Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 20 juin 2013 à 15h00
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière-procureur de la république financier — Discussion générale commune

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je tiens à remercier les deux rapporteurs, Yann Galut et Sandrine Mazetier, ainsi que les orateurs. Indépendamment du travail très consistant conduit en commission, les interventions ont été un plus : il n’y a pas eu de répétition des débats de commission qui ont abouti à l’adoption de dispositions nouvelles, mais des analyses qui permettent de rendre plus lisible encore l’effort que nous sommes en train d’accomplir avec ces deux projets de loi.En tant qu’ancienne parlementaire, je suis toujours très sensible à la qualité du travail parlementaire, et j’ai vraiment le sentiment que, depuis le début de l’après-midi, nous travaillons sur le fond, pour continuer à améliorer le texte et à alerter, car il ne s’agit pas seulement d’introduire des mesures législatives ou des prolongements réglementaires, il faut aussi voir comment nous allons nous-mêmes évaluer les effets et l’efficacité du dispositif que nous mettons en place. J’ai perçu tout cela dans vos interventions et je vous en remercie chaleureusement.Pour l’essentiel, les questions étaient adressées à Bernard Cazeneuve, qui vient d’y répondre de manière exhaustive. Je remercie les orateurs de l’opposition et je vais à mon tour répondre à un certain nombre d’interrogations et d’interpellations.Au Gouvernement aussi, nous avons eu le souci de travailler très sérieusement ce texte. En plus des séances techniques que nous tenons depuis plusieurs semaines avec nos administrations et cabinets – je rappelle qu’au niveau de la chancellerie nous sommes depuis plusieurs mois sur ce plan d’ensemble de lutte contre toutes les atteintes à la probité – ainsi que des réunions interministérielles, des réunions ont eu lieu entre Bernard Cazeneuve et moi, avec la solidité de notre amitié.J’avais en effet des interrogations et des exigences fortes, comme vous, et j’ai voulu vérifier jusque dans le détail le plus ténu la manière dont nous garantissons à la fois le respect de l’état de droit, le message clair que frauder est une faute inexcusable qui mérite des sanctions, et l’efficacité des dispositifs que nous mettons en place. Nos échanges ont été très profonds et très vifs, pour nous assurer que nous avions la même préoccupation politique, à savoir qu’à un moment si difficile pour nos concitoyens, ces fautes impardonnables ne bénéficieront d’aucune clémence, et que nous donnerons à l’État les moyens de réduire l’effort demandé aux Français. Il est impératif que les Français croient à leur institution judiciaire, c’est-à-dire qu’ils soient vraiment convaincus que toute infraction est sanctionnée. Nous sanctionnons ces infractions avec la sévérité qu’appelle le moment que nous vivons.Un certain nombre d’interpellations me conduisent à vous apporter des informations sur le fonctionnement de l’institution judiciaire et à répondre à plusieurs inquiétudes.La fraude fiscale, le blanchiment, la criminalité organisée sont des infractions dont la complexité, souvent, ne se révèle pas immédiatement mais en cours de procédure. Nous y avons pensé, et c’est pourquoi nous attribuons au parquet financier à compétence nationale une compétence d’attribution concurrente. Cela permet, lorsqu’une procédure a débuté dans une juridiction interrégionale spécialisée, qu’elle soit transférée en cours de route au procureur financier à compétence nationale. Le fait que la compétence soit concurrente évite la nullité des procédures commencées à la JIRS.Il s’agit là d’un problème permanent, auquel les JIRS sont déjà confrontées. Parfois, les pôles économiques et financiers traitent d’une procédure au cours de laquelle apparaissent des ramifications avec la criminalité organisée, et dont la complexité dépasse donc les moyens du pôle ; il y a alors transmission à la JIRS. Cela pourra toujours se faire.La juridiction de Paris pose la question particulière de l’existence de deux procureurs de la République, mais tous deux sont placés sous l’autorité hiérarchique du procureur général. Il appartiendra à ce dernier d’arbitrer, en cas de difficulté entre les deux à se mettre d’accord. Je suis persuadée que les procureurs feront l’effort de regarder les procédures de suffisamment près pour décider si c’est l’actuel procureur de Paris, qui couvre notamment le pôle économique et financier, ou le procureur financier à compétence nationale qui doit en hériter. Je fais le pari que, pour la bonne organisation de l’institution judiciaire, le bon fonctionnement du service public de la justice, et surtout l’efficacité de l’action judiciaire, ils sauront se répartir les procédures.En tout état de cause, il appartiendra au procureur général d’arbitrer. Pour ma part, en qualité de garde des sceaux, je leur adresserai une circulaire générale et impersonnelle – pas d’intrusion dans un dossier pénal – qui indiquera les critères à partir desquels la répartition peut se faire. Je le fais déjà dans un certain nombre de territoires. Vous savez qu’en Corse et à Marseille, notamment, nous avons créé des comités stratégiques régionaux, que je préside. Je réunis régulièrement les procureurs généraux de la Corse, d’Aix-en-Provence et de Paris. Ils ont d’eux-mêmes adopté des critères permettant de répartir les dossiers, pour que les procédures soient traitées dans la juridiction la plus capable de le faire avec diligence et efficacité.La situation n’est pas complètement inédite, nous ne serons pas dans l’inconnu. Entre la Corse, Aix-en-Provence et Paris, il y a déjà des compétences concurrentes : des procédures traitées au pôle économique et financier de Bastia peuvent ainsi être transférées à la JIRS de Marseille ou même monter à Paris. Nous savons le faire et nous prendrons toutes les dispositions pour qu’un tel fonctionnement soit possible.Les pôles économiques et financiers, créés par la loi de 1975, sont supprimés par ce projet de loi. Des mesures transitoires sont évidemment prévues pour que les procédures en cours puissent aller à leur terme. Par ailleurs, nous réorganisons les JIRS, qui hériteront des procédures de grande complexité et non plus seulement de très grande complexité.Monsieur Dupont-Aignan, vous avez fait état de témoignages de magistrats de pôles économiques et financiers. Il faudrait me dire lesquels. Les pôles économiques et financiers – c’est ce qui nous conduit à les supprimer – sont extrêmement disparates, car les tissus économiques, les contentieux le sont. Nous avons quelques pôles significatifs, comme celui de Nanterre, où sont localisés 85 000 sièges d’entreprises. Le pôle de Bastia était quant à lui tombé un peu en sommeil ; nous l’avons réactivé et renforcé depuis un an.Je vous informe que j’ai mis des effectifs en surnombre dans plusieurs pôles, dont ceux de Bastia et de Marseille, et que nous commençons à avoir des résultats significatifs, notamment sur les saisies d’avoir criminels, que j’annoncerai avec beaucoup de plaisir dans peu de temps. C’est le mérite des magistrats sur le terrain, des juges d’instruction, des procureurs, des greffiers.S’agissant de la question des effectifs, nous avons estimé les besoins, pour le parquet financier à compétence nationale, à une trentaine de magistrats pour le parquet, une dizaine de juges d’instruction, six juges du siège et trois conseillers pour la cour d’appel, en sachant que, l’appel étant le deuxième niveau d’instance, nous ne sommes pas dans l’urgence pour l’ouverture de ces derniers postes.S’agissant du reste, nous allons créer, dès le projet de loi de finances pour 2014, les trente postes de magistrats, en sachant que cette juridiction va monter en puissance. Parmi les procédures en cours, nous en avons identifié environ 260 dont une centaine à peu près devrait être transférée à ce parquet à compétence nationale. Grâce aux regroupements prévus dès la loi de finances pour 2014, nous devrions parvenir à équiper ce nouveau parquet.Nous avons un réel problème concernant les effectifs des magistrats. Malgré les efforts consentis par le Gouvernement pour les créations de postes – nous disposons d’une vraie capacité de création de postes et j’en ai déjà créé –, nous rencontrons deux problèmes.Premièrement celui du temps de la formation, même s’il est vérifié que nous pouvons déplacer des magistrats – j’ai fait le choix du surnombre sur un certain nombre de contentieux et de juridictions pour résoudre des situations complexes et être plus efficaces. J’ai d’ailleurs interrogé Manuel Valls au sujet de ce problème du recrutement, qui se pose également pour la police et la gendarmerie. Chez elles, le délai de formation est moins long puisque, de la décision de recruter par le ministère de l’intérieur au recrutement effectif, il s’écoule une douzaine de mois. La formation des magistrats dure quant à elle trente et un mois. Nous avons des promotions en cours de formation et prêtes à arriver bientôt, mais nous rencontrons un second problème.En effet, des postes disponibles ne sont pas pourvus – 328 exactement. Ils sont vacants dans nos juridictions – or je veille à équilibrer la répartition des postes sur l’ensemble du territoire par le biais du Conseil supérieur de la magistrature – parce que 3 % des magistrats environ sont actuellement dans des organismes divers, mis à disposition ou en détachement, et non pas dans leurs juridictions. J’ai demandé à la direction des services judiciaires de recenser précisément et de façon exhaustive ces magistrats,…

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