue de la mission que lui avait confiée le Président de la République.

Vous-même, madame la ministre, avez souligné les progrès accomplis, notamment en nombre de lits de soins palliatifs, mais aussi les manques, car nous sommes loin de répondre aux besoins dans ce domaine, à tel point que le professeur Sicard considère que l'on meurt mal en France. Je regrette que le texte présenté par M. Leonetti au nom du groupe UMP ne dise pas un mot sur ce point essentiel. Chacun sait combien il y a eu, au cours des dix dernières années, de postes supprimés, de personnels compressés, de services hospitaliers désorganisés, voire fermés, pour imposer une politique ultralibérale où tout est marchandise, tout est mis à prix et vendu dans le cadre de la libre concurrence, même si c'est au détriment des malades et de leurs familles.

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