Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 20 juin 2013 à 15h00
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière-procureur de la république financier — Présentation commune

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Par la suite, on nous a annoncé la suppression des juges d’instruction, qui n’a été évitée que grâce à une mobilisation générale. La conséquence de tout ceci, malheureuse pour nous tous, a été de voir la France classée au vingt-deuxième rang mondial dans le classement de Transparency International.Les effets ont été certains et nous ne pouvons douter de l’efficacité des mesures prises, même si nous la déplorons profondément. Ces dispositions doivent être totalement neutralisées. Tel est le sens de notre action que vous êtes venus renforcer dans ce texte de loi. Sans quoi, nous allons droit vers une rupture avec la société et nos concitoyens. Nous devons mettre un terme à cette scission entre, d’un côté, des citoyens éclairés et, de l’autre, des élites corrompues ; entre, d’un côté, des citoyens irrationnellement émotifs et, de l’autre, des élites éclairées. La démocratie n’est pas la réciprocité des mépris.Nous devons rappeler que nous possédons un bien commun – les institutions – sur le fonctionnement duquel nous devons veiller. Elles doivent être solides, justes, mais aussi protectrices et surtout « décentes », au sens où Avishai Margalit emploie ce terme. Une société décente est une société qui n’humilie pas ses citoyens. Or la corruption avilit ceux qui la pratiquent et humilie les citoyens. Nous voulons y mettre un terme pour restaurer la confiance des citoyens dans nos institutions et en eux-mêmes également, car tout cela fragilise la société dans son ensemble.Le texte relatif à la lutte contre la fraude fiscale comporte une vingtaine d’articles, dont un tiers est dû au travail de votre commission. Parmi les douze premiers, trois concernent très directement le ministère de l’économie et des finances et je laisserai à Bernard Cazeneuve le soin de les présenter en détail. Sachez déjà que les articles 3, 10 et 11 modifient le code général des impôts et le livre des procédures fiscales et qu’ils comportent un certain nombre de dispositions relatives à l’utilisation de sources dont l’origine serait illicite, dans l’état actuel de notre droit, et d’autres sur l’extension du champ des techniques d’enquêtes spéciales et une aggravation des peines de prison et des amendes. M. le ministre du budget vous en parlera plus savamment.À l’article 1er comme je l’avais annoncé en octobre 2012, nous attribuons aux associations qui luttent contre la corruption les droits reconnus à la partie civile. À l’article 2, nous étendons le champ de compétences de l’Office central de lutte contre les atteintes à la probité – actuellement Office central de lutte contre la délinquance –, ce qui permettra de rompre une entrave qui pèse notamment sur les parquets, lorsqu’il existe, en plus de la fraude fiscale, un constat de blanchiment d’argent : cet office central pourra intervenir par sollicitation.Les articles suivants visent essentiellement à aligner le régime des personnes morales sur celui des personnes physiques en ce qui concerne les possibilités de saisie du patrimoine entier, des saisies en valeur, des saisies de meubles ou d’immeubles, de saisie des contrats d’assurance-vie au bénéfice de l’État, mais également pour faciliter l’entraide pénale internationale en matière de saisie des avoirs criminels. Votre commission des lois a introduit un certain nombre de dispositions remarquables, grâce à l’excellent travail effectué par le rapporteur de la commission des lois, M. Yann Galut, ainsi que par la rapporteure pour avis de la commission des finances, Mme Sandrine Mazetier, et grâce aux amendements de MM. Raimbourg et Le Bouillonnec.Ce travail de très grande qualité vous a d’ailleurs permis d’introduire un contentieux supplémentaire, relatif à la fraude à la TVA – ce fameux « carrousel » – et au marché du CO2, dont nous avons pris connaissance dans les années 2009-2010. Le Gouvernement est entièrement favorable à ces dispositions. Vous avez fortement alourdi les amendes ; modifié les délais de prescription ainsi que les modalités de décompte de la prescription ; introduit des dispositions pour alléger les peines réservées aux personnes qui facilitent le travail de la justice ; fait en sorte que la publicité sur la commission des infractions fiscales soit améliorée ; introduit également quelques autres dispositions qui concernent plus directement le ministère du budget.Dans la loi organique, vous avez ajouté un article 2, qui vise à spécialiser les magistrats instructeurs de la juridiction de Paris. Vous prévoyez que ceux-ci fassent l’objet d’une nomination par décret du Président de la République sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Le Gouvernement partage votre souci de spécialisation. D’ailleurs, je ne vous cache pas que nous en avons beaucoup débattu et que j’ai beaucoup échangé avec les magistrats instructeurs et les procureurs sur ce sujet, puisque la question s’était très rapidement posée à nous. Toutefois, si nous pensons que les magistrats doivent être spécialisés, nous craignons que ces dispositions intégrées dans la loi – et donc dans l’ordonnance de 1958 – n’introduisent un élément de rigidité.En effet, il serait bon que le même magistrat puisse être compétent sur une procédure qui rassemblerait des éléments de criminalité organisée, de matière économique et financière et de fraude fiscale. Nous aurions souhaité éviter cette rigidité. Une habilitation est possible, puisqu’un dispositif semblable existe déjà pour les JIRS, les juridictions inter-régionales spécialisées. Nous pensons que les juges d’instruction et les juges du siège peuvent faire l’objet d’habilitations par le premier président de la cour d’appel. La spécialisation se mettrait ainsi à la disposition des procédures, tout en conservant une souplesse qui éviterait de cloisonner des contentieux. L’expérience montre en effet que parfois les trois contentieux que je citais peuvent se retrouver dans une seule procédure. Pour cette raison, je propose que nous continuions à discuter, afin que ces dispositions ne soient pas maintenues.Les articles suivant ces douze premiers modifient le code de procédure pénale ainsi que le code de l’organisation judiciaire, puisque nous allons supprimer les pôles économique et financier et confier aux JIRS la délinquance et la criminalité de grande complexité, en plus de celles de très grande complexité. Ce parquet financier à compétence nationale aura une compétence d’attribution, soit une compétence concurrente, sur les atteintes à la probité, la corruption d’agents publics, la fraude fiscale complexe ou en bande organisée et sur le blanchiment de toutes ces infractions. Il aura également une compétence exclusive en matière de délits boursiers. Cette réorganisation de nos juridictions spécialisées renforce leur cohérence et, souhaitons-le, l’efficience et la diligence dans l’instruction des procédures.Tel est donc en substance, dans sa cohérence et son articulation, dans sa lisibilité, l’instrument global que le Gouvernement vous propose pour lutter contre toutes les corruptions. Cette lutte est une obligation morale, mais également une nécessité au service de la cohésion sociale : il s’agit d’un acte de confiance à l’égard des citoyens, afin que nous puissions obtenir leur confiance en retour. Pierre Mendès-France disait que la vigilance continuelle des citoyens est nécessaire, non seulement sur les affaires de l’État, sur celles des collectivités territoriales, mais aussi sur celles des associations et des coopératives, parce que, lorsque cette vigilance est défaillante, le Gouvernement, tout comme les corps organisés et les fonctionnaires, assurait-il, sont soumis à des pressions de toutes sortes, se retrouvent en proie à ces pressions et parfois cèdent aux tentations de l’arbitraire. Nous voulons éviter cela et, à défaut de rendre les hommes vertueux, faire en sorte que les institutions protègent les intérêts des citoyens.

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