Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 20 juin 2013 à 15h00
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière-procureur de la république financier — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, l’examen, en discussion commune, des deux projets de loi déposés par le Gouvernement, l’un relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, l’autre créant un procureur de la République financier, vient après l’examen, à marche forcée, des deux projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique. Cet ensemble est censé former un tout cohérent et doter notre pays d’un arsenal législatif adapté en matière de lutte contre la corruption économique.Après la prévention des conflits d’intérêts des parlementaires et des élus locaux, voilà la lutte contre l’évasion fiscale complétée par la création d’un parquet financier à compétence nationale, distinct du parquet de Paris.Au-delà de l’échelle des sanctions prévue dans le texte et sensiblement renforcée par la commission – l’augmentation des peines étant considérée comme revêtant une vertu pédagogique et dissuasive, ce qui reste à démontrer – le dispositif de lutte contre la corruption tel qu’il est soumis à notre examen appelle plusieurs remarques et interrogations de la part du groupe RRDP, auxquelles le Gouvernement et les rapporteurs ne manqueront pas de répondre.Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, modifié en commission sans réel débat, introduit différents mécanismes augmentant les pouvoirs et les mécanismes de contrôle ainsi que les possibilités de communication de documents en cas de recherche ou de répression d’une infraction.De nombreuses dispositions relatives aux procédures fiscales et douanières ont été introduites en commission. C’est notamment le cas de l’obligation, pour l’Autorité de contrôle prudentiel, de communiquer sur demande de l’administration fiscale tout document ou information qu’elle détient dans le cadre de ses missions, sans pouvoir opposer le secret professionnel. Cette Autorité de contrôle est chargée de l’agrément et du contrôle des établissements bancaires et des organismes d’assurance, et veille à la préservation de la stabilité financière et à la protection des clients des banques, des assurés et bénéficiaires des contrats d’assurance.On peut légitimement se demander si cette disposition est compatible avec celles de la loi sur la séparation et de régulation des activités bancaires, ou si, dans le cadre du sauvetage en urgence d’une banque, la relation de confiance indispensable entre l’administration et la banque, ne risque pas d’être altérée.D’une manière plus générale, la liste des documents, pièces ou informations transmissibles à l’administration sans que leur origine illégale puisse lui être opposée ne doit pas pouvoir faire l’objet de copies sous forme de fichiers, sous peine d’atteinte aux libertés individuelles. Attention, mes chers collègues, à ne pas transformer le fisc en hydre tentaculaire ! La prise de copies est réservée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et doit être strictement encadrée par la loi.Le groupe RRDP estime que, si le renforcement des moyens administratifs de lutte contre la fraude fiscale est indispensable, la fuite des capitaux et l’optimisation illégale prenant une ampleur plus scandaleuse de jour en jour, il ne doit pas faire de l’administration fiscale un État dans l’État.Quant à la protection générale donnée aux lanceurs d’alerte à l’initiative de nos collègues, je rappelle les observations dirimantes exprimées par mes collègues Roger-Gérard Schwartzenberg et Alain Tourret lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique ainsi que lors de l’examen du présent texte en commission : attention à ne pas revenir sur les principes fondateurs de notre droit pénal ! Les lanceurs d’alerte à la française seront-ils des délateurs ou des dénonciateurs ? Au-delà de la querelle sémantique, je voudrais rappeler que s’abriter derrière l’article 40 du code de procédure pénale, très faiblement utilisé comme l’ont rappelé tant la Chancellerie que le service central de prévention de la corruption, peut nous emmener sur un chemin que nous risquons de regretter. La pratique des lettres anonymes est déjà suffisamment utilisée en matière de dénonciation au fisc pour qu’il soit besoin d’en rajouter.Je voudrais maintenant dire quelques mots du procureur de la République financier, dont la création par la loi organique a rappelé au Gouvernement qu’il convenait d’intégrer la nouvelle procédure de traitement des infractions financières à la loi ordinaire, motivant ainsi sa rectification treize jours après son dépôt. Voilà un bel exemple de la précipitation dans laquelle le législateur, Gouvernement et Parlement confondus, travaille actuellement. Intervention du Président de la République le 3 avril, présentation d’une communication du Premier ministre en conseil des ministres le 10 avril, adoption des projets de loi en conseil des ministres le 24 avril 2013 – et, naturellement, engagement de la procédure accélérée, pratique dont nous dénonçons la répétition. L’entropie législative nous guette, madame et monsieur les ministres !Les critiques portant sur la nouvelle architecture judiciaire pour le traitement de la délinquance économique et financière ne manquent pas. La création d’un procureur national, placé sous la tutelle hiérarchique du procureur général de Paris qui aura ainsi en charge deux procureurs, est pour le moins originale. Je ne rappellerai pas les réserves émises par le Conseil d’État, qui craint des conflits de compétences ou de moyens avec le parquet de Paris. En écho, le premier avocat général à la Cour de cassation estime que la création d’un parquet national autonome soulève de sérieuses interrogations, tandis que l’extension des compétences du parquet de Paris, qui existe déjà en d’autres domaines, n’appelle pas de réserves.La garde des sceaux l’a rappelé, les trente-six pôles économiques et financiers seront remplacés par les huit juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, qui verront ainsi leur champ de compétences considérablement élargi. L’exposé des motifs indique de façon lapidaire : « l’extension de leur champ de compétence devra s’accompagner d’une réflexion sur le renforcement de leurs moyens ». Si la centralisation des moyens juridictionnels, qui n’est pas synonyme de compétence exclusive sauf pour les délits boursiers, est souhaitable, la solution consistant à placer deux procureurs auprès de la même juridiction est hétérodoxe. Le président de la conférence des procureurs, il est vrai procureur de Nanterre et donc responsable de l’un des principaux pôles financiers, plaide pour une juridiction autonome. Des difficultés, voire des conflits au sein de l’organisation judiciaire sont à redouter. Des questions se posent donc.Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, la concentration des moyens et de l’expertise nécessaires à la lutte contre la délinquance financière que cette réforme suppose suffiront-ils vraiment ? D’avance, je vous remercie pour les réponses que vous apporterez à ces interrogations.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion